Accueil > Voyages > Famille Roquefeuil > Famille Roquefeuil : récit de voyage > Les Testigos
Sur la route de Panama, quittant Trinidad, il faut longer le Vénezuela. Entre racontars d’aventuriers et réalité, on ne peut échapper à un sentiment de peur, pour appeler les choses par leur nom.
C’est tout prés de notre escale de partance, Chacachacare, que commencent les
histoires de piraterie, aujourd’hui, en 2004. Il y a trois jours, un plaisancier,
seul sur son bateau, navigant le long des cotes vénézuéliennes depuis un mois,
a du s’enfermer dans son bateau, après qu’un type masqué soit monté à bord et
ai tiré dans le carré au fusil. Seule l’annexe a été volée, mais on imagine comment
cela aurait pu finir.

Du coup, la tension monte, la tension de la peur, peur de l’inconnu, sur ces côtes moins fréquentées que les Antilles, peur de ne pas savoir réagir à ce genre de situation, peur pour nos familles, nos bateaux et ce qu’ils contiennent, peur d’achever prématurément le voyage par défaut d’attention, ou par orgueil (on vous avait prévenu, ta ta ta)
Certains renoncent et repartent vers le nord, la plupart y vont quand même, parce que, bien réfléchi, les actes de piraterie en mer sont rarissimes, concernent d’abord des personnes liées à des trafics douteux, et parce que tout ceux qui en reviennent préfèrent cette région aux Antilles.
Donc nous y allons, en arrondissant largement le cap San Fransisco, et en naviguant à deux bateaux.
Je n’ai pas d’armes à bord, mais, à force de penser au problème, je met à portée de main deux fusées parachute, et me persuade que je les tirerai vers un bateau qui tenterai de m’aborder, tout en me demandant comment ces types feraient dans la houle et à la vitesse qui nous pousse vers les Testigos. Bref plus j’y pense, moins cela me préoccupe, le risque est trop faible pour en faire une fixation.
Retour sur Chacachacare. Ile fantôme, dernière gardienne des Bouches du Dragon. La nature referme son écrin vert sur des dizaines de maisons abandonnées, aux murs desquelles sont encore accrochées de photos de famille . La léproserie a fermé en 1984, mais rien n’explique l’abandon total de l’île, dont aujourd’hui seules les plages accueillent les ’Trinidais’ en week end. Des milliers de bouteilles et d’assiettes en plastique jonchent le fond de la baie, mais le reste de l’île offre son mystère et sa grâce dans un calme bienvenu après le port de Chaguaramas. L’eau est vert bouteille, illuminée, on hésite à s’y plonger, et en fait c’est mouillé, comme d’habitude. Le temps d’une ballade au phare, lui aussi abandonné, et nous voilà lancés dans la houle puissante, aidés par un fort courant de marée.

Le lendemain matin, nous voilà arrivés aux Testigos, sous un grain épais qui nous
oblige à mettre à la cape une petite demi-heure, les îles ayant disparu sous la
pluie. Les grains se succèdent, le vent est fort, nous allons signaler notre arrivée
au coast guard de permanence, qui nous accorde deux jours d’escale. Nous venons
d’y passer quinze jours. Deux îles principales, peuplées de cent cinquante personnes,
de chèvres, d’iguanes et d’insectes. Végétation dominante ; le cactus, qui pique,
et le Mancelinier, dont la sève provoque des brûlures genre vitriol. On s’est
perdu dans la brousse à la poursuite des Iguanes, en faisant un tour d’île, et
il a fallu se frayer un chemin en rampant sous les épines, bousculant les araignées
et chassant des myriades de moucherons inquisiteurs. Gaëtane était ravie, elle
s’est fait mordre la fesse gauche par un agresseur invisible (il y a aussi des
serpents dont celui à sonnette !…) Donc dans ce paradis, pas de touristes, enfin
presque pas. Un voilier vénézuélien débarque une fois par semaine des aventuriers
de Nouvelles Frontières, on se demande comment ils apprécient les tentes igloo
plantées sur une pente a 15°, au milieu des cannettes de bière et des reliefs
des derniers repas. L’été, d’innombrables voiliers viennent ici, hors de la zone
Caraïbe balayée par les cyclones.

C’est la figure locale, ChonChon, qui les accueille, dans sa cabane sur la plage.
Deux hamacs, une table à bancs et une autre de jardin en plastic blanc, des voiles
de récup pour se protéger du vent, tendues sur du bois de côte, une vieille guitare
et un quatro, des réchauds à gaz invraisemblables et en panne, quatre pierres
et des bouts de fibrociment autour d’un morceau de grillage pour faire la cuisine.
On est à l’essentiel, rien ne manque en fait, des qu’on est une poignée à bavarder
autour d’une bière ou d’un verre de rhum, que chacun apporte de son bord. Chez
ChonChon, pas de tiroir caisse. On paie en sourires et en bavardages, en échange
de quoi il nous invite à plonger pour aller chercher notre déjeuner, dans un endroit
ou c’est strictement interdit. Langoustes et poissons, on ne s’en lasse pas…
Un soir, nous étions invités chez Nelly, sa femme, avec qui il est un peu fâché.
Mais il était là, participant à la fête avec tout le monde, quelques pêcheurs
de Margarita, les nombreux enfants de Nelly et Chonchon, et les équipages des
quelques bateaux de passage. On a fait des crêpes, au grand bonheur de chacun.
Il a fallu que j’accompagne à l’accordéon le chanteur guitariste de la soirée,
un des fils de Nelly. Ambiance incroyable, ou le partage du moment présent ne
s’encombre pas des considérations commerciales caractéristiques des endroits touristiques.
Plus rien à boire ? On nous offre dans une petit gobelet pastique vert et cradingue
un alcool anisé sirupeux épouvantable, qu’on ose pas refuser, au moins les premières
fois. Les chansons sont belles, c’est le blues vénézuélien, hispanique, indien
et tropical. Les locaux improvisent des instruments : seau en plastique retourné,
râpe à légumes, bouteilles, et les voix éraillées dominent l’ensemble, et Nelly
m’encourage à l’accordéon ; « poco a poco, ça s’améliore, je vais t’écrire les
paroles pour que tu comprennes mieux la musique »

Les mômes grimpent dans les arbres toxiques, et se font de belles brûlures mais y retournent et jouent dans les hamacs. Moment hors du temps, loin de tout ce qu’on connaît, et la propreté médicale et maladive de notre civilisation nous paraît un prix cher à payer pour ce qu’il en coûte de perte de sens de la simplicité.
Tous ici sont pêcheurs. Leurs barques, construction classique en bois du Vénez,
sont magnifiques, supportent 150 chevaux hors bord, ce qui leur permet d’aller
se ravitailler à Margarita (40 Miles en deux heures, Groix-Penmarch). Le retour,
contre le vent, la houle et le courant, 75 chevaux barre franche dans chaque main….Je
laisse les connaisseurs apprécier. Les barques et petites ’lanchas’ pêchent pour
charger les grosses lanchas, qui vont vendre à Grenade, en Martinique, et au Vénézuéla.

Difficile de croire qu’on peut en deux jours être accueilli comme si nous avions passé des années sur place. Lisent ils quelque chose de particulier en nous ? non, ils ont l’habitude d’accueillir les bateaux de passage, qui leur laissent en guise de remerciements toutes sortes de choses, et une sorte de bon sens leur permet de préserver leur mode de vie et leur convivialité malgré cet envahissement saisonnier. Nous avons la chance d’être venus en dehors de cette période, et nous serons partis avant cette migration annuelle.
Le 10, c’était l’anniversaire de Bérenger. Chon Chon est monté dans sa colline, a tué un gros cabri, tôt le matin, a passé une bonne partie de la journée à le préparer. Nous nous retrouvons à une trentaine, sept bateaux de potes avec plein de mômes, sous les bâches de Chon Chon, pour un anniversaire extraordinaire.

Le mouillage est aéré, force 4 en moyenne tous les jours, et parfois plus. C’est
d’un confort relatif, surtout lorsque le courant contrarie le vent et que nous
prenons les rafales de travers et la houle de biais. On est parfois un peu fatigué
au réveil, mais l’endroit est trop exceptionnel pour qu’on pense à le quitter.
Et puis notre escale se prolonge parce qu’il faut que la session du CNED en cours
soit bouclée, pour que les devoirs soient postés par les autres de la flottille,
de Martinique. La poste Vénézuélienne étant ce qu’elle est, c’est le seul moyen
d’être sur que le courrier arrive. Donc nous restons là, les jours se succèdent
à toute vitesse, réveil au petit jour, petit dej, fabrication du pain, plongée
pour le déjeuner, cambio (troc) avec des pêcheurs lorsque, comme aujourd’hui,
l’eau est trop trouble pour que nous puissions pêcher, cours du Cned, plage, lecture,
bricolage et entretien du bateau, apéro ou dîner entre potes, la nuit est déjà
là, dodo pour être en forme demain.

Mais hélas, bientôt plus de vivres à bord, déjà plus une goutte d’alcool, bientôt plus de tabac, c’est ce qui va nous obliger à partir pour Margarita.
Ces deux petites semaines passées ici renforcent le sentiment que notre confort
occidental nous coûte vraiment cher. Bagarre et stress quotidiens pour être dans
le coup, socialement, intellectuellement, parce que ne pas l’être crée encore
plus de stress… Savoir vivre avec moins de choses, savoir limiter ses besoins,
évacuer le superflu, pour mieux vivre. On réapprend cela, aux Testigos.

