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Chère St Martin, pauvre St Martin,

mardi 7 juin 2005, par Admin

Après une bonne nuit à l’horizontale, nous découvrons le mouillage de Marigot Bay. Une centaine de voiliers regroupés prés de la ville, collines verdoyantes en toile de fond, le sentiment de débarquer sur un petit bout de France n’est pas désagréable. Le cadre est sympa, petits bâtiments dans le style néo-colonial, devant nous un restaurant duquel jaillissent une poignée de cocotiers,mais pas besoin de jumelles pour saisir d’emblée des dérapages d’urbanisme mal contrôlés.

C’est dimanche, un policier débonnaire expédie avec le sourire nos formalités d’entrée. Nous déambulons dans les rues désertes, pour nous faire une idée du lieu et nous dégourdir les jambes. St Martin est un port franc, exonéré de taxes douanières, ce qui encourage l’implantation de boutiques et commerces de produits de luxe. Plutôt étonnés, nous passons devant les enseignes des plus grandes marques de parfums et de joaillerie, vitrines luxueuses enchâssées entre immeubles miteux, devantures haut de gamme parfumées d’une fragrance d’égouts défaillants. L’argent n’a pas d’odorat, c’est bien connu.

Sur la gauche du port, s’élève une sorte de château, délire architectural à la gloire du commerce, tape à l’œil, certes, mais sincèrement très beau. C’est la galerie marchande du maire local, un maire de droit divin en quelque sorte, élu de père en fils depuis quatre générations. Ici pas de mauvais goût, c’est aussi beau dedans que dehors, pas de toc ni de clinquant, le personnel des boutiques n’est pas bousculé. Même détaxé, un vrai produit de luxe reste inabordable pour le commun des navigateurs. Nous remarquons, un peu vexés, que l’euro est aligné sur le dollar, amputant les riches européens de vingt pour cent de leur pouvoir d’achat. Cela ne doit pas changer grand chose pour eux, en fait. L’argent n’a pas de morale non plus, c’est bien connu

resto coco

C’est la fête des mères, on s’offre un bon restaurant. Pour les Américains, St Martin est entre autres une destination culinaire de premier ordre, la concurrence entre chefs est rude d’après la rumeur locale.Pour la première fois depuis des mois un vrai bon restaurant, c’est un vrai plaisir d’en profiter. Nous rencontrons en rentrant un bijoutier fantaisiste, enfin un gars qui fait des bijoux fantaisie, jolies créations originales, cinq cent euros le super tour de cou en plaqué argent, jolies choses donc inabordables. Le gars pleurniche sur la conjoncture, les charges, tout "ça". C’est terrible, un bijoutier pauvre, où va le monde.

profitons des
derniers jours

Le lendemain on loue une voiture pour découvrir un autre aspect de l’île, les bouchons. Le réseau routier n’a pas suivi l’expansion économique, St Martin est devenue un parking roulant, du soir au matin. Pour échapper au piège nous bifurquons vers le point culminant de l’île, le Pic Paradis. Le sommet est partagé entre des installations Télécom barricadées et une résidence privée inaccessible, que son propriétaire à nommée "le jardin d’éden" ; L’argent ne développe pas le sens de l’humour, c’en est la preuve irréfutable. Bref au sommet rien à voir, nous tentons une percée sur un chemin de randonnée bloqué par la végétation au bout de cinq cent mètres ; Pas de vue panoramique. C’est peut être une manière de cacher la laideur des villes vue d’en haut. La capitale du coté hollandais, Philipsburg, vue d’en bas, c’est laid aussi, mis à part la rue des boutiques de luxe. On s’en échappe aussi vite que possible au gré du flot motorisé. Enfin un peu de fraîcheur au Nord, à Grand Case, ambiance plus décontractée, petite station balnéaire adossée aux collines, architecture variée bordant trois km de plage blanche, charme désuet des bords de mer qui échappent aux clapiers en béton.

Plus au Nord encore, l’Anse Marcel appartient à un consortium immobilier qui gère un parc à vacanciers exemplaire. A un kilomètre de la résidence, un garde évalue votre dangerosité avant de lever sa barrière. Un autre garde à l’entrée veille à ce que vous ne vous trompiez pas de parking. Conformément à la loi française, l’accès à la plage est autorisé. Nous allons y jeter un coup d’œil, traversant le domaine. Rien ne dépasse, l’herbe grasse est tondue, les balcons s’alignent en rangs serrés, et des grilles nous protègent des clients tout le long du chemin qui mène à la plage, évidemment patrouillée par des cerbères athlétiques. C’est beau.

