Accueil > Voyages > Famille Roquefeuil > Famille Roquefeuil : récit de voyage > Les locataires du Quarantième.
Les locataires du Quarantième.
vendredi 25 février 2005, par
Cinq jours écoulés déjà, le temps marque une pause, probablement pour nous en réserver une autre, de ses blagues. Quoi qu’il en soit, la mer qui se calme, le thon qui saute à bord, et Jimmy Hendrix à l’heure de la
sieste, ça vous réconcilie avec toutes les blagues du grand Sud.
Le vent de face depuis notre départ, entre force six et huit pendant trois jours, et le bateau qui trace sa route à six noeuds au travers des vagues, et celle là, vicieuse, qui casse net en deux notre bout dehors
tout neuf, puis le vent qui joue, dix fois dans la journée, entre rien et la bourrasque, changeant de sens au gré des grains. Les mains gonflées de sel et brûlantes des dizaines de manouvres que nous avons du
faire, on l’apprécie, cette pause. Cap au sud, vers les quarantièmes, puisque l’Est nous est barré par un gigantesque anticyclone, et que nous n’avons pas pu rattraper la dépression qui nous aurait jeté plus loin,
avec des vents portants. Nous sommes à sept cent miles d’Opua, plus que cinq mille miles à parcourir, tout va bien.
Cinq jours déjà, et la Nouvelle Zélande se trace un portrait dans ma mémoire. Nos derniers détours dans l’île du Nord méritaient le déplacement, jusqu’à l’ultime, arrêt anodin dans une ville sans relief,
KawaKawa.
Le soleil matinal fond sur la ville, disperse les derniers frissons nocturnes qui s’échappent de l’ombre des devantures à peine éveillées.
Encore une de ces villes néozèd à la con, rue centrale bordée de commerces sans charme, bâtiments désuets couleur années trente, affichage criard à l’américaine, gaz d’échappement et graillon macdo.
Bloqué ici pour une paire d’heures, la voiture est en réparation, les amortisseurs nous ont lâchés sur les chemins cabossés, on n’arrive plus à tenir dans les virages et je ne peux laisser Gaëtane et les mômes
rouler dans cette poubelles pendant que je fait le malin sur les flots.
Le tour du patelin en quinze minutes confirme que c’est vraiment tout petit. La minette de l’Internet café est au canon national, 120 kilos de sourire et un accent de laboureur texan. Elle m’explique qu’elle a des ordinateurs, mais que la connexion est minable. Je me rappelle que même à Isabella Internet fonctionnait, au bout des Galapagos. Bon, pas de web, on s’en fiche, je me rabat sur un café tout court, dont la terrasse est étrange, mosaïque de pierre, de faïence et de carreaux de terre cuite, bosselée, bordée par une promenade de pavés noirs sinueuse.
L’allée s’interromps sur le macadam, et reprend de l’autre coté de la rue, menant à l’entrée d’un chiotte public hallucinant. Le trottoir y reprend sa valse, terre cuite et faïence, des colonnes de verre coloré portent des arches en béton d’où dégringole une végétation hirsute.
Entrée "Ladies", entrée "Gents", le mur de séparation diffuse la lumière du jour par des bouteilles de vin incluses dans la maçonnerie.
L’intérieur est fastueux, sculptures, gravures, mosaïques, sol gauche et encore des inclusions de bouteilles. Si l’auteur à bu tout cela pendant son boulot, tout s’explique ! Hundert Wasser, célebre artiste autrichien, a fini sa vie ici, à Kawa Kawa. Ce bâtiment est sa dernière ouvre, apothéose qui envoie l’art aux chiottes. Je me demande si l’ironie est voulue, et sans réponse, me marre en observant les touristes qui défilent pour s’y faire photographier, et je pense à César à l’évocation de ceux qui viennent y couler un bronze.
Quoi d’autre avant le départ ? La commémoration du traité de Waitangi nous a permis de constater qu’il y a tout de même beaucoup de Maoris qui revendiquent un statut à part. Pas de violence, mais une grosse tension sous jacente, et les têtes du gouvernement s’y sont fait très
discrètes. On a pas compris dans le détail ce que veut le parti Maori, excepté qu’ils en ont assez de se sentir coincés sous le pied de l’échelle sociale. Les gueules de guerriers qu’on a vu défiler, les visages tatoués, sévères, expliquent pourquoi les premiers colons ont
préféré éviter les confrontations armées, la négociation se révélant au final terriblement plus castratrice.
