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Procès Erika : Le préjudice écologique

mardi 27 février 2007, par Admin

L’Association Interrégionale Ouest Littoral Solidarité (AIOLS), qui regroupe des collectivités territoriales touchées par la marée noire (et pour beaucoup parties civiles au procès pénal), avait commandé une étude portant sur l’évaluation économique du préjudice écologique causé par l’Erika.

Quand le droit a besoin de l’économie…

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Lors d’une première conférence de presse, le 5 juillet 2006, les régions Bretagne et Pays de la Loire avaient annoncé la constitution d’un front juridique commun lors du procès de l’Erika, qui se tiendra devant le Tribunal de Grande Instance de Paris du 12 février au 15 juin 2007. Elles avaient décidé de faire reconnaître par le juge le préjudice écologique et d’atteinte au patrimoine naturel qu’elles ont subi des suites de la marée noire. Depuis, la région Poitou-Charentes, le Conseil général du Finistère et les communes de Ploemeur, Saint Nazaire et Pornichet les ont rejoints dans cette entreprise pionnière.

Le FIPOL, organisation intergouvernementale chargée d’indemniser les victimes des marées noires, s’abrite en effet derrière l’impossible monétarisation de la nature pour ne pas dédommager le préjudice écologique. Mais si l’on arrive à chiffrer la perte d’une main par une personne au cours d’un accident en termes de préjudice moral, il devrait pouvoir être possible de chiffrer pareillement l’atteinte à la biodiversité et au patrimoine naturel ? La nature doit avoir un prix pour que sa reconstitution et réparation puissent faire l’objet de sanctions financières à l’encