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Panama, le retour !
samedi 7 mai 2005, par
Départ de Quintero du Chili un peu chaotique. Pour aller à bord il faut obligatoirement se faire embarquer par la "lancha" du club, pas le droit d’utiliser son annexe. Les aller retours n’en sont pas simplifiés. Il reste l’avitaillement à terminer, les dernières lessives à ranger, les pleins d’eau et de gasoil plus compliqués que prévu à cause d’un mauvais ressac qui nous empêche d’accoster.
Le "cloubè de yates" tire un tuyau de cent mètres du quai pour l’eau
qui doit tirer sa source quelque part au Sahel, mais pour le gasoil, il faut "bidonner". On en met partout dans le cockpit mais Quentin et Bérenger jouent les parfaits matelots, et leur coup de main nous laisse espérer pouvoir quitter le port en fin de journée. Hélas, je passe une heure à chercher l’acte de francisation, trop bien planqué, et une autre à retrouver mon passeport, égaré, puis vient le temps des comptes. Les services de santé nous présentent un facture
de 200 euros. Maria Helena, l’hôtesse d’accueil, angélique, téléphone à travers le pays pour s’assurer qu’il n’y a pas d’erreur, mais c’est bien cela, au détail prés qu’on nous facture 30 euros de déplacement et 40 de dépassement d’horaire, alors qu’on était arrivés en plein après midi, deux heures après avoir prévenu par VHF.
La haine du fonctionnaire ne peut même pas s’extérioriser, ils sont absolument aimables, prévenants, gentils. Le comique de l’histoire, c’est que cette taxe s’applique uniquement aux bateaux arrivants du Pacifique. Quand on voit la paranoïa hygiénique des néozed comparée au bouillon de culture qui fait le choléras quotidien des chiliens, on typhus de rire ! Tiens donc, une semaine après la date prévue, voilà que l’Armada se réveille et débarque pour contrôler le
matériel de bord. Un spécialiste radio vient contrôler à bord le fonctionnement des VHF et BLU, encore une plombe de perdue. Le responsable de la sécurité "contrôle" tout le reste au bureau du club. Après tout il ne s’agit que de noircir du papier, ou de justifier un salaire. Enfin on peut aller tirer au distributeur
le complément de nos dettes, mais une erreur de facturation de l’hôtel en notre faveur nous décide à aller dîner au resto une dernière fois, après avoir laissé des pourliches aux gars du club.
Repas indigeste, vin médiocre, décidément c’est une journée difficile ! On est morts de fatigue, mieux vaut dormir au port et
partir à l’aube. A minuit, des cris me réveillent, un gardien du club vient me réclamer je ne sais quel paiement. Je refuse, tout est payé, je regrette de n’être pas déjà parti. Il revient une heure plus tard, c’est un papier qu’on m’a remis que je dois laisser au club. Je fouille, je garde le Zarpe (autorisation de sortie) et les factures, et donne tout le reste au gars, qui a l’air franchement éméché, et cogne plusieurs fois sur la coque avec sa "lancha". Cette fin d’escale Chilienne prend une allure aussi indigeste que le dernier repas. Cinq heures trente, le jour se fait attendre, le café fume encore quand je largue les amarres pour enfin prendre la route. Le temps est beau, la température monte gentiment, les soucis de la veille s’effacent pour laisser la place aux couleurs de ce drôle
de patelin, aux images des vendeurs de poisson, avec leurs étals en carton sanguinolent sur le trottoir, à ces visages métissés d’indien et d’européen, presque toujours souriants. On dirait qu’il viennent de faire un pas soudain de la misère à une relative richesse, et qu’ils en sont encore étonnés.
Une dernière touche d’ombre au tableau pour faire la mesure ; la planche de surf de Bérenger s’est "envolée", bien fait pour nous. Impossible de ne pas traîner l’image de luxe collée à notre peau de gringos. Quel que soit l’éclat des vernis ou des inox, un voilier évoque quelque chose de superflu, et tente les plus démunis. Nous l’avions oublié, égarés dans notre pays de rêveurs sans frontières, sur un Horus décapé et terni par un an et demi de sel et de soleil.
La côte défile à tribord, les neiges éternelles de la Cordillères de Andes s’élancent au dessus des brumes côtières, nous faisons cap au large pour nous éloigner de la route des cargos, et quitter la houle du plateau continental. La petite famille a perdu le pied marin, les estomacs sont un peu noués, voilà quatre mois qu’ils n’ont pas vraiment navigué. 48 heures plus tard tout va mieux, les conditions sont bonnes, les cours du CNED ressortent des classeurs, le rythme est retrouvé.
