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CUBA

mercredi 1er juin 2005, par Admin

pour Anita : notre
dictateur de 25m2

Pas facile d’être équipier sur Horus ces derniers jours ! Cuba semble utiliser des pouvoirs occultes pour nous tenir à distance. Vent contraire, c’était prévu, mais pas aussi fort, nous obligeant à passer une nuit à la cape pour tenir à distance les redoutables bancs et récifs plantés d’épaves qui balisent la route à l’Ouest de la Jamaïque.

Courant contraire, c’était prévu aussi, mais cela reste ruinant pour le moral. Nuages lourds, air brûlant et humide, on se demande à un moment si cela ne va pas se transformer en tempête. Non, c’est juste une onde tropicale, trois jours pour y échapper, trois jours sans ventilation dans le bateau, les hublots restant fermés pour ne pas ajouter d’eau liquide à l’humidité ambiante. Dans ces conditions absolument exécrables, Gaëtane et Bérenger ont le mal de mer, et j’attrape le redoutable rhume de Panama, avec une fièvre qui me scotche pendant 24 heures. Ce sera l’occasion pour Quentin de prouver qu’il arrive à faire avancer le bateau sans moi ; un vrai plaisir.

Le retard accumulé depuis notre départ de Nouvelle Zélande nous impose un timing et transforme ce retour en convoyage plutôt qu’en voyage. Cela casse l’ambiance à laquelle nous nous sommes habitués, surtout lorsque les conditions sont contraires. Je fixe une limite à ne pas dépasser dans l’Ouest, au delà de laquelle on forcera la route au moteur. Nous en approchons, 60 milles sous le vent de la Jamaïque. C’est la nuit, le point approche, j’attends une hypothétique bascule de vent prévue par la météo, voyant le ciel s’obscurcir et gonfler un énorme cumulus noir. C’est un nuage Rasta, qui sent l’herbe brûlée et s’éloigne de Kingston en tournoyant paresseusement vers l’Amérique centrale. Trop d’herbe peut être, le vent y perd la tête, souffle faiblement de ci, un peu plus fort de là, devient stupide et mou, s’évapore ; moteur !

Le capitaine est de mauvais poil, la fatigue, le stress de Panama, le sentiment d’être à la bourre, pas facile de gérer les contretemps qui s’accumulent depuis le grand Sud. Je décide de faire un arrêt café avant Santiago de Cuba, encore à deux jours de route.

24 heures plus tard, on y arrive. C’est vert et calme, la mer est pleine de barracudas qu’on rejette par peur de la ciguatéra. Une demi bonite monte à bord amputée de sa moitié arrière par des dents tranchantes à faire peur. Des pinasses nous croisent, leurs chaluts suspendus aux tangons comme des ailes, et vont bourdonner lourdement sur les hauts fonds qui s’étendent jusqu’à trente miles de l’île. Saluts amicaux de marins sûrement peu habitués à croiser des voiliers. Nous passons devant "las Colorados", la plage où Fidel a abordé pour lancer sa Guérilla Révolutionnaire, et arrivons au mouillage indiqué par notre guide de navigation, Niquero. Premier contact avec le communisme tropical, cheminée d’usine triomphante sur fond de mangrove à moustiques et cul de baie vaseux, eau trouble à planquer un sous-marin soviétique, mais on est heureux d’y jeter l’ancre par une fin d’après midi toute joliment ensoleillée.

J’appelle à la vhf, pas de réponse, mais je m’y attendais. Une demi heure plus tard un guarda frontera arrive à l’aviron avec deux ados sympa, mais hélas nous expulse parce qu’il est impossible de faire notre entrée ici ( nos informations sont obsolètes). Il nous envoie à vingt milles au Nord à Manzanilla ou à dix milles au Sud à Cabo Cruz. Avec la nuit qui tombe dans une heure et le labyrinthe de corail de la baie, on opte pour le Sud en se disant que c’est pas un marin, ce gars là. Mais le bouquin à yachtman dit que là aussi pas d’entrée possible, alors on mouille à l’abri des regards à la nuit tombée, et on part comme des voleurs au petit matin pour le "grand" port le plus proche, quarante milles quand même. Nous apprendrons par la suite qu’aucun de ces ports ne permet d’entrer à Cuba. On en profite pour pêcher deux autres barracudas, espérant qu’ils ne sont pas tous toxiques. Arrivés au port de Pilon, on se dit le nuage de Tchernobil a du passer avant nous, mais, confiants dans les indications du guide, on attend.

Coléoptère

Une barque de pêche, que même le Captain Haddok n’en a jamais vu des comme ça, nous apporte un guarda frontera, un chien comme Rantanplan en plus beau et un individu officiel sympathique mais de fonction non déterminable. J’annonce que nous souhaitons faire notre entrée internationale, la "primera entrada en el pais, por favor". " Ah ben là c’est pas possible mon brave, les "maritima" sont partis, (et ne sont pas prés de revenir à mon avis), faut aller à Santiago.(tient, c’est là qu’on va !)

Bon, pas le droit de rester, nous sommes à Cuba depuis 24 heures en clandestins, faut pas jouer avec le feu ni avec les communistes, ils pourraient nous prendre pour des espions belges à la solde des cousins de Lucky Luke. Dépité quand même, l’équipage, "quand est ce qu’on les mange, ces langoustes", crient les enfants, et Gaetane aussi.

On mouille à la sortie du chenal. C’est discret, le seul voilier à la ronde au bout des jumelles de la vedette armée d’un canon qui sommeille au ponton ! On s’équipe et on passe deux heures dans l’eau pour se venger, et on revient avec... des langoustes ! Hier un pauv gars se lamentait à la BLU que "ya rien qui va comme y veut", etc. Je lui ai demandé s’il voulait échanger sa place contre deux barils d’huile de foie de morue, ça l’a calmé.

Arrive le soir et nous repartons, la côte s’élève en collines, on dirait de vieux chiens de garde pelés, couchés mollement dans leur uniforme kaki.. La cote s’éloigne et se rapproche au gré des bords de prés très serré qu’on additionne patiemment, moral regonflé à bloc par les langoustes. Il faut pourtant se résoudre à lancer le moteur en pleine nuit, faute de vent.

Un peu de bricolage pour changer une turbine de pompe et ajouter à l’occasion un litre et demi d’huile dans le carter. On va bientôt consommer plus d’huile que de fuel avec cette mécanique !

Au petit jour changement de décor. Fidel a planté là des montagnes sur trois à quatre rangées, donnant un aspect tout à fait inabordable à cette partie de l’île. C’est posé un peu en désordre mais magnifique, et la mer creuse au rivage des dizaines de petites baies qu’on voudrait toutes explorer.

Enfin, voilà Santiago. Accès à la baie restreint par un étroit goulet que surplombe un très joli fort Vauban orangé ; un vrai rêve de pirates, imprenable par la mer. Ici la VHF fonctionne, et nous recevons chaleureusement l’autorisation d’entrer dans la baie et d’accoster au ponton de la marina, bâtiment orgueilleux et moderne détonant dans la baie, où l’habitat a tendance à se désagréger. L’eau est calme et noire, nous accostons à un des pontons en béton de guingois et déglingué de la marina.

