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HORUS ENFIN CHEZ LES KIWIS !

samedi 4 décembre 2004, par Admin

Pas facile de quitter les Tonga. Voilà une semaine que nous sommes clandestins, ayant obtenu notre clearance auprès de douaniers qu’on ne souhaite pas revoir.

Le pot de saindoux qui fait le chef a refusé de me
donner la clearance parce que j’ai hésité lorsqu’il m’a demandé si je
quittais le pays dans l’heure suivante. Nous savons parfaitement qu’ils
n’ont aucun moyen de contrôler notre départ, ce qui rend particulièrement
stupide ce genre d’exigence. Obligé de revenir un peu après, c’est son
collègue, plus jeune et résolument sympathique, qui me délivre le sésame
bien que j’ai oublié une partie des documents nécessaires à bord. Pas de
chance pour d’autres voisins de mouillage, à qui on demande de revenir le
lendemain, jour férié entraînant une surtaxe de cinquante pa angas (150 F).

La douane est l’administration la plus universellement détestée. Il semble
que les douaniers fassent tout pour entretenir l’aversion générale, au
détriment de l’image de leurs pays respectifs dont ils se foutent, tout
particulièrement aux Tonga, royalement je pense. Mais il y a des exceptions,
comme nous avons exceptionnellement pu le constater.

Nous sommes toujours attentifs à la météo, la situation empire, avec 60
noeuds de vent entre les Cook et les Tonga, une mer très forte, et pas de
vent du tout sur Minerva.

Nous attendons l’arrivée de nos amis de Pétrel,
qui sont au cour du coup de vent, avec une certaine inquiétude. Voilà douze
jours qu’ils ont quitté Rarotonga pour une traversée qui en demande cinq.

Les vagues atteignent un mètre au mouillage de Nuku Alofa, nous allons nous
réfugier sous un petit motu à quelques milles, tout paraît définitivement
triste et gris dans cette atmosphère d’hiver.

Du coup, je me met
sérieusement à écouter le "Polynésian net", une heure d’échanges sur BLU
entre les bateaux dans un rayon de mille kilomètres, qui permet de confirmer
ou infirmer les infos officielle, météo ou autres. Chacun donne sa position
et les conditions de navigation, peut signaler une avarie ou sa pêche du
jour, toutes les prévisions météos s’y rencontrent, parfois furieusement
contradictoires.

Puis le soleil revient, magnifiquement tropical, les turquoises et les verts
coco rejaillissent, l’eau troublée par le clapot reprend sa transparence
émeraude, nous laissant découvrir des coquillages énormes et inconnus. Les
équipages se retrouvent autour de l’unique bistrot du Motu, le Big Mama
Yacht Club, autour d’une Ikale fraîche pendant que les plus jeunes jouent
aux fléchettes, échecs, ping-pong et autres. C’est nettement plus convivial
que la capitale, et nous ôte tout éventuel regret de ne pouvoir partir. Dix
jours passent, entre parties d’échecs, plongées et réunions météo, et nous
levons l’ancre dés que les menaces de coup de vent s’estompent.

Nous croisons Pétrel dans le labyrinthe d’écueils qui mène au large. Ils
arrivent enfin de Rarotonga au terme de 14 jours éprouvants, ayant subit
quelques avaries dont celle des drosses de barre, qui les a obligé à
utiliser la barre de secours pendant plusieurs jours, privés de pilote
automatique. Nous en saurons plus à notre prochaine rencontre, ils ont
visiblement besoin d’un peu de repos.

Sortir des îles TongaTapu est folklorique, les bouées signalées sur les
cartes sont absentes et nous ne disposons en fait que de cartes
informatiques, dont nous savons qu’elles ne sont pas très exactes ici. Les
amers sont invisibles, cachés dans la végétation, ou décolorés par
l’érosion. Après une tentative pour la jouer corsaire entre pavés et
patates, nous effectuons un détour de plusieurs miles pour ne pas prendre de
risques. Peu après nous voyons passer au loin, au ras de la cote, d’autres
bateaux partis bien après nous. Allez, pas de regrets, nous n’étions pas
équipés pour cela.

Nous voilà donc avec une dizaine de voiliers entre Nuku Alofa et Minerva
reef, le temps est beau, la mer calme, le vent tombe, tombe, et notre
vitesse aussi. Ca cause sur le "Polynésian net", certains se demandent s’il
y aura assez de place pour tout le monde à Minerva.

Je vous en donne les coordonnées, pour que vous puissiez situer ce nulle
part sur une carte ; 23°35’500 Sud, 178° 54’500 Ouest.

D’abord, à trois miles au large, on distingue des mats qui se dandinent au
milieu de l’océan. Puis apparaît la crête d’écume des vagues qui déferlent
sur le corail. La passe est large et facile, et on jette la pioche dans
quinze mètres d’une eau si claire qu’on la voit se poser au fond. L’atoll
fait quatre miles de diamètre, ceinturé par un platier de plus de 500 mètres
de large qui disparaît sous l’eau à marée haute, mais qui brise suffisamment
les vagues du large pour que nous en soyons parfaitement protégés.

Il paraît
qu’on trouve des langoustes sous le rebord intérieur du platier, nous y
passons quelques heures dans une eau fraîche et cristalline, mais pas une
d’entre elles ne se montrera suffisamment pour qu’on puisse en manger. Le
spectre de la météo ne nous laisse hélas pas le temps d’explorer tout
l’atoll. Nous repartons dés le lendemain de cet endroit exceptionnel,
heureux de faire partie des privilégiés qui ont eu la chance de pouvoir s’y
arrêter.