Les nuits sont d’un noir intense, hachées en bas par les déferlantes
phosphorescentes et, lorsque le ciel se dégage, barrées en haut par la voie lactée, où on devine les lueurs diffuses de galaxies inaccessibles. La Croix du Sud trace son arc chaque jour un peu plus bas sur l’horizon, pendant que le thermomètre remonte. Première dorade coryphène au quatrième jour, la couleur de l’eau tire à nouveau sur le bleu, tachée d’émeraude et d’améthyste. Nous sommes
aux marges des alizés, vents à peu prés réguliers de secteur Sud, entre force 4 et 6, plus de menaces de tempêtes. Horus zizague grosso modo vers l’équateur, reniflant le meilleur compromis cap vitesse entre les crêtes des vagues.
Petite frayeur avec une panne du pilote, vite repérée. Une connexion un peu vite faite au départ n’a tenu qu’un an et demi, le temps que l’oxydation s’en régale.
Par chance cela se passe en pleine journée, facile à réparer. Le bateau a fait demi tour avec empannage à la clé, le cardan de chariot de Grand-voile est pulvérisé ; un peu de bricole et c’est comme neuf.
Moins drôle, la poulie de drisse de spi rend l’âme dans un grand claquement. Sous le choc, le haut du spi s’est séparé du bas, seules les ralingues permettent d’affaler proprement. Encore des heures de couture en prévision, et des milles perdus sur la route. Je ne veux pas prendre le risque de monter au mat pour ce qui n’est après tout qu’un accessoire, imaginant mon équipage avec son capitaine hors
service. De toute façon, la moyenne journalière est au dessus de 6.5 nouds, et pas toujours confortable. Avec le spi on dépasse 7.5 noeuds de moyenne, mais cela ne représente qu’une journée de navigation en moins sur le parcours, avec des crispations non dissimulées dés que le vent dépasse force 5, vingt fois par jour.
Pas regrets donc, et surtout beaucoup de chance que la drisse ne se soit pas coupée à son passage dans le mat. Elle aurait fait un joli tas, risquant de bloquer toutes les autres. Et si le pilote avait lâché au moment où j’aurais décidé de faire le singe en tête de mat ???
Nos rêves de tropiques se font attendre, plusieurs journées passent sans un brin de soleil, et nos pensées s’envolent vers Groix, vers les potes, les projets, ou leur absence (des deux). Les premiers poissons volants font leur apparition, un par ci, un par là. On récolte des petits calmars sur le pont, la nuit, qui doivent
chercher à échapper à plus gros qu’eux. Coté pêche c’est la dèche, à part un bébé coryphène qu’on décide de laisser grandir, et sa mère qui ne fait que deux misérables repas. Puis, soudain, premiers coups de soleil, tellement heureux de se faire chauffer la peau qu’on se laisse surprendre, et brûler. Ca ne dure pas, la température de l’eau varie de 16 à 22°, les courants froids lèvent la brume, légère, mais le soleil écoeuré s’est fait la belle. Le fameux courant de Humbolt,
de mauvaise humeur ces temps ci, au lieu de nous porter au Nord fait de la résistance. L’eau prend parfois des couleurs toxiques, tachée de jaune verdâtre, ou de rouge "sang de bouf". Et le vent finit par nous lâcher, au bout dix jours, contredisant une fois de plus les Pilot Charts et Jimmy Cornwell, le célèbre grand comique de la grande croisière (réservé aux les initiés). Nous finissons la réparation du spi le plus vite possible, des centaines de points pour une dizaine
de placards et de rustines, je vole à Quentin et Bérenger le tissu qu’ils avaient chiné dans une voilerie pour fabriquer une maquette, et je ne suis pas peu fier de pouvoir renvoyer notre pistache à marques rouges avant l’arrivée. Coup de chance, le spi est un peu trop petit pour le bateau et on arrive à l’envoyer sur la drisse
de trinquette, théoriquement trop courte.
