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"EDITION SPECIALE : Partie de chasse"

lundi 30 août 2004, par Admin

Aux Marquises, on fait une partie de ses courses dans la nature, pour les
fruits, et aussi pour quelques légumes. Pour la viande, pas de barquettes
aseptisées accrochées aux arbres, elle court dans la brousse, il faut l’
attraper pour en manger. Expédition commando, âmes sensibles s’abstenir.

La plus grande partie de la côte de Nuku Hiva n’est accessible que par la
mer. Les familles possèdent des vallées inexploitables ou elles laissent se
reproduire chèvres et cochons sauvages. Elles implantent parfois des bovins
sur le plateau, qui paissent avec les chevaux sauvages.

Nous voilà donc partis en speed boat, et c’est déjà tout un programme : le
canot fait 6m de long, il est plutôt étroit et très bas sur l’eau, taillé
pour aller très vite avec ses 80 chevaux. On embarque une énorme glacière à
bloc de boëtte et de glace pour les deux pêcheurs marquisiens qui nous
emmènent, cinq chiens, mon pote chasseur (qu’on appellera Rahan, les
initiés comprendront), les sacs à dos, moi, etc.

On fait le quart du tour de l’île comme on peut. Le bateau est trop chargé
et l’essence est douteuse, le moteur broute , impossible de déjauger.
Une demi heure plus tard, débarquement au pied d’une falaise de 500m. Debout
à l’étrave du canot, on attend que le pilote nous approche, au sommet de la
vague, à moins d’un mètre de la roche. Là il faut sauter, échapper à la
vague suivante qui galope sur nos talons, revenir pour attraper les sacs,
pieds nus sur la mousse glissante. Pas question de mettre les chaussures, il
faut pouvoir nager. D’ailleurs Rahan rate son saut, se retrouve à l’eau, je
le vois déjà noyé mais il s’en sort parce qu’il est mort de trouille à cause
des requins. Les chiens sont jetés à l’eau et s’en sortent très bien.

On s’équipe, moi en pantalon, Tshirt à manches longues et bottes de
sécurité, lui en short de surf et godasses de foot, avec les crampons ! Dans
les sacs, une pétoire à canon court, 10 litres d’eau, sac de couchage et
divers, à la ceinture une machette et un couteau de chez "Grosurin".

Les chiens partent devant, on escalade une cascade qui perce la falaise,
avec des arbres morts en travers, des éboulis de roches sur les cotés, et au
bout de 20 minutes, les chiens hurlent. On pose les sacs, on écoute, c’est
en bas que cela se passe, on dévale tout ce qu’on vient de grimper. Un gros
bouc est perché sur une corniche, 20m en surplomb de la plature, cerné par
les chiens. On s’accroche aux herbes, aux branches, on arrive au dessus de
lui. Rahan l’attrape au lasso, par les cornes, et le grimpe sur la corniche
du dessus qui nous offre un bon mètre carré presque à l’horizontale. Il me
fait un signe, c’est à moi de l’égorger, là, vite, tout de suite. Je
tranche, ça gicle chaud, il me fait voir la jonction de vertèbre ou on coupe
facilement la moelle épinière, c’est fini ! On descend le bestiau à dos
d’homme, on se le passe d’une corniche à l’autre, trente mètres au dessus de
la plature, pas droit au faux-pas.

Nous revoilà donc au niveau de la mer, on écorche, nettoie, ça ne fait pas
une heure qu’on y est que je pue déjà le bouc, je suis en nage. Rahan est
mort de soif, il me demande de monter aux sacs chercher de l’eau. A peine
redescendu, au bout d’une demi heure tout de même, il me dit qu’on va
laisser la chèvre là pour que les potes pêcheurs la récupèrent, mais qu’il
faut un sac à viande à cause des mouches. Bingo, je rééscalade l’éboulis,
redescends, j’en ai plein les jambes. On plie la chèvre dans son sac et on
remonte, assaillis par les moustiques à chaque halte.

L’escalade continue, dans les sous-bois le long de la rivière, et les chiens
débusquent un cochon. Comme il est loin on court avec les sacs, arrivant
juste à temps pour que les chiens ne l’abîment pas. On l’attache à un arbre
pour le garder vivant jusqu’au lendemain.

