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Bugaled mor-les enfants de la mer - Chronique d’une tragédie maritime

vendredi 13 février 2004, par Admin

Laboratoire aquatique de la mondialisation libérale, l’environnement marin est la vitrine des catastrophes socio-écologiques contemporaines. Paradis fiscaux et dérives commerciales liées au transport font payer un lourd tribut à la grande bleue.

Les pavillons de complaisance qui règnent sur tous les océans embarquent le tiers-monde et la misère en offrant aux voyageurs des conditions de travail moyenâgeuses, bien loin des clichés de l’aventure et de l’exotisme marin.

Après les paquebots de la galère (Queen Mary II) qui font les choux gras des entreprises de sous-traitance et font remonter à la surface les problèmes de sécurité et des pratiques proches de l’esclavage moderne sur les chantiers navals, nos marins qui ont du mal à pêcher fortune dans la mer nourricière (raréfaction de la ressource) subissent à leur tour les conséquences désastreuses de cette dérégulation et deviennent de plus en plus vulnérables. Aux dangers des métiers de la pêche (12 à 15 morts par an) s’ajoutent les assauts des compagnies sans scrupules qui achètent le silence de leurs capitaines.

Les drames de la mer s’additionnent tel que celui du Bugaled Breizh dans un contexte d’intensification du trafic et de vétusté des bateaux associé à un climat d’indifférence aux réglementations : les pirates libéraux ont donné naissance aux voyoux des mers (l’éperonnage a remplacé la flibuste).

Selon l’OMI (1) avec 20 000 morts /an, à chiffre constant, la pêche est l’un des métiers les plus dangereux qui prend la forme de naufrages, pannes et incidents mécaniques dans des zones difficiles, ou encore abordages et croches sur les fonds.
Les menaces d’éperonnage par cargo, pétrolier, minéralier, porte-conteneurs sont récurrentes, marées difficiles et sorties par tous temps accentuent la pénibilité et le défaut de vigilance ; enfin la pression des banquiers et le souci de rentabilité (cf Bugaled Breizh 2 millions d’euros d’investissement) font le reste.
Malgré les difficultés de recrutement ( on fait appel aux espagnols, portugais et polonais pour compléter les équipages) l’attractivité des salaires (pourtant aléatoires) est encore d’actualité.

La loi des requins persiste en mer accentuée par la concurrence acharnée et la généralisation des pavillons exotiques. Le non-droit est d’une profondeur abyssale sur tous les océans, plus de la moitié des navires appartenant à des armateurs français sont sous pavillon de complaisance.
La circulation des navires sous de tels pavillons conduit à l’appareillage de cargos et pétroliers anciens qui sont autant de dangers potentiels à l’image des désomais célèbres « navires poubelles », et vogue la galère !
Pour ce qui concerne les affréteurs et les armateurs, les responsabilités sont diluées, ces derniers montent des sociétés opaques ou fantômes et enregistrent des navires en « achetant » les sociétés de classification, dès lors il est difficilede les identifier. Par exemple dans le cas de l’Erika, le capitaine du navire ignorait qui étaient ses commanditaires, les intermédiaires s’étant développés.
Les navires sont enregistrés sous des registres de complaisance pour échapper aux taxes et aux normes en matière de sécurité ou d’équipages (souvent payés à bas prix). Au palmarès des régates les plus frauduleuses viennent le Honduras, le Libéria, Panama, Malte, le Liban ou encore Chypre. Or Malte futur état européen, est la quatrième flotte du monde : elle compte 1340 navires et 330 pétroliers.
En bon paradis fiscal, Jersey fait naviguer quantité de navires en eaux troubles. La composition des équipages est révélatrice (7 nationalités sur le même navire) comme nous le montre le document diffusé en novembre dernier Les hommes de Labici B, de F Chilowicz, un cargo aux mains d’un armateur sans scrupules. Une fois le navire saisi par des créanciers européens, l’armateur préfère disparaître en abandonnant son équipage sans salaires et nourriture ?
La complicité des Etats riches est bien réelle, la création du pavillon Kerguélen (2)(1987) en France institutionnalise la précarité, les négociations de l’AGCS ne brillent pas par leur clarté. La campagne lancée par Agir ici « Trafics en mer : marins en galère » vise à restaurer la dignité des conditions d’emploi, de travail et de vie des marins pour en finir avec l’utilisation mafieuse des pavillons de complaisance (3).