Continuant le tour par la côte au vent, nous ne pouvons que constater que les plus belles baies n’offrent à leurs locataires que le panorama de façades d’hôtels, c’est encore pire qu’a Bora-Bora sur le plan massacre de l’environnement. Nous coupons par les crêtes pour échapper à l’affligeant spectacle, traversons quelques villages à peine cultivés, retrouvons un peu d’espace, de verdure lumineuse balayée par le vent. La végétation est maigre, pas de forêt tropicale et peu de grands arbres. Retour à Marigot, je rends la voiture à un loueur un peu stressé, pas vraiment aimable. Nous partons faire le tour du marché aux légumes, minable, engueulés par une doudou furibarde qu’on lui refuse ses ananas à 4 euros. Une autre essaie de m’écraser avec son 4X4 gros comme un camion, sous prétexte que je n’ai pas respecté le passage piéton. Visiblement, le touriste français n’est pas le bienvenu ici. Il semble que certains commerçants (bilingues) refusent d’utiliser le français, en remerciement il faut croire, des impôts qui financent leurs aides structurelles. Revenant au bateau en annexe, ramassant comme chaque jour dans l’eau turquoise de la baie des sacs plastique qui s’envolent par dizaines des magasins bordant le quai, je me pose la question : "Y a t’il vraiment des gens qui paient pour venir ici ?" Si l’argent contribue au bonheur, cela doit se passer dans une autre partie de la planète.

Retour au bateau, nous devons patienter quelques jours avant de partir, à cause d’un problème de refroidissement moteur. Turbines introuvables sur place, il faut commander en France, chez un de mes anciens fournisseurs. Cette entreprise reconnaissante avec laquelle j’ai travaillé pendant plus de quinze ans m’impose de passer par un revendeur local et ne livre pas pour moins de 150 euros. Comptant le transport et la marge du revendeur, c’est plus de 200 euros qu’il faut débourser pour partir tranquille coté mécanique.

Tout cela pour dire ou rappeler que les erreurs de préparation coûtent cher. Je n’imaginais pas que mon vieux Perkins, un modèle très répandu, était équipé d’une pompe à eau rarissime. Sincère remerciement au passage à "L’île Marine", qui s’est efficacement et très aimablement chargé de mon problème.

Grand Case

Derniers jours d’escale sous les tropiques, pas question de mariner devant la marina, nous allons passer quelques nuits à Grand Case, mouillant dans la journée à différents endroits susceptibles d’héberger des langoustes. Grand Case confirme vu du large l’agréable impression vécue l’avant veille en voiture. Les bâtiments hétéroclites donnent le sentiment d’un sympathique bricolage, la variété humanise l’habitat. La preuve est sous nos yeux, tout au bout à droite de la plage, où un clapier à 100 balcons fait figure de furoncle dans la baie. Etonnant paradoxe, que les individus les plus fortunés d’une société profondément individualiste programment leurs vacances dans le cadre le plus dépersonnalisant qui soit. L’argent rend t’il aveugle ???
Par curiosité et par soucis d’économie nous testons un restaurant pays. Echec et mat, le patron est sympa mais sa cantine est hors jeu, et l’addition astrale.

Les sauts de puce d’un mouillage à l’autre nous permettent de trouver des angles de vue qui nous réconcilient avec cette île superbe, tout n’est pas encore bétonné, et quelques baies sauvegardent leur pureté originale. Les fonds marins sont hélas très décevants, ternes et dépeuplés, mais ce sont nos dernières plongées à 29° avant longtemps, on apprécie.

Terres françaises, infos françaises. Nous sommes arrivés le jour du vote contre la constitution européenne. Eberlués, nous écoutons le discours arrogant des politiques qui rejettent la responsabilité du "non" sur les électeurs, négligeant comme à chaque fois de se remettre en cause. Farce cynique de remaniement ministériel, Chichi met au pouvoir avant la fin de son règne les derniers de ses potes qui n’ont pas eu le temps de se remplir les poches avec l’argent du contribuable. Il promet comme priorité la lutte contre le chômage ; C’était quoi, la priorité de Raffarin ? L’impayable Sarko rendosse sa tenue de super-flic, et rassure la ménagère sado avec des promesses de répression, des promesses… La gauche est toujours marxiste tendance Groucho, les verts ruminent silencieusement leur fourrage biologique, rien de nouveau sous les nuages métropolitains.

Gaëtane me dit que ce genre de considérations n’a pas grand chose à faire dans un carnet de voyage, mais nous ne sommes pas toujours d’accord. Pour nous qui avons toujours un port d’attache, et qui nous en rapprochons furieusement, comment ne pas faire référence à ce qui constitue notre avenir proche ? Si je me contentais de vous décrire les paysages, cela s’appellerait un guide touristique. Désolé pour les partisans de ma chérie, je les prie de pardonner mes digressions sarcastiques.

Enfin, le séjour ne dépassera pas de beaucoup la semaine, les turbines volantes arrivent et rien ne nous retient ici, dernières courses, derniers mails, c’est reparti pour une vingtaine de jours sur les flots. Un grand regret, avant de retrouver la fraîcheur des pays tempérés, que cette dernière escale tropicale fût si peu agréable, gâchée par l’ambiance mercantile locale.

Alex

Commentaires

  • Bravo, super bien écrit et généralement très vrai ! Je vis à St Martin depuis plus de 2 ans et je peux témoigner que tout cela est généralement véridique... mais quand même, on trouve de sympathiques et abordables restaurants à Grand-Case ... Pour ce qui est du cours de l’euro, les choses changent et maintenant 1 € n’égale plus que très rarement 1 $, sauf chez Cadisco, une station service...
    Bon vent !
    Patrice, St Martin
    (ancien Riantecois ! et amoureux de Groix)