Escapade à la pointe de l’île, nous lançons la Mitsubishi sur la Ninety Miles Beach, à marée descendante. Soixante quinze km de sable, bordé de
déferlantes à gauche, et de dunes à droite, où paissent des troupeaux de chevaux sauvages. Quelques bus à touristes et autos nous croisent, nous roulons en silence vers un mirage, un lac de mercure qui recule sans cesse, déforme les perspectives et les dimensions. Pour quitter la plage, il faut rouler dans le lit d’une rivière sur trois km où le sable, l’eau et la végétation créent un tableau de maître. On escalade une dune énorme, une montagne de sable du sommet de laquelle on découvre encore un panorama inédit, et qu’on dévale avec les mômes en hurlant des cris d’indiens.
A vingt bornes de chemin de caillasse, le Cap Reinga, qui sépare le Grand Pacifique de la Mer de Tasmanie. Les courants des deux océans s’affrontent violemment, c’est un peu comme une ballade à Pen Men, en plus grand. Toute la force qui émane de ce magnifique endroit semble
pouvoir nous porter au bout du monde. C’est un endroit sacré pour les Maoris, celui d’où leurs morts quittent ce monde pour quelque chose de plus vaste encore. Balèze !
On trouve un camping sur le chemin du retour, prés d’un bras de mer, des bateaux de pêche débarquent des monstres abyssaux pendant que des maoris observent le temps qui passe, assis le long du quai. On retrouve un moment la plénitude polynésienne, à l’opposé de la frénésie européenne. On échange quelques mots, on voudrait prolonger l’instant, mais le sentiment de n’être que de passage, comme un courant d’air, nous rend
timides, inexistants. C’est certain, nous n’aurons pas été au bout des possibilités de rencontres pendant cette escale.
Plus loin au Sud, les restes de la forêt primaire de cette île isolée du reste du monde depuis des millénaires. En cent ans, les colons ont rasé
99% de cette forêt, dont le roi incontesté, le Kauri, est devenu l’emblème. Les deux tiers de l’île du nord sont devenus des prairies d’élevage, on n’arrive pas à s’imaginer le paysage recouvert de ces géants que nous admirons. Un mastodonte de 244 mètres cubes et treize
mètres de diamètre porte ses deux mille ans comme hier, c’est le plus ancien, le plus vénéré, une merveille.
La forêt est superbe, les grands arbres sont majoritaires, l’oil se fraie des perspectives entre leurs troncs, l’air est frais et léger, on se déplace sur des passerelles pour ne pas laisser de traces.
Toujours cette étonnante balance entre protection extrême d’endroits fragiles, et exploitation brutale des autres, tout aussi fragiles, typique de ce pays.
Pendant ce temps, le bateau attend. Tout s’organise à peu prés tranquillement, seules les questions dubitatives de certains pourraient faire douter de notre préparation pour quarante jours de mer. Pourtant ce n’est qu’une nav de plus, un peu plus longue et moins fréquentée que les autres. Tout ces doutes, que je ne partage pas, prouvent que même en bateau l’homme recrée du conformisme et conserve ses instincts grégaires, et que souvent la marginalisation du marin de plaisance se raccroche des deux mains aux vielles branches sécurisantes de nos éducations.
Bien sur, le grand Sud n’est pas un parcours de golf, et la plupart des bateaux "tropicalisés" naviguent avec des vérandas sur le pont, des voiles anémiques et des fours micro-ondes. C’est bien parce que On, le fameux On, raconte que c’est terrible que les autres se déroutent de ce genre de trajet, et cultivent au bistrot leur réputation de terreur. Cela m’intrigue, il faut que j’aille vérifier, et c’est le même sentiment qui amène à bord mon pote Bruno.
En attendant, l’équipage de Horus se sépare, et ça nous fait drôle, qui n’avons jamais passé un mois loin les uns des autres. Pour de multiples raisons, c’est ce qui nous semble être la meilleure solution, Gaëtane et les Mômes me rejoindront à Antofagasta, au Chili, dans un mois, pour des navigations à la maille de mes matelots des tropiques. Equateur, Panama again, Caraïbes, Acores. Jetés ainsi sur le papier, c’est comme si nous étions déjà à la maison. Mais c’est encore un aspect magique de ce voyage, où le retour n’existe pas, puisque la terre est ronde.
Toute route qui s’allonge et nous fait repasser plusieurs fois au même endroit nous transporte d’abord vers d’autres cultures, d’autres rencontres.
Et puis enfin, ce trajet hors des sentiers battus s’épice d’aventure, à l’heure où les GPS, marinas et cyber-cafés tentent de ranger le voyage au rayon des édulcorants.
On vous dira tout, à bientôt
Alex
Commentaires
1. > Les locataires du Quarantième., 26 février 2005, 22:10
bon vent a vous,et bonne route pour ce long retour