On aurait peut être mieux fait de rester. Peu après le départ, Horus
s’arrache les tripes dans un courant d’air anémique, jusqu’à sept nouds au
GPS pour douze de vent, mais nous capitulons en fin de nuit, et poursuivons
dans le ronron lancinant du bourrin Perkins, une fois de plus ballottés par
des houles croisées venues d’au delà de l’horizon.

Lorsque le vent revient, c’est, contrairement aux prévisions météo, plein
sud, et vif, très vif. Toujours à sept nouds mais au prés dans la brise,
j’admire surtout les nerfs d’acier de Gaëtane qui essaie de ne pas montrer
qu’elle serait mieux devant sa cheminée, le chat ronronnant sur ses genoux.
Elle somnole stoïquement en s’accrochant aux coussins. On dévore des
bouquins à l’abri des paquets de mer qui inondent le pont jusqu’au balcon
arrière toutes les minutes, attendant des heures plus clémentes. La
température baisse très vite, nous sommes une goutte de mercure chutant dans
le thermomètre à mesure que nous descendons vers le Sud. La température de
l’eau baisse aussi, de six degrés en trois jours, ceci expliquant
partiellement cela.

Les experts météo doivent lire dans les entrailles de poissons pourris en
s’arsouillant au trichloréthylène. Madame Soleil elle même en saurait plus,
je propose à la radio qu’on les pende par les tripes à notre arrivée, mais
cela ne fait pas rire sur le très british "Polynésian net". Pendant trois
jours l’objectif recule, restant obstinément à trois jours de notre
position, défendu par vents et courants contraires. Nous progressons,
péniblement, mais jamais directement dans la bonne direction. C’est le lot
de tous les navigateurs, il faut parfois savoir laisser la planète faire le
ménage dans ce chaos de masses d’air, les unes venant du pôle sud et les
autres des tropiques. Au bout d’un moment tout rentre dans l’ordre, et c’est
un vent bien régulier de quarante à soixante nouds de sud ouest qui est
annoncé à vingt quatre, puis à quarante huit heures de notre arrivée.

Même avec une demi tour du monde dans les haubans, soixante nouds, ce n’est
pas une bonne nouvelle. Assez fignolé, le moteur prend le relais et appuie
les voiles chaque fois que le vent tombe pour tenter d’arriver avant le coup
de vent prévu. Bien sur le vent revient, on pêche un thon superbe d’une
quinzaine de kilos le dernier matin, la journée file sous les grains sombres
rayés de soleil, d’où surgissent nos premiers albatros. Vision
extraordinaire, de puissance et de grâce, l’oiseau immense, contrairement
aux goélands, ne se laisse pas porter par le vent, il semble le maîtriser.

Sculptant son vol au ras de l’écume, il jette un oil circonspect sur notre
présence, puis retourne à son duel inéluctable, les ailes arquées comme
l’épaule d’un boxeur.

La nuit nous rattrape à trente miles d’Opua, glaciale pour nous, habitués
aux douceurs tropicales depuis plus d’un an, ce soir grelottants dans nos
cirés par quinze degrés au dessus de zéro. Le vent saute au SSW, pleine
face, le courant nous jette dans l’est, les dernières heures s’allongent, le
vent disparaît, le froid s’intensifie, mais le radar commence à dessiner la
cote, et nous voilà enfin dans la Bay of Islands, calme comme un lac, la
lune presque pleine sur notre tribord, la Croix du sud à bâbord, haie
d’honneur céleste pour saluer notre demi tour de planète.

Plus loin au fond de la rivière, nous accostons au ponton "Q" (comme Quarantaine), à quelques brasses de la terre ferme.

Un couple de colverts
vient inspecter le nouvel arrivant, il est quatre heures et demi du matin,
Gaëtane fait des crêpes pour le petit déjeuner, car nous devrons attendre la
visite des douaniers et du ministère de l’agriculture avant de pouvoir
débarquer et acheter du pain.

Nous voilà en Nouvelle Zélande, la nuit emporte son voile et découvre un
paysage magnifique, la froidure semble engourdir toute velléité d’éveil,
même le silence se fait discret.

Seul le baro manifeste une activité incongrue, dévalant les hectopascals. On
est très bien ici !..

A très bientôt pour la suite.

Commentaires

  • Nostalgique et amoureuse de Groix, par Voiles et Voiliers, je viens de dévorer la totalité de votre journal de bord, passionnant et d’un style si agréable à lire ; d’autant plus que vous avez traîné votre quille dans les mêmes eaux que "Vague à Bonds", un Trisbal 36 dont je suis une équipière occasionnelle. Pour la partie à laquelle j’ai participé, j’ai embarqué à Puerto Montt au Chili, pour arriver aux Marquises en passant par l’île Juan Fernandez (Robinson Crusoë), la fabuleuse île de Pâques, les Gambiers si paisibles....
    Mais ce qui m’a décidé à vous faire signe, c’est la mention de "Pétrel" ; s’agit-il du voilier de Sylvain et Sandrine avec leurs enfants Mayeul, Jean et Montaine ?
    Nous les avions connus à Hiva Oa et avions sympathisé lors de séances "internet" chez eux...
    S’il s’agit des mêmes, pouvez vous leur transmettre les amitiés de Françoise, monitrice de ski aux Menuires qui rêve en naviguant sur votre site.
    Pour l’instant Claude et Liliane ont laissé "Vague à Bonds" en Australie, mais je ne sais pas exactement où (oui, c’est un peu vague). J’en saurai plus quand ils seront revenus dans la vallée voisine de la mienne pour skier un peu.
    Voilà, un grand merci de nous donner l’occasion de participer un peu à votre belle aventure.
    Je me permets de partager votre avis sur les escales que j’ai eu l’occasion de fréquenter (Marquises et Tahiti), et Groix, continue de me faire rêver.
    Belle mer et bon vent à Horus et à son équipage.
    Françoise.