En quelques heures les officiels défilent, encore un coup au porte monnaie mais il faut bien accepter que les camarades se rattrapent du blocus américain comme ils le peuvent. Polis, aimables et rapides, des supermen de la fonction publique, jusqu’aux inspecteurs qui fouillent le bateau avec une extrême attention à tout remettre en place rangé à l’identique, suant par trente quatre degrés sans beaucoup d’aération. Il faut voir "Démoustikator", armé d’une mini torche électrique et de ses yeux super-perçants, scruter le fond des coffres pour focaliser la bête qui pique. Tout heureux qu’il n’y en ait pas, il nous signale qu’on se fera bouffer par ceux d’ici, mais grâce à lui beaucoup moins qu’avant. On est vraiment rassuré, et tordu de rire. Bon, ça va pour les compliments, le port a des règles très strictes, nous ne pouvons quitter le ponton de la marina et mouiller ailleurs dans la baie ni aux alentours proches. Les feux de secours et le GPS sont mis sous scellés, Cuba est depuis cinquante ans sur le pied de guerre…

Le maître de port nous abreuve de conseils, sur les risques du marché noir, sur le système monétaire à deux changes, en pesos ou pesos convertibles selon le type de marchandise et le lieu d’achat. On parle un peu de tout, sauf de politique, sujet tabou.

Pendant ce temps, la tempête tropicale que nous redoutons depuis une semaine s’est installée juste de l’autre coté du Honduras, et sa trajectoire passe exactement sur le sud de Cuba. Ce n’est qu’une prévision mais elle n’est pas sympa, avec le risque de rester coincés ici plus que prévu. Hélas, pour des voyageurs en bateau Santiago c’est trop d’inconvénients. Trop éloignés de la ville, c’est ruinant en transport et en marina, et comme la sortie du pays ne se fait qu’ici ou à plus de trois cent milles, cela nous ôte toute possibilité de croisière côtière aux alentours (pour nous qui n’avons plus le temps d’y traîner) …

Camion bus

Le lendemain matin, j’énerve tout le monde pour qu’on ne rate pas le bus pour la ville, qui est à une dizaine de km. On se retrouve à papoter deux heures avec les mamas du village, le temps de comprendre que l’eau et l’électricité ne sont pas aussi courants que chez nous, et que les horaires de bus n’ont pas été imprimés dans le marbre. Enfin, il arrive, pour nous lâcher deux bornes plus loin, un pneu éclaté en plein virage. On marche jusqu’au patelin suivant, et finissons le trajet dans un superbe camion rouge bâché tonitruant avec une cinquantaine de cubains entassés au chausse-pied.

Les couleurs de
Santiago de Cuba

Ejectés au cœur de Santiago, on est saisi par l’architecture néo-coloniale, colonnes grecques et frises exubérantes aux couleurs vives, et par la propreté. Les gens sont bien sapés, souriants, plutôt minces, la musique sort de tous les murs, on se sent bien. Cela me rappelle Valparaiso, sans les bidonvilles et en plus petit. En quelques minutes un jeune guide non officiel nous saute dessus pour nous faire découvrir la ville. Il parle un peu français, comme beaucoup d’autres ici. Pas moyen de s’en débarrasser, nous découvrons le marché parallèle, celui qui permet à de nombreux cubains d’arrondir leurs fins de mois. Les ouvriers des fabriques de cigares et des distilleries sont payés pour partie en nature. Que faire de cigares à dix dollars pièce quand on gagne dix dollars dans le mois ? Trouver des touristes pour les acheter. On se laisse un peu faire, malgré les recommandations de la veille, et faisons le plein de Cohibas illégaux.

Marché noir, déjeuner chez l’habitant (à prix d’or, on n’avait pas demandé les prix avant), découverte du Ragaton, la musique des djeuns d’ici (bof !) chez un pirate du copiage maculé de la graisse de sa Lada en réparation. Plus loin "répète" en plein air d’un groupe de Salsa, puis on prend un verre dans un bistrot extraordinaire, visite du musée Vélasquez (sans grand intèrêt), cela nous offre tout de même une bonne tranche de la vie cubaine. Comparé à ce que nous avons vécu au Chili et à Panama ou encore aux Antilles l’année précédente, la terreur rouge des Caraïbes s’en sort sacrément bien coté ambiance urbaine. Mais, mais hélas, la concentration policière est impressionnante, et bien que leur présence soit discrète, ils sont difficiles à cacher. Nous savons que la police a pour rôle de protéger les touristes des excès d’attention des cubains, qui cherchent la moindre occasion pour faire un peu de bizness. Cela semble excessif, notre guide prend une amende pour nous avoir parlé trop "commercialement"", et nulle part, même dans les quartiers peu surveillés, nous ne ressentons de pression "insécuritaire" (comme on doit dire en France à ce jour).

