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Iles sous le vent

samedi 16 octobre 2004, par Admin

Loin déjà la force brute des falaises Marquisiennes, et l’œil turquoise cerné d’émeraude, tourné vers le ciel, des Tuamotu.

Tahiti laissait deviner ce qui caractérise les îles de la Société sous la vérole urbaine qui défigure ses vallées ; la douceur. Arrivés aux îles sous le vent, on peut enfin en prendre la mesure.

Hôtels à Bora

Entourées par un anneau de corail, ces anciens volcans ne subissent pas le travail de sape de la mer, et leurs flancs s’affaissent et s’évasent lentement jusqu’au rivage, où le corail dresse un autre anneau, intérieur celui-là, consolidant leur base. La houle du large, après s’être épuisée en rouleaux d’écume sur la barrière qui protège le lagon, vient clapoter gentiment sur des berges humides et vertes.

Oasis de calme et de beauté au milieu du Pacifique, Huahine, Raiatea et Taaha étirent au soleil leurs vallées verdoyantes, habillées d’arbres coiffés par le vent qui galope et finit sa course dans des rias profondes et claires. Les rives cachent à l’ombre des cocotiers des maisons de bois aux fenêtres nues, prolongées d’un chemin de planches jeté sur quelques pilotis au bout duquel se dandine un speed boat, et je devine sous la véranda les transats à l’accoudoir desquels on a percé un trou pour poser le verre de jus de fruits qu’on portera tout à l’heure à ses lèvres, paresseusement.

Il y a aussi des baraques de planches mal dégrossies, ancrées dans des marécages et infestées de moustiques, qui laissent échapper des cris d’enfants mécontents, et des rires aussi, couvrant le cri de guerre des coqs de combat. Ici comme ailleurs, un drôle d’équilibre, comme ailleurs pas dans la nuance, et si les moustiques infestent toutes les maisons à la tombée du jour, c’est probablement par solidarité.

Il y a tout de même un décalage dans l’aisance des popaas comparée à simplicité des locaux, deux mondes parallèles.

Coté navigation, les platiers coralliens ne nous facilitent pas le mouillage, les zones où l’on peut mouiller sont généralement très profondes, mais heureusement quelques corps morts sont posés pour les bateaux de location, et nous pouvons nous y amarrer lorsqu’ils sont libres. Hélas la cote est souvent difficile d’accès, il est quasiment impossible d’accéder à la route sans traverser le jardin de quelqu’un, parfois balisé par des d’interdictions d’accès . Une fois sur la route, difficile d’en sortir, la plupart des chemins traversiers vers l’intérieur des îles étant privés, barrés de panneaux annonçant “tabu“.Malgré quelques apparences, nous ne sommes pas au paradis.

Arrivés à Huahine au moteur, le vent ayant disparu, nous parcourons le lagon et tournons précautionneusement autour des patates pour trouver où poser notre ancre. De quelques mètres, les fonds tombent à plus de vingt, où le risque est grand d’avoir toutes les peines du monde à la remonter, à cause du corail. Nous dépassons un hôtel de luxe sur pilotis, et dans les bras d’une petite vallée, trouvons un mètre carré où le mouillage est possible. Nous laissons le silence nous envelopper, plongeant au plus vite dans l’eau cristalline pour saluer nos voisins du dessous. Ils sont méfiants, nous n’en mangerons pas ce soir.

Chien méchant à Bora

Petit tour en ville le lendemain, à une heure de là, c’est provincial et souriant, dans un joli cadre, les bateaux de passage se comptent sur les deux doigts d’une main. Notre voisin, à un jet de papaye mure, est un monocoque de plus de trente mètres, mais nous ne sommes pas jaloux. Ca fait tape à l’œil, toutes ses loupiotes qui illuminent le pont la nuit, on est pas encore à Noël, non ? Le mouillage est secoué de temps à autre par un taxi qui déboule à quinze nœuds (pour aller à l’hôtel de luxe) au ras de notre étrave, mais cela n’a pas d’importance. Il règne par dessus tout une incroyable douceur, une indolence ambiante que j’évoquais plus haut, agréable sensation.

Rendez vous est pris pour dans quelques jours avec le loueur de vélos, nous sommes attendus à Raiatea pour le week-end. Après six ans de voyage, nos amis de Crin Blanc posent leur ancre pour que leur aînée passe son bac à terre. Les enfants des deux bateaux ne se sont plus vus depuis les Marquises, et se réclament les uns les autres. La traversée est courte, démarre très mal avec une mer croisée et un vent trop faible pour appuyer le bateau, mais soudain c’est l’embellie.