Tout à notre affaire, je ne vois pas le pétrolier qui vient à notre rencontre, le premier bateau depuis dix jours. Il croise à un mile, et disparaît dans la brumasse en moins d’un quart d’heure. Nous craignons un moment d’avoir approché un nid de cargos à l’approche de Panama, mais en fait cela reste très calme, et passé Guayaquil, les nuits qui s’adoucissent rendent le cockpit plus accueillant. Le
seul sujet de contrariété est le courant, qui nous fait perdre 20 miles par jours, d’autant plus que je comptais dessus pour les gagner, ces 20 miles. On continue à biaiser vers le large pour tenter d’y échapper et peut être y trouver une veine portante, mais le vent ne permet pas de s’éloigner de la côte sans faire un long détour. De toute façon, à cinq jours de l’arrivée, la journée perdue l’est
définitivement, et cela reste jusque qu’ici l’étape la plus confortable qu’Horus ait jamais connu.
Encore trois jours sur un lac immense, quasi désert. De rares cargos cheminent à l’horizon, d’encore plus rares bateaux de pêche posent des filets dérivants, nos lignes de traîne restent vides, et le ronron du moteur n’en finit plus, les bouffées de vent ne durant pas longtemps. Il vient à peu prés du Nord, pile dans l’axe de notre objectif, alors on fait de savants calculs pour déterminer les
meilleures options, et des paris sur l’heure d’arrivée. Le courant est toujours contraire, et charrie ces derniers jours de plus en plus de déchets, y compris des troncs d’arbres pas rassurants. On en a cogné un la nuit dernière, plutôt contents que cela ne soit pas à pleine vitesse. Malgré la lune qui mange la nuit, pas moyen
de les voir, flottant juste sous la peau de l’eau. Même de jour on les ne les aperçoit qu’au dernier moment, et encore faudrait il passer la journée à surveiller. Dans la journée, nous sommes sous le soleil exactement, pas à coté, juste en dessous, sans un nuage. J’ai redressé le support du taud de soleil tordu dans la tempête du Grand Sud, retendu le taud. On osait plus mettre le nez dehors, le cagnard devenait insupportable. Les réserves d’eau diminuent à vue d’oil, et
aussi celle de la cambuse. N’ayant rien pêché depuis plusieurs jours, nous en sommes au régime "boites de thon".
Un soir nous avons un invité surprise, un hirondelle qui est venue se poser à bord en fin de journée, puis, après plusieurs hésitations est revenue visiter le carré, gazouillant des appréciations d’oiseau, pour finir perchée au dessus de l’évier, sur le hamac à provisions. Imperturbable, dans les vapeurs d’oignons revenus, ou dans celle brûlante de l’eau des pâtes, indifférente à nos allées et venues, à Quentin qui fait bruyamment la vaisselle, à moi qui pétrit le pain, la menaçant de sévices en cas de lâché de crottes dans la pâte. Elle dort comme une bûche, bien que la comparaison ne soit pas tout à fait de circonstance. Bon, elle dort comme une brindille, c’est mignon comme tout, et "ça" a de la chance de n’être pas assez gros pour être comestible. Elle s’envole au petit matin et revient en fin de journée, on en croit pas nos quinquets, mais cette fois elle part dormir ailleurs.
C’est la fin de la ballade, je vais me reposer en demandant à Gaëtane de me réveiller une heure plus tard, pour l’atterrissage aux Perlas. Elle me laisse dormir plus que prévu, et lorsqu’elle me réveille, je devine que quelque chose ne se passe pas comme prévu.
Un coup d’oeil au radar nous montre au creux d’une baie ! Le vent et le courant nous ont porté plus vite que prévu, et nous sommes en fait déjà aux Perlas. Le phare sur notre bâbord est invisible, mais la lune découpe parfaitement le sinistre caillou qui borne le sud de l’Isla del Rey. On arrondit, on laisse au jour le temps de sortir de son lit, et nous remontons gentiment l’archipel, roches découpées, plages blanches et verdure exotique. Nous ne savons pas trop où poser
le fer, la marée basse nous obligeant à prendre des distances considérables avec la cote. Pour finir, prés d’un village de cinéma, une petite baie emplie d’eau claire nous attend. On y plonge. C’est bon, l’eau à trente degrés, pleine de poissons comestibles, on y plonge d’autant plus que le soleil est furieusement en forme, on y resterai bien quelques jours, mais la cambuse est vide, et le passage
du canal, cela ne s’organise pas en deux coups de tangon.
Nous voilà "redonc" à Panama. J’aurais voulu que ce deuxième passage adoucisse la mémoire du premier, mais jusqu’à aujourd’hui, c’est exactement l’inverse qui se produit.