Une transparence en matière de sécurité, des sociétés de classification surveillées, un système de contrôle en mouvement et des mesures pénales proportionnées seraient les bouées de sauvetage d’un transport à la dérive pollué par les manoeuvres financières (investigation urgente des sociétés off-shores internationales). A l’abordage des compagnies hors-la-loi et des délinquants d’un autre temps pour prévenir les pollutions en les réprimant et en protégeant l’humain ?

La traversée des eaux et des côtes européennes est encore possible pour les bateaux épaves, pour ceux ne faisant pas partie de l’UE (abus de tolérances). La pression de l’opinion publique et un durcissement de la législation internationale pour lutter contre la dangérosité du transport et l’opacité des grands groupes pétroliers (et leurs sociétés-écrans) nous feraient nager dans des eaux plus limpides, souillées qu’elles sont encore aujourd’hui par l’irresponsabilité des armateurs cumulée, d’un défaut de vigilance et d’un OMI pris en otage.
Malheureusement, les sirènes du profit viennent sonner en proposant la version complaisance à la française ( projet de loi soumis au Sénat), les armateurs encouragent la création d’un Registre International Français (RIF) qui fait la part belle à la déréglementation maritime (legislation du travail, droits syndicaux, protections sociales..). Raffarin propose à De Richemont de trouver une solution pour regagner une compétitivité fondée sur « un pavillon attractif, un cabotage crédible » soit un projet de pavillon libéralisé réduisant le nombre de navigants français, projet bloqué à ce jour (4).

L’OMI débat ce mois-ci d’une convention sur les ballasts après avoir été officiellement saisie de ce problème en 1988. Selon keep-it-blue (5), « il lui a fallu 16 ans pour jeter les bases d’une convention qui n’entrera peut-être jamais en vigueur, qui, si elle entre, ne sera peut-être pas appliquée, sachant qu’aucune sanction n’est prévue pour les États qui ne respectent pas les conventions qu’ils ont signées. Tout est à l’avenant. »

Les plages bitumées n’auront pas suffi, les « marchands d’hommes » tels les armateurs du Prestige volatilisés littéralement après la catastrophe de novembre 2002 continuent de se prélasser sur des plages paradisiaques. _ Le lobby pétrolier bronze au soleil des Caraïbes (Bermudes pour Total) et les galériens de la mer noient leur désespoir pour 150 dollars par mois (6). Histoire d’un naufrage annoncé, assez de complaisance !

La mer pleure ses marins ?
Les estimations erronées du Fipol (7) pour l’indemnisation des victimes des marées noires entretiennent le désespoir à terre pendant que certains « voileux » tirent des bords avec l’industrie nucléaire (Areva), la « mor » dans l’âme. Bugaled mor ou le littoral pourvoyeur d’ orphelins qui scrutent la mer, attendant une nouvelle éclaircie...

1- Organisation Maritime Internationale système de régulation (convention de l’ONU adoptée à Genève 1948)
2- réduction des charges sociales de 50%, équipages plurinationaux et affranchissement des normes françaises
3- suivant les règles de l’OIT (Organisation Internationale du Travail), conventions des gens de mer
4- par le lobby anti-complaisance mené par François Lille - BPEM (biens publics à l’échelle mondiale) et Agir ici
5- association créée par le rameur Jo Le Guen, le ballast est un réservoir qui permet à un navire de commerce d’ajuster son équilibre/cargaison et qui induit une vidange
6- notamment avec l’arrivée de la main d’oeuvre chinoise toujours plus exploitée
7- 1/3 des dommages a été couvert environ pour Erika, dans le cas du Prestige, les indemnisations sont encore plus faibles

Bleiz & Gwel@n