Belle americaine...

Le lendemain on y retourne en taxi, ça coûte une place de ciné mais le spectacle en vaut la peine. Salles de musique dans tous les quartiers, salle publique de jeux d’échec d’où la concentration est perceptible jusqu’au trottoir, circulation enfumée mais hallucinante. Pour les amateurs, il y a toute la gamme Lada bien sur, mais surtout de vieilles et belles américaines Buick, Pontiac ou Chevy, luisantes et chromées jusqu’aux dents, dont le V8 soupire comme un vieux tigre.

Pour les amateurs

Et puis des bécanes qu’on croyait disparues, des Jawa toutes neuves, des MZ, et Royal Enfield, que leurs passagères montent en amazones, des side- BM d’avant guerre. Et encore des triporteurs à deux passagers, des charrettes à cheval, et encore ces monstrueux camions bâchés qui grondent sous la charge ; tout ce qui peut servir à se déplacer est utilisé.

On visite le musée Bacardi, galerie de peinture et d’objets historiques, où la seule toile qui nous saute vraiment au regard est un paysage peint par Miro. Peu d’œuvres populaires, rien d’artistique sur la révolution ni les siècles de combat entre Cuba et ses "maîtres" espagnols ou les envahisseurs américains.

J’entends des violons sur la place Cespedes, je vais voir, m’assois discrètement dans les environs ; Quand l’équipage me rejoint, on est repéré, et s’improvise un concert "pour la France". Je chante "la vie en rose" avec les fils spirituels de Grapelli et Compay Secundo, et d’autres trucs plus cubains ; attroupement au centre de la place, des flics de toutes les couleurs (en vert, en gris et en marron) participent au spectacle en souriant jusqu’aux oreilles. Deux jours déjà, et nous sentons que cette escale sera trop courte. Hélas, la soirée musicale prévue est gâchée par la pluie, les rues se vident et nous rentrons au bateau.

Bateau mouche
cubain

Pas d’eau au ponton, et des tonnes qui en tombent du ciel, imbuvable. La cimenterie voisine charge l’atmosphère de particules orangées qui s’incrustent dans le gel coat, et la raffinerie de suies grasses et noires. C’est la première fois que le bateau est plus sale après un grain qu’avant (je n’exagère qu’un tout petit peu) Qu’importe, en ajoutant de la lessive on lave l’eau et le linge en même temps, bref on s’en sort. Détail non négligeable puisque l’eau n’arrive au robinet qu’épisodiquement, ce qui fait râler notre voisin de ponton qui trouve abusif de payer le prix fort pour une marina obligatoire sans pouvoir utiliser les sanitaires, ni faire les pleins d’eau. Pour une fois qu’un type râle à ma place, je laisse faire et approuve pour le principe, en silence, n’ayant rien à reprocher à un pays qui a bien d’autres préoccupations que les touristes à voile. Sans vouloir faire l’éloge du lider massimo, vu de la rue ça ne fonctionne pas moins bien ici qu’au Chili ou qu’à Panama. On voit des gens aisés, et des pauvres, mais toutes proportions gardées moins qu’ailleurs. Les fringues sont pimpantes, les gros se font rares (ce qui ici traduit plutôt la privation), les sourires sont naturels et généreux.

Evidement pas question de parler de politique, les murs ont des oreilles très sensibles, je remarque que les jeunes n’ont aucune notion de l’histoire cubaine d’avant Fidel, et que personne n’ose évoquer l’après, sujet qui pourtant doit en chatouiller quelques-uns, puisqu’il a dépassé l’age du dernier Pape.