Deux gigantesques baleines à bosse dansent leur ballet nuptial. Elles sautent hors de l’eau, retombent sur le dos, battent l’air de leur longues nageoires blanches, plongent gracieusement, recommencent. Il y a si longtemps que nous attendions cette rencontre qu’on y voit comme une récompense, un don, une grâce, surtout après l’énervement de l’heure précédente, dont on mesure maintenant le ridicule.

Les deux jours prévus à Raiatea deviennent une semaine, nous retrouvons le plaisir de marcher le long des baies, au travers des collines, surtout à Taaha qui partage le même lagon, dont les chemins sont bordés de fruits, et rappellent un peu les perspectives montagnardes des Marquises. La culture de base est celle de la vanille. Traditionnellement, il suffit de planter des tuteurs en bois sur une parcelle vaguement défrichée.

Ils prennent très vite racine et offrent un peu d’ombre à la vanille qui les enlace. Des coteaux entiers en sont couverts, mais grâce au jeu des subventions, cette technique est peu à peu délaissée au profit de serres funèbres, ou s’alignent des croix de béton sous un voile protecteur noir. Est-ce aussi le glas qui sonne pour les cultures traditionnelles ? Pas encore apparemment, pas encore, mais des plantes grimpantes envahissent ici et là cocotiers et bananiers, noyant dans la brousse les efforts de plusieurs générations.

Coco

Un voisin de mouillage nous parle d’une soirée jazz dans le quartier, on s’y retrouve avec les équipages de dix bateaux mouillés dans le secteur. Le quartet local vaut le détour, ça nous change de la soupe polynoaméricaine soporifique que déversent les radios à longueur de temps. Le batteur est un gamin d’ici qui a tout appris tout seul, un vrai bon. On achève la soirée en causant chasse sous marine avec le bassiste et un des deux guitaristes, c’est des furieux, j’apprends…

Le retour au prés serré vers Huahine se passe bien, la houle nous a oublié et le vent reste modéré. On ancre prés du village, dans un rien d’eau, panorama de carte postale. Au matin nous partons louer une poignée de vélos, et nous lançons dans un tour de l’île. Le gars chez qui nous voulions louer est “fiu“ ce matin, il a la flemme de venir ouvrir sa boutique. Ca me rappelle un pote qui fermait chaque année pour cause d’ouverture (de la truite, du canard, du salon de la bagnole ancienne).

On se rabat chez le voisin, et c’est parti. Comme disait ma Meumé, le vélo, ça s’oublie pas ! Pendant qu’on pédale nos yeux papillonnent de part et d’autre et se gavent de paysages. On escalade quelques pentes en poussant poussivement, cherchant notre oxygène à plus de cinq cent mètres d’altitude, suivis de descentes où nous brûlons les freins pour revenir au niveau de la mer.

Tout est joli, on a visité le marae du Nord, très grand et bien mis en valeur, on est passé près de pièges à poisson dressés dans le lagon. Beaucoup de terres sont cultivées, il y a même un alpage à un des cols, avec de grosses vaches Néozélandaises au regard mou. La côte est tellement découpée qu’elle forme une très longue bande habitable au pied des montagnes. La baie de Maroe s’enfonce de prés de cinq km dans l’île.

L’habitat s’y disperse et s’évanouit derrière les haies de bananiers et de cocos. Certains farés, face au lagon, donnent des idées de sédentarisation. Les cimetières familiaux fleurissent au coin des maisons et offrent à leurs occupants l’immense privilège d’habiter chez eux pour l’éternité. Pratique interdite depuis dix ans, mais qui a la vie dure. Cela ne doit pas faciliter les déménagements, mais peut être cela entretient t’il chez leurs descendants une certaine conscience de leur qualité de vie. Comble de confort, la route est goudronnée de neuf, facile à rouler, et les voitures sont rares.