Campement ; il pleut tous les jours en ce moment, la rivière était en crue la
semaine précédente, tout le bois est humide, ça nous prend une demi heure
pour allumer le feu. Pas question de dormir dans la boue, alors c’est sur
les cailloux, je coupe des branches à feuilles pour adoucir le terrain, on
met une bâche dessus, on grignote et dodo. J’avais emporté la cafetière,
pour mettre une note de délicatesse dans le tableau, mais j’aurais surtout
dû penser au hamac. J’ai aussi oublié le sucre, je n’en prends jamais. Mon
café, Rahan ne l’a pas trouvé terrible, ou au contraire, bref...
Pas bien dormi mais superbe nuit, presque pas de pluie, des étoiles au travers des
feuilles, la lune, la rivière qui chante. Debout à cinq et demie, re-café,
Rahan a froid et endosse un mignon sweat-shirt bleu pâle dont les manches
coupées lui servent de bonnet.
Me voilà en pleine brousse avec un shtroumpf à dreadlocks blond de plus de cent kilos. On laisse le bazar et on part les sacs vides, sauf de l’eau. Trois chasseurs ont attrapé la leptospirose en
buvant dans les rivières la semaine dernière, l’un en est mort, l’autre dans
le coma, ce n’est pas le moment de jouer avec l’eau.

On grimpe, on grimpe, des éboulis de toutes les tailles, du gravillon au
monumental, puis on débouche sur le plateau, et les chiens lèvent un autre
cochon. On pose les sacs, on court dans une sorte de sauge, ça buissonne
jusqu’à la poitrine, ça sent bon mais pour le record du kilomètre lancé,
c’est raté, surtout que ça monte encore.

J’ai au moins cinquante mètres de retard sur Rahan et le goret. Je le
regarde faire. Il le tient par les pattes arrière d’une main, le couteau
dans l’autre, porte un coup, net, derrière la patte gauche, et en moins de
dix secondes le cochon est mort, sans un cri. Il lui coupe les noix
immédiatement, le charge sur son dos pour retourner prés des sacs. On refait
un feu, grille les poils, écorche, vide et nettoie. Contraste entre
l’extrême attention dans la préparation du cochon et la tornade de mouches
qui nous assaille. Il faut le suspendre dans la fumée du feu pour les
chasser. Le temps de souffler un peu, on le range soigneusement dans des
sacs à viande, répartis dans les sacs à dos. Hélas les "nike" de foot ont
explosé dans l’ultime sprint, voilà mon pote quasi pied nu, les semelles
tenues par de la ficelle.

Il décide de descendre, nous retrouvons le cochon
de la veille, je le tue, puis feu, grille, écorche, vide et nettoie, on
charge tout ça dans les sacs et on y va. Lui 50, moi 40 kilos sur le dos, il
faut descendre pendant plus d’une heure dans les éboulis et entre les
arbres. Et si nous avions continué la chasse, il aurait fallu remonter
chercher le gibier ! On arrive en bas trempés de sueur. Il me demande mon
age, et à ma réponse, lâche : "t’es encore en forme". Non mais qu’est ce
qu’il croit le fils des ages farouches ???

On s’abrite de la pluie torrentielle sous une grotte au ras de la mer on
grignote des croûtons de pain et du corned-beef, les doigts de pied à l’air,
c’est le bonheur. Bientôt le pote pêcheur arrive, même cinéma que la veille,
sauf que les sacs pèsent un cochon mort et qu’il faut mettre un paquet
d’énergie pour les projeter sur le pont. Heureusement pas de faux pas cette
fois, nous voilà à bord, les chiens ont le sourire, il y a des bières dans
la glacière.

Le flingot n’a pas servi, de toute façon avec les chiens, dans ce type de
chasse, ça me paraît impossible, et après l’expérience, moins propre que le
couteau. Je me demande tout de même si c’est aussi facile avec un vieux
grognon de cent cinquante kilos, comme il en tue parfois.

Bon, on est bien rentré, fait une bonne sieste, les cochons sont petits,
dans les 40kg, délicieux, et je ne suis pas venu pour faire tapisserie.
L’est pas belle, la vie ? Ce soir je vais pêcher la langouste, plongée de
nuit, j’espère que les requins me laisseront vous raconter.

Uirk (alias Alex)

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