Le lendemain dernier jour, la météo est favorable pour quelques jours. Nous partons le matin faire notre marché, quelque part le long du port de commerce. Un triporteur finit par nous convaincre de nous y emmener, ça fait drôle d’être trimbalés par un gars qui pédale, mais c’est son métier après tout. Evidement il essaie de doubler le prix de la course, "c’est pour m’aider, une petite prime, à vôt’ bon cœur msieur-dame !" Pas facile d’être touriste à Cuba, faut un cœur de pierre ou un porte-monnaie format hotte du père Noël. On trouve des légumes frais et variés en direct du producteur, mais on délaisse la viande dont les mouches se régalent. Remontant à pied vers le centre, nous avons tout le temps de détailler la ville. Derrière les plus belles façades, les maisons tombent en ruine, faute de matériaux de construction.

On s’est vite aperçu que le potentiel de développement cubain est ligoté par le blocus américain, ce qui rend les Cubains d’autant plus admirables qu’ils s’en sortent avec les moyens du bord et avec le sourire. En trois jours d’une escale ridiculement courte, nous avons découvert un des pays les plus attachants que nous ayons traversé depuis deux ans. Dans la galerie des héros nationaux, tous poètes ou guerriers illuminés d’humanisme, le Che, décrété Cubain d’adoption, toujours très admiré. Par opposition, pour peu qu’on se penche un peu sur la situation, un tout petit peu, même sans en avoir l’air, la politique américaine à l’égard de Cuba est d’une noirceur intolérable, surtout depuis la chute du bloc soviétique. Elle est en fait devenue absolument injustifiable. Les anti-castristes ont beau jeu de dire que Cuba explique sa situation difficile par la faute du blocus, alors qu’elle serait uniquement due à sa gestion socialiste. Il y a, proportionnellement à la population, probablement plus de pauvres aux Etats Unis qu’à Cuba, et sans aucun doute plus d’illettrés, plus de gens mal ou pas soignés, plus de SDF, plus de monde derrière les barreaux. Et c’est peut être vrai aussi pour beaucoup de pays européens. Dans la vilaine famille des totalitarismes collectivistes, il y a l’exception cubaine qui vaut le détour. Tout le monde n’est pas heureux à Cuba, mais il en va de même partout sur la planète, et tous les cubains exilés ne sont pas heureux dans leur pays d’accueil.

Pêcheurs de langoustes
au large de Haïti.

Adieu Cuba, en route vers l’Est. Nous frôlons la pointe de Haïti, des dizaines de barques joliment gréées, pour la plupart sans moteur, mouillent des casiers à langoustes. La misère de ces marins là est choquante à quelques milles de Cuba. Je leur envoie un paquet de clops, un bidon d’eau, tous rament vers nous pour quémander quelque chose. Il faut arriver à fermer ses yeux, de toute façon on n’a pas de quoi aider tout le monde. Haïti, un sujet de fierté pour la France, non ?

Le vent a disparu, on s’habitue au ronronnement du Perkins, qui consomme de plus en plus d’huile, à moins que cela ne soit dû à la qualité de celle qu’on a achetée à Panama. Je me demande même si nous en avons assez pour toucher Porto Rico… Après la détestable remontée de Panama à Cuba, chacun s’accommode de cette mer lisse et miroitante, qui nous donne l’occasion de nous baigner sur l’heure de midi, par quatre mille mètres de fond. Je maintiens une petite moyenne pour arriver avant le retour des vents d’Est, que je crains en pleine forme après ces quelques jours de repos. Le cap Sud de Saint Domingue est passé de nuit, les phares sont en panne, mais la pleine lune nous permet de passer au ras des cailloux. Une journée sous spi, et Porto Rico se dessine bientôt en pointillés de lumière dans la nuit, ici c’est un bout des US, retour à la "civilisation".