Parc à bateaux

Plein sud, c’est la tempête, nous luttons, courbés contre les éléments déchaînés ; il pleut et il vente. Une demi heure plus tard, nous suons dans les dernières cotes, parfaitement secs. Ca sent l’écurie, mais les derniers kilomètres nous arrachent quelques gémissements. Nous ramenons les vélos en parfait état, mais un peu crevés (nous, pas les vélos) La loueuse nous regarde avec des yeux de polynésien frit en bégayant qu’on a parcouru 70 km dans la journée. Je ne dois pas avoir une tête de cycliste. On se sauve avant qu’elle nous taxe pour utilisation abusive ou qu’elle appelle la police pour maltraitance à l’enfance en vacances.

Retour au bateau tout heureux de la journée de forçats en plein air que nous venons de passer.

Pour me décontracter je pars plonger avant la nuit, dés fois qu’un poisson suicidaire voudrait bien se jeter sur ma flèche, et je trouve à 100 mètres du bateau un jardin de corail magnifique, avec des milliers de poissons tellement beaux que je leur fiche la paix.

Je me venge au retour en pêchant un barracuda à la canne. Des journées comme ça, on les compte, même en vacances.

Escapade à Bora, la plus connue des îles sous le vent. Vous savez, le Bora Bora de la pub pour le loto ? Eh bien c’est un peu décevant ! Tartissime même, cet immense camp concentrationnaire pour touristes américains. Dure rançon de la beauté, car les couleurs du lagon sont magnifiques, les collines, surplombées par de hautes falaises de basalte, valent le coup d’œil, malgré une végétation moins généreuse que dans les îles précédentes. Hélas on en a fait une horreur.

Des hôtels cancérigènes interminables grignotent le lagon et les collines, le village est bien pourvu en boutiques à souvenirs en plastoque certifié “authentique artisanat polynésien“, de bijouteries de luxe revendant les perles des Tuamotu, mais les supérettes sont celles d’un tout petit village. Les hôtels pourvoient en fait à tous les besoins de leur clients. Les bateaux-taxi croisent par dizaines et à toute heure, et une décharge fume noir en plein air au vent de l’île.

L’habitat est bâtard, tristes farés classiques en panneaux de contreplaqué gondolé avoisinant mini villas en béton à étage. Les hôtels, à force de vouloir s’intégrer, font dans l’urbanisme à Tarzan façon cage à lapin. Heureusement quelques endroits de la côte sont épargnés et surtout, les tambours traditionnels retentissent tard dans la nuit, les piroguiers s’entraînent à tout va, et la gentillesse des locaux est surprenante, partout un sourire, un bonjour aimable, sans aucune trace de servilité.

Nous quittons tout de même le centre ville dés la fin de notre désormais classique tour de vélo que nous ne recommanderons à personne, et partons mouiller seuls au milieu des patates, là où le tourisme industriel se fait un peu oublier. Là, nous sommes heureux d’être en bateau.

Mais le mouillage suivant, de l’autre coté de l’île, réputé pour être le lieu de rendez vous de raies géantes, nous ramène à la réalité. Là où ne devrait s’étendre qu’un miroir limpide qui donne aux dessous des nuages des reflets turquoise, une centaine de bungalows émergent de l’eau comme des champignons. Des barges transportent des centaines d’ouvriers matin et soir. Nous sommes aux premières loges pour constater en direct l’impact économique du développement touristique (positif, reste à voir pour qui à long terme ?), et dans le même temps l’impact écologique.

Même en imaginant que les rejets liés à ce genre d’installation soient parfaitement contrôlés, c’est un massacre sur le plan esthétique. On devine que sous peu les cannettes de sodas parsèmeront les fonds, que les emballages plastiques décoreront le rivage, et que les vedettes à moteur reliant le complexe à l’île principale tourbillonneront comme une nuée de sauterelles.

Alors les nombreuses raies qui sont l’actuelle attraction de cette partie du lagon iront probablement se reproduire plus loin. Par hasard, des amis qui parlaient avec des locaux ce matin nous rapportent leur sentiment de rejet de cette urbanisation insultante, autorisée par les seules lois des leviers financiers, au mépris des choix d’avenir de la population. Tout cela ressemble fort à du néocolonialisme, l’argent fait loi et croit préparer pour demain des armées de larbins obéissants, mais il est clair qu’un sentiment protestataire croit dans le même temps et que les lendemains ne chanteront pas le même air pour tous.

Hélas, les armes des investisseurs, expérience accumulée et appât du gain, sont au final toujours plus fortes que l’indignation populaire, et l’avenir de Bora est déjà écrit, gravé au marteau piqueur dans le corail.