Séparation de la flottille, notre route nous éloigne des amis avec qui nous avons passé prés de cinq mois, pour certains d’entre eux. Toutes les filles ont le cafard, les mômes un peu aussi, ils ne rencontrent pas des potes de leur age à chaque escale.
Arrivés à Margarita, le retour à la ’civilisation’ nous claque. La côte brumeuse
est hérissée de dents bizarres, Hôtels pharaoniques et déserts, les bidonvilles
hargneux poussent au pied des buildings, Gaëtane se fait arracher son collier
cinq minutes après
avoir posé pied à terre, le trajet de cinq cent mètres pour aller au shipchandler
est vigoureusement recommandé en taxi. Nous y sommes pour faire le plein, le cours
de la vie est ici très bas, et nous constituons des cibles de choix pour les mauvais
garçons. Il faut poser l’annexe sur le pont tous les soirs, cadenassée, ne rien
laisser sur le pont qui n’y soit pas attaché, etc…

L’insécurité n’y est pas plus élevée que dans une mauvaise banlieue française,
mais en France, c’est pas là qu’on va en vacances ! L’idée de se décider à avoir
une arme à bord refait surface. Une arme, c’est fait pour tuer, si on ne veut
pas tuer il n’en faut pas à bord, me disait justement un armurier cet après midi.
J’y étais allé pour voir, j’ai vu, des flingues incroyables pour faire des trous
dans les bateaux, et aussi dans les gens, que du gros calibre, un modèle spécial
à huit coups (pour tromper l’ennemi, d’habitude c’est six coups). Permis de flinguer
lourd pour mille balles, tentant, non ?

Pour le moment je cogite. Quand on est au cœur du problème, qu’on voit que tous les habitués de la région sont armés, la réflexion s’en ressent.
La seconde journée passée ici conforte les premières impressions. Les marchands
de fer forgé font fortune, pas une fenêtre à moins de dix mètres du sol qui ne
soit ornée de sa grille, son grillage, son barbelé, pas un mur sans tessons de
bouteille, vigiles, arme au poing, sur les parkings des magasins excentrés, policiers
en gilets pare-balles aux carrefours. Cette foutue île à des dents de fer.

Nous nous initions au marché noir du change. Après quelques recherches, on trouve les bolivars à 3600 pour un euro, au lieu des 1900 fixés par le gouvernement Chavez. Je me pose des questions sur la sincérité des plaisanciers qui « aiment » le Vénézuéla. J’ai l’impression qu’ils aiment d’abord le pouvoir d’achat qu’il y ont, parce que pour ce qui est du cadre, ….
Evidement, on en connais pas le centième pour le moment, mais bien que les gens soient généralement très aimables, on a du mal à déceler ce qui fait le charme local.
Nous voilà entrés dans une phase un peu moins idyllique, cela fait aussi partie du voyage et nous permet d’apprécier chaque chose à sa mesure.
Suite au prochain épisode, si on s’en sort (ha ! ha ! ha !)
Commentaires
1. > Les Testigos, 25 mars 2004, 22:49, par Marie-Astrid de Roquefeuil
Bonjour,
Je m’appelle Marie-Astrid de Roquefeuil. Je m’occupe de Roquefeuil Infos, le journal de liaison des Roquefeuil. Le comité de rédaction aimerait bien parler, en bref, de votre voyage dans le prochain numéro. Celui-ci paraîtra en juin mais nous le bouclons en avril.
Etes-vous d’accord pour que l’on parle de vous ? Si oui, pourriez-vous me fournir quelques informations ?
quand êtes-vous partis en voyage ? dans quel but ? pour combien de temps ? quel périple ? quelles sont les étapes les plus importantes ou les plus marquantes ? quelle est la composition de votre famille (femme, enfants - noms, âges, etc.) ? de quelle branche êtes-vous et quels sont les prénoms de vos parents ? etc.
Merci par avance et bon voyage
1. > Les Testigos, 15 juillet 2004, 14:59
Traduction groisillonne :
"t’es le fils de qui ?? - c’est qui ta mère ???"
et toujours mon esprit de l’escalier **********(aujourd’hui, très très long escalier :) )
Bisous, Anita
2. > Les Testigos, 15 juillet 2004, 17:46
Bonjour Maire-Astrid
Es-tu la personne qui étais avec moi en licence d’histoire à Paris X nanterre dans les années 90-91 ?
Ludovic PIRON
2. > Les Testigos, 30 août 2005, 20:45
moi aussi je suis aller au testigos, moi aussi j’ai connu chonchon et tout les petits jeunes de la playa chiquita... puis moi aussi j’ai vécu le paradis sur ces iles....