Sam suffit

Arrivée de nuit, mouillage, au petit matin nous approchons de la marina, où s’alignent des dizaines de vedettes de pêche sportive à trois étages et tangons étincelants. Vu le cadre je sens que ça ne va pas être simple, la ville est au moins à cinq kilomètres. Je téléphone aux douanes et à l’immigration, toujours ces histoires d’entrées et de sortie des pays visités, et là je sens que cela ne va vraiment pas être simple. Arriver de Cuba aux States, c’est déjà mal vu, mais arriver de même sans visa, c’est quasiment du terrorisme. Je me fais tout miel avec les autorités, expliquant que l’escale n’était pas prévue, mais que le vent nous y a poussé, qu’on a plus d’huile ni assez de gasoil pour le moteur, plus de gaz pour la cuisine, et besoin d’eau (celle de Cuba est vraiment difficile à boire, surtout pour moi qui naturellement n’aime pas beaucoup l’eau) Jour de chance, on nous laisse deux heures pour faire les pleins avant de repartir, ou au choix, l’établissement de visas à 275$ par personne. Nous avons l’impression que les gabelous à Raybans se sentent gênés de devoir nous expulser. Revenant à pied sous un soleil de plomb du magasin où j’ai trouvé l’huile, je croise leur chef qui me demande si tout s’est bien passé, et qui me ramène au bateau dans son joli 4X4. Cela lui laisse le temps de râler contre la présence américaine en Irak, et de maudire la paperasserie qu’entraîne la psychose sécuritaire des services d’immigration.

Deux heures plus tard on retrouve le large, heureux d’avoir échappé aux complications. Le vent est revenu à l’Est, il faut de nouveau se bagarrer pour sauver le demi-nœud et le degré qui nous font progresser, 200 milles direction St Martin, dernière pose tropicale du voyage. Comparée à la première étape, Panama-cuba, c’est du gâteau ; les conditions sont aussi bonnes qu’on puisse le souhaiter pour une remontée contre le vent. Les jours de calme précédents ont assagi la mer, et le vent oscillant entre quinze et vingt cinq nœuds est presque parfait. Mais cela reste un combat, où chaque moment de relâchement est sanctionné d’heures sup, où les nerfs sont éprouvés par le choc du bateau qui tombe entre deux vagues, par l’arrêt brutal qui en résulte, par la risée qui refuse et le virement de bord infructueux. Plus on s’approche, plus les choix de routes se rétrécissent, plus la tension s’élève. Il faut comprendre que sans cette attention permanente, le bateau recule, à cause du fort courant qui pénètre entre chaque île dans la mer des Caraïbes. 2OO milles en route directe, parcourus en deux jours et demi, trois nœuds de moyenne, c’est vraiment de la bagarre. Marigot Bay illuminée comme un Noël nous accueille dans la nuit, on manœuvre sous voiles jusqu’au mouillage, le moteur est encore en panne de refroidissement. L’ancre posée, petit casse croûte, la pression retombe, nous voici à un nouveau tournant du voyage…

A la prochaine, ce n’est pas encore fini !

Alex

Commentaires

  • Alex,
    Nous sommes sans doute des dizaines et des dizaines à suivre tes grandes aventures , alors pour tout dire : chapeau !
    Chapeau et merci de nous faire partager tes émotions, tes découvertes, tes angoisses, ton amour du voyage, tes luttes contre ce temps qui passe trop vite.
    Ce temps, continue de le prendre, ne rentre pas trop vite car nous ne sommes pas encore prêts à lire le mot " fin " des amares qui se reposeront .
    Bien cordialement.
    Yves

  • Bonjour la famille Roquefeuille,

    Et oui vous vous rapprochez de Groix, je vois que tout va bien pour vous.
    Alex c’est un vrai plaisir de te lire, on a l’impression d’être embarqué sur Horus avec vous (mal de mer en moins), merci aussi pour les photos.
    Bon courage pour cette fin de voyage.
    Je vous embrasse tous les 4.

    Roseline

  • Sensible, intelligent et instruit. C’est pas mal pour un marin.