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Mme LE FUR patriote - article O-F du 5 nov 1945
17 juin 2004, par AdminCETTE GROISILLONNE MERE DE SIX ENFANTS
Elle a arraché 180 patriotes au bagne allemand de Groix
Lorient (de notre rédaction)
Le hasard de la vie professionnelle m’avait conduit récemment au Pays du "Maquis Ardent", dans cette région "Pourlette" de Guémené-sur-Scorf et de Bubry, dont la stèle du capitaine Jacques de Beaufort témoigne du sacrifice du sang.
- Je connais une bien belle histoire à ce sujet, me disait un ami lorientais, à Guémené, une histoire vécue. C’est une femme de chez nous qui en est l’héroïne, bien méconnue d’ailleurs, et pourtant...
- Il faut me la dire.
- Venez avec moi.
Je me trouvai bientôt en présence d’une femme, jeune encore, elle a 46 ans et pourtant mère de six enfants.
- Je vous présente, me dit mon ami, Mme Le Fur, née Stéphant Marie, de l’île de Groix, arrêtée par les Allemands le 30 juin 1944, condamnée à 12 mois de
prison par le Conseil de guerre allemand siégeant à Lorient, soupçonnée d’avoir contribué à l’évasion de patriotes français prisonniers des Boches à
Groix. Et il ajoute : "La Gestapo ne put jamais faire la preuve de ce qu’elle avait fait réellement, car ils l’auraient fusillée. La preuve est faite, en effet, qu’elle a arraché au bagne groisillon 180 des nôtres."
Et la brave femme m’expliqua comment elle opérait pour diriger ces braves gens sur le Continent, c’est-à-dire par le truquage de fausses photographies et de cartes d’identité. Un jour, le truc ne réussit pas et le jeune homme qui devait en bénéficier parla, mais Marie Le Fur, dont la prudence et l’intelligence étaient à la hauteur de la plus belle audace, avait eu le temps de détruire les papiers compromettants. Son mari, patron
couvreur à l’île de Groix avait été obligé de fuir l’île dans la crainte d’être arrêté.
Telle est rapportée dans sa simplicitude l’odyssée de cette femme bretonne photographiée après son évasion à Vannes. Visage émacié, cheveux à peine repoussés, car on les avait coupés ras dans la geôle.
Le Maire de Guémené certifie...
Et cette conduite magnifique demandais-je à mon interlocuteur, n’a pas été révélée ?
- N’en doutez pas cependant, lisez : "Le maire de Guémené-sur-Scorff, sur l’attestation de témoins, certifie que Mme Le Fur, née Stéphant Marie, née à
Groix le 9 août 1898 est arrivée à Guémené-sur-Scorff le 6 août 1944, après s’être évadée de la prison de Vannes où elle était incarcérée depuis le 19 juillet 1944, pour une durée de 12 mois, pour avoir contribué à l’évasion de 180 prisonniers français.
Mme Le Fur, qui était sans argent, ni ressources à son arrivée à Guémené, a été hébergée provisoirement à l’hôtel Cognic, ses six enfants ayant été évacués sur Pontivy : Joseph, né en 1930, Antoinette en 1932, Jérémie en 1933, François en 1935, André en 1936, Jean-Claude en 1942."
Deux autres témoignages certifient les actes admirables et bénévoles de cette "Résistante par le fait". Ils émanent du capitaine commandant la 21ème
compagnie F.F.I. et de la brigade de gendarmerie de Groix.
Un des 180 nous parle
Je souhaitais vivement rencontrer l’un de ces hommes qui, parmi les 180, doivent leur liberté et peut-être la vie à notre héroïne groisillonne. Le hasard, qui fait souvent bien les choses, allait m’en procurer un, un
authentique. C’était à la Brasserie de l’Univers, Cours de Chazelles à Lorient, où je m’entretenais ces jours derniers de l’affaire.
- Marie Le Fur, si je la connais, me répondit le garçon qui nous servait, René Conan, une vieille figure lorientaise, mais c’est ma libératrice, c’est elle qui m’a fait filer. Alors, René, qui porte veston blanc, comme il sied dans le grand café qui, le premier, a rouvert ses portes dans notre ville après la reddition, m’explique son aventure :
"J’étais dans la Résistance dès 1943, au groupe "France-Libération" et dès la formation des unités clandestines, j’appartins au 10ème bataillon comme
caporal, bataillon Ranger, commandant Le Coutalles. Le 2 mai 1944, je fus "fait" par la Gestapo dans... mon lit à Guémené, dirigé sur Locminé d’effroyable mémoire, puis sur Vannes et condamné aux travaux forcés à l’île
de Groix. C’est alors que j’entrais en relation avec Mme Le Fur qui me procura, comme elle l’avait fait pour tant d’autres, les pièces préparées qui me permirent d’embarquer au nez des douaniers allemands. Tous vous
diront la même chose si vous les rencontrez" ajoute René Conan. "Ah oui ! elle mérite bien qu’on parle d’elle".
Le caporal Conan a été cité à l’ordre du Maquis et à l’ordre du Front de Lorient par le général Allard.
Qu’ajouterais-je de plus, sinon demander que l’héroïque dévouement de cette brave française qui fut digne du nom breton de son île " Enez et Groach", la fée de l’île de Groix, soit retenu par les hautes
responsabilités du mouvement de la Libération du Morbihan.
Qu’on l’aide à meubler sa maison pillée pendant son incarcération, car elle a tout perdu et qu’on procure à son mari, son matériel artisanal qui lui a été volé et que peut-être... aussi, on y ajoute la récompense morale
que ses courageuses et patriotiques initiatives doivent lui valoir.
L.G. Ouest France