Nous voilà d’ailleurs en pleine tourmente politique, l’ancien président contre attaque, retourne un élu et est en train de réaliser un genre de coup d’état démocratique orchestré par les amis de Chirac. Quand on vit en Polynésie depuis quatre mois, on mesure l’hypocrisie et la malhonnêteté des coloniaux français, on frémit devant le gâchis d’argent public.

L’indépendantiste Temaru diabolisé par une partie des médias manquait sûrement d’expérience, mais que la France refuse de reconnaître un de ses élus entré par la porte, pour le jeter par la fenêtre quatre mois plus tard, cela n’est pas très glorieux.

Piège à poissons

Vous aurez compris que les Iles Sous le Vent se vivent en demi teinte, dans un mouvement oscillant entre l’émerveillement et le désabusement. Ca vaut le détour, si on y passe, et surtout si on ne connaît pas d’endroits comparables.

Bientôt nous aborderons une autre Polynésie, sous influence british, avec les îles Cook. A suivre…Le séjour touche à sa fin, Bérenger a reçu ses cours du Cned et Quentin a récupéré ceux qui ont servi à un autre élève de seconde l’année dernière. C’est suffisant pour qu’il puisse travailler jusqu’en Nouvelle Zélande, où il paraît que le système de poste restante fonctionne bien.

(Pour info, je glisse l’adresse ici, pour ceux qui tiendraient absolument à nous envoyer du courrier ; “Alexandre de Roquefeuil, Poste Restante, Central Post Office, Whangarei, NeaZealand“)

Nous étions sur le point de partir, mais une visite médicale pour Bérenger qui se plaignait de douleurs au ventre change nos plans. Intervention chirurgicale impérative, pour opérer une hernie. Pas question de prendre le moindre risque avec la santé. Les médecins sont sympa, ils comprennent que nous devons partir avant la saisons cyclonique, et tout s’organise en un tour de main.

Heureusement il y a un hôpital de bonne réputation sur place, à Raiatea, et le quai d’Uturoa nous permet de nous en amarrer à quelques mètres. Pendant notre attente, dans le lagon, les baleines franches viennent apprendre à nager à leur baleineaux, et les vagabonds des mers se regroupent comme des oiseaux avant une grande migration. Il est encore un peu tôt pour descendre affronter les perturbations du printemps austral.

Le poste BLU acheté à Tahiti nous permet de recevoir chaque jour une carte météo qui confirme que nous devrons poursuivre à l’Ouest avant de quitter les tropiques. Je profite de ces prolongations pour perfectionner mes connaissances météo, en traduisant de l’anglais un ouvrage néo-zélandais. Avec les cours du Cned, cela donne une ambiance très studieuse à bord, rythmée par la baignade quotidienne, les parties de “donjons et dragons“ des mômes, les apéros du soir. On ne peux pas vivre l’aventure tous les jours, parfois une sorte de routine quotidienne nous rattrape.

La suite dans quelques semaines, à bientôt…

Alex

Commentaires

  • Alex a écrit """Nous voilà d’ailleurs en pleine tourmente politique, l’ancien président contre attaque, retourne un élu et est en train de réaliser un genre de coup d’état démocratique orchestré par les amis de Chirac. Quand on vit en Polynésie depuis quatre mois, on mesure l’hypocrisie et la malhonnêteté des coloniaux français, on frémit devant le gâchis d’argent public.
    L’indépendantiste Temaru diabolisé par une partie des médias manquait sûrement d’expérience, mais que la France refuse de reconnaître un de ses élus entré par la porte, pour le jeter par la fenêtre quatre mois plus tard, cela n’est pas très glorieux. """

    En réponse, l’article du Monde cde ce jour :

    Temaru le pacifique

    Rieur, généreux et indépendantiste mesuré, Oscar Temaru, président de la Polynésie française renversé par un coup de force de son prédécesseur Gaston Flosse, attend, confiant, un retour aux urnes.
    Dimanche 23 mai 2004 : dans la luxueuse salle de réception du palais présidentiel de Papeete, des centaines d’invités se pressent autour d’un buffet somptueux. Ils ont répondu à l’invitation de Gaston Flosse, pour une soirée électorale dont tout indique qu’elle se terminera par une nouvelle victoire du président de la Polynésie française.

    Au vu des premiers résultats s’affichant sur des écrans géants, celui-ci peut déjà savourer son triomphe. Soudain, la brillante assemblée semble se pétrifier : les Îles du Vent, Tahiti et Moorea, ont voté contre Gaston Flosse, qui perd de ce fait la majorité à l’assemblée territoriale et devra passer la main. Un proche du président battu demande à l’assemblée de prier "pour que Dieu nous sauve".

    A quelques kilomètres de là, assis sur une chaise d’écolier, un homme regarde aussi la télévision dans une salle de classe de la ville de Faaa. Il est seul. A 59 ans, un quart de siècle après avoir fondé son parti, le Front de libération de la Polynésie, Oscar Temaru, responsable de la coalition victorieuse, sait que son heure est arrivée.

    Le chemin a été long. Oscar naît le 1er novembre 1944 à Faaa dans une famille pauvre. Il suit des études sommaires et fréquente le petit séminaire en Nouvelle-Calédonie, où il rencontre Jean-Marie Tjibaou, le futur leader indépendantiste kanak. A 16 ans, il s’engage dans la marine et, en 1961, arrive en Algérie, où la guerre fait rage. "Il a été très marqué par ce qu’il a vu là-bas, raconte un de ses frères, par les brimades à l’égard des "bougnoules" : "C’est un peu comme si nous, nous venions en France pour taper sur les Français !" De retour à Tahiti, Oscar Temaru est engagé dans le service des douanes et se marie, en 1972, avec Marie, une enseignante de sept ans sa cadette, qui restera toujours dans l’ombre, à ses côtés, et lui donnera sept enfants.

    A Tahiti, il est d’abord célèbre pour ses exploits sportifs. "Il était bon en tout, et c’est comme cela que je l’ai connu", raconte un de ses anciens amis. Oscar touche à la politique et se présente aux élections municipales de Faaa. Battu, il se décide à franchir le pas et, le 20 avril 1977, il crée Front de libération de Polynésie, qui réclame bien entendu l’indépendance et qui deviendra plus tard le Tavini Huiraatira (Serviteur du peuple). "Le mot indépendance, écrit Jean-Marc Regnault, maître de conférences à l’université de la Polynésie française, s’il n’est pas nouveau dans la vie politique, semble prendre un sens radical.(...) Il y a aussi une valeur morale, religieuse dans le terme." Un groupuscule de plus, pense-t-on. Le Front, partagé entre ses différentes tendances, obtient des résultats confidentiels aux différentes élections.

    Jusqu’au 13 mars 1983, quand Oscar Temaru est élu maire de Faaa. Il fait enlever le drapeau tricolore flottant devant la mairie et demande que, pour sa prestation de serment, on retire aussi le buste de Marianne du salon d’honneur. Un jeune fonctionnaire, employé à la mairie depuis 1978, est chargé de cette mission. Il s’appelle Antony Geros et deviendra président de l’Assemblée territoriale. "Moi qui avais été formé dans le respect des symboles républicains, raconte-t-il aujourd’hui, me voilà sommé par mon maire d’y contrevenir." Que faire ? "Heureusement, répond-il en souriant, que, sans doute grâce à une intervention divine, la Marianne en plâtre a tout simplement explosé. Il était trop tard pour en trouver une autre et la cérémonie d’intronisation a pu avoir lieu sans incident."

    Les voies du Seigneur étant, ici plus qu’ailleurs, impénétrables, nul ne saura ce qui est réellement arrivé à la Marianne de Faaa. Toujours est-il que Tony Geros, comme beaucoup de gens de sa génération, commence à se sentir "interpellé"par l’action d’Oscar. "Je suis allé l’écouter au cours d’un meeting et j’ai été vraiment conquis par l’homme et par son message. Il ne parlait pas d’indépendance à tort et à travers. Mais il savait nous raconter notre histoire, une histoire occultée par le colonialisme. Alors, je me suis engagé."

    Il ne sera pas le seul. Scrutin après scrutin, le Tavini améliore ses scores électoraux, tout en restant loin de ceux du Tahoera’a Huiraatira (Rassemblement du peuple), un parti "gaulliste" fondé en 1977 par un instituteur converti dans les affaires, Gaston Flosse. Fils d’un père lorrain et d’une mère polynésienne - un "demi", comme on les appelle ici -, Gaston Flosse a remporté les élections territoriales en 1982 et devient président du gouvernement du territoire en 1984.

    La bataille entre Gaston et Oscar commence. Elle dure toujours. "En se diabolisant, ils s’alimentent l’un l’autre, commente un Tahitien. Flosse se sert de Temaru comme d’un dangereux épouvantail indépendantiste et Temaru utilise la gabegie et l’autoritarisme de Flosse pour asseoir sa réputation d’intégrité et d’homme du changement."

    Mis à part leur catholicisme et le fait d’avoir fait très peu d’études, tout les oppose, jusqu’au physique. Gaston, c’est le bon élève, toujours bien mis, plus français que français, avec ses cheveux blonds, son visage poupin et ses lunettes cerclées. Derrière l’apparente timidité se cache un dur, intelligent, avisé, travailleur. Une machine à conquérir et à faire fructifier le pouvoir.

    Polynésien jusqu’au bout des ongles, Oscar est rieur, généreux, sensible. Il n’aime pas le conflit. Porté à la discussion, et peu importe si elle dure des heures, il cherche avant tout le compromis et a énormément de mal à décider. "Sa principale qualité ? Il aime les gens. Son principal défaut ? Il aime les gens", ironise un de ses proches.

    AU départ, Flosse et Temaru campent sur des positions extrêmes. Le premier défend l’unité de la République tandis que le second a fondé son parti sur un nationalisme exacerbé, comme il l’exprime en 1990 : "Nous ne sommes ni ne voulons être français, notre patrie, la terre de nos ancêtres, n’est pas non plus un morceau de sol français remorqué au travers des océans." Il s’oppose aussi à l’Europe, qu’il assimile tout simplement à un prolongement de la France. "Résistons,demande une pétition du Tavini, à l’envahissement de notre pays par l’Europe du grand capital, libérons notre pays du joug colonial français et européen."

    Oscar, désigné en 1987 "président d’office et à vie" du Tavini (cette clause sera levée en 1990), parvient à sublimer les contradictions de son parti. Comme celle, par exemple, de se proclamer laïque et de choisir la croix comme symbole. Orateur inspiré, il sait convaincre, rassembler, mobiliser. En 1986, pour son premier discours devant l’Assemblée territoriale, il parle plus de deux heures malgré les rappels à l’ordre du président. Celui-ci fait couper le micro, puis le courant. Qu’à cela ne tienne : aussitôt l’électricité revenue, Oscar reprend de plus belle.

    En 1995, la décision de Jacques Chirac de reprendre les essais nucléaires relance les activités du Tavini. Oscar Temaru est de toutes les marches, manifestations, colloques, de protestation. Là se forme le creuset rassemblant tous les opposants à Gaston Flosse, qu’ils soient ou non indépendantistes. Le 6 septembre 1995, une manifestation antinucléaire à Papeete dégénère : la ville est ravagée. Ces violences ne vont pas nuire au Tavini, qui en 1996 augmente ses suffrages de 13 %. "Désormais, déclare Oscar Temaru, le mot indépendance est inscrit dans l’histoire de ce pays."

    C’est pourtant à partir de cette époque qu’il va faire prendre à son parti un tournant important. Certes, il réclame toujours l’indépendance, mais admet que celle-ci peut-être progressive et que la France peut "accompagner la Polynésie sur la voie de son émancipation". Il abandonne aussi les revendications autogestionnaires et socialistes des débuts. Gaston Flosse a, lui aussi, considérablement évolué, et voilà que, sur le papier, on ne voit plus beaucoup de différence entre l’autonomie, de plus en plus poussée, soutenue par Flosse et l’indépendance, de moins en moins radicale, prônée par Temaru. Celui-ci a ainsi décidé d’aller aux élections de 2004 à la tête d’une coalition comprenant de petits partis autonomistes, après avoir passé un "accord de partenariat" avec les socialistes métropolitains

    Le slogan fédérateur est trouvé : "Taui" (le changement). Il faut en finir avec le système Flosse. Lancé, le slogan fait tache d’huile. C’est en criant "Taui ! Taui !" que les jeunes manifestent. De nombreux popa’a(les "torses brûlés", comme les Tahitiens désignent les Blancs installés dans l’île) commencent aussi, par conviction ou intérêt, à demander ce changement. Le vent tourne. Gaston Flosse ne voit pas le coup venir. Il continue à vilipender Temaru, "l’indépendantiste". Et c’est sûr de son fait qu’il met les petits plats dans les grands pour la soirée électorale du 23 mai.

    Trois semaines plus tard, le lundi 14 juin à l’Assemblée territoriale, Oscar Temaru ouvre la séance en prononçant la prière traditionnelle. L’homme n’a pas beaucoup changé. Massif, les cheveux poivre et sel, les lèvres toujours serrées dans un sourire énigmatique, il use de son charme et de son charisme. Seul candidat à la succession de Gaston Flosse, il monte à la tribune pour un discours de près de deux heures, d’abord en ma’ohi puis en français. "Je fais confiance au bon sens des Polynésiens et de l’Etat français", déclare-t-il notamment, avant de lancer un vibrant hommage à l’euro, "synonyme de stabilité et de crédibilité monétaire". "Tout le discours de politique générale d’Oscar Temaru donnait un nouvel écho, plus local, à la phrase illustre sur le ton : "Monsieur Flosse, vous n’avez pas le monopole de l’autonomie"", commente Muriel Pontarolo, rédactrice en chef du quotidien Les Nouvelles de Tahiti. A midi, ce 30 juin, Oscar Temaru est officiellement élu président de la Polynésie française par trente voix. Il nomme son gouvernement, qui durera moins de quatre mois.

    Il est difficile aujourd’hui de dresser un bilan, même sommaire, de cette si courte expérience du pouvoir. "Nous avons fait preuve de beaucoup de candeur et de naïveté", résume le ministre de l’éducation, Jean Marius Raapoto. Personne n’ayant véritablement prévu la victoire, les ministres tâtonnent. "On nous avait fait peur en disant qu’ils allaient tout chambouler, on pourrait presque leur reprocher de n’avoir pratiquement rien fait", regrette un étudiant. La majorité plurielle est aussi aux prises avec ses tensions internes. "Le début de la fin ?", s’interroge, début octobre, le mensuel Tahiti Pacifique, qui dénonce les manœuvres de déstabilisation menées par les "barbus", nom donné à certains conseillers proches de Temaru. "Le président ne s’est pas toujours entouré des personnes les plus recommandables moralement", estime un universitaire.

    Contradictoirement, on reproche aussi au nouveau président de "se priver de l’arrosoir". Traduire : de vouloir en finir avec le clientélisme sans limite de son prédécesseur. On critique aussi l’amateurisme d’Oscar Temaru. "La différence entre Flosse et lui, c’est que Flosse travaille et qu’il est bien conseillé", ironise-t-on dans les cafés de Papeete.

    D’autant que l’ancien président, cerné par les affaires, est à l’affût. En aucun cas il n’a renoncé au pouvoir. Un député de la nouvelle majorité, Noa Tetuanui, change de camp et, le 9 octobre, l’Assemblée vote une motion de censure à l’encontre du gouvernement. La suite est connue : Oscar Temaru est à la tête de la manifestation la plus importante jamais organisée dans l’archipel, qui met plus de 20 000 personnes dans les rues de Papeete. Passant outre, Gaston Flosse se fait élire président de la Polynésie par l’Assemblée.

    Comment résister ? Oscar Temaru réunit tous ses ministres et les chefs des partis de la coalition. La discussion est longue, tendue. Les plus durs proposent des solutions radicales : manifestations ininterrompues, grève générale, blocage de l’île. Fidèle à lui-même, Oscar Temaru parvient à imposer la voie pacifique : un jeûne dans l’enceinte de la présidence jusqu’à ce que Jacques Chirac finisse un jour par prononcer la dissolution de l’Assemblée et un retour aux urnes. Plus "conscience" que politique, plus Gandhi que Castro, Temaru sait que le temps travaille pour lui.

    José-Alain Fralon le Monde 30 10 2004

    • cela est vrai mon cher ami, mais laisser moi vous dire que j’aime beaucoup oscar et que je ferais tout pour lui,alors ce n’est pas vous qui allait dire des choses de lui espèce d’ingras

      vous n’avais pas interet a dire encore d’autres choses sur lui
      mais d’un coté vous avais raison et pour cela je me tais
      gaston flosse était un bon président mais il on voulait trop,il fallait qu’un jour en le remplace et c’est ce qui ces passer et je dis "heureusement" et de même qu’oscar ne c’est fait élir qu’il n’ya pas beaucoup de temps ce "match" a été vraiment sérré je le reconnais mais il faut l’accepter en la élu président,ilest le nouveau président (point barre)

      votre ami proche

    • """" vous n’avais pas interet a dire encore d’autres choses sur lui """"

      des menaces ???

      effacaaaaajjjjjj ! ! !