L’année passée, nous avions eu affaire à un "agent" pour toutes les démarches administratives, ce qui n’était pas une réussite sur toute la ligne. Naïfs, nous décidons que les agents, c’est juste bon pour les "américains". Mauvaise pioche et malchance, il me faudra quatre jours pour réussir à boucler les formalités d’entrées, incluant le paiement pour le passage du canal. Pour ce dernier, je me fâche pour de bon, crie en espagnol à un guichetier hostile que j’en ai ras les
écoutilles d’être traité plus bas qu’un lave-pont. Devant une file d’attente de cinquante personnes, je m’enchaîne au comptoir et déclare que je n’en partirai que lorsque mon paiement sera encaissé. Jamais vu un banquier refuser du cash en dollars, celui là nous en veut, c’est sur !
Le soir, j’appelle le service de programmation du canal, qui m’annonce 8 jours d’attente, je soupçonne le guichetier d’avoir demandé qu’on nous fasse traîner, pour se venger.
Le mouillage à Punta Culebra n’est pas très pratique, mais c’est le moins désagréable de la région, pas trop mal protégé, pas trop bruyant ni remuant. On fait connaissance de plusieurs équipages qui découvrent le Pacifique, pas peu fiers d’en savoir plus qu’eux. Par chance il y a deux ados du même age que Quentin et Bérenger, ils comparent leurs progressions et résultats du CNED, nous sommes
proches de la fin de l’année scolaire, des conseils de classe, et un peu à la bourre bien entendu. Il leur reste tout de même un peu de temps pour les loisirs, hélas pas très sportifs. L’inactivité physique les pousse à utiliser les avirons à la place du moteur de l’annexe, c’est tout dire.
La frustration due à l’attente est rapidement diluée dans les montagnes de petits et gros boulots que cette pose autorise. On trouve deux panneaux solaires, beaucoup moins chers qu’en France, pour remplacer celui que la mer nous a pris. Un autoradio, enfin de la musique à bord, et un Gps miniature pour remplacer l’ancien en attendant une éventuelle prise sous garantie. On déniche des magasins
de tissu qui nous décident à refaire la sellerie, les prix étant incroyablement bas. Le fait de parler espagnol nous ouvre un peu les portes, on finit par obtenir quelques sourires. Comme partout il y a ici des aimables et des portes de prison, et notre comportement est pour beaucoup dans le leur. Le métissage est encore plus remarquable qu’au Chili, il faut le voir pour se rendre compte à quel point
notre "blanchitude" européenne est triste et grise.
Panama, pays de misère orgueilleux pourri par son pouvoir de nuisance
monopolistique.
Pas d’endroit où accoster sans payer, 5 dollars par jours pour amarrer l’annexe à un ponton, les enrochements aux alentours n’autorisant que les débarquements "légers". Les distances entre chaque centre d’activité sont énormes, faisant la richesse des bus et des taxis. Embouteillages et concerts de klaxons, tours de
verre flamboyantes et autant d’immeubles ruinés au cour de la ville, 4X4 étincelants et odeurs de poubelles irrépressiblement vomitives.
Panama, pute crasseuse en déshabillé de luxe, que la peste t’étouffe, que l’avenir puisse m’épargner de te revoir.
Alex
Commentaires
1. > Panama, le retour !, 7 mai 2005, 15:07
Bonjour à vous,
Je me demande si je ne vais pas inciter la douane groisillonne à organiser une opération de grande envergure pour le jour de votre retour : bateau vidé, et même pourquoi pas, fouilles à corps ! Pour les motiver, je leur indiquerai que vous avez acheté du matériel en cours de route (du tissu pour les voiles par exemple...). Ainsi, vous ne serez pas en manque en rentrant au bercail, vous aurez votre dose de contrôles !
Soyez gentils de nous donner la date prévue assez vite, vous savez ce que c’est, avec l’administration,
il vaut mieux s’y prendre longtemps à l’avance :))
Pour Alex : de deux choses l’une : ou tu arrêtes de râler pour garder de l’énergie pour après ton retour, ou tu t’entraînes tous les jours même au milieu de l’océan, pour ne pas perdre la main !!
Bons bisous frisquétous. Anita
2. > Panama, le retour !, 8 mai 2005, 20:21
merci de continuer a nous faire rever,le plus dur vous reste a realiser:remettre les pieds a terre !en attendant ,bon vent a vous 4,profitez a fond de vos derniers mois de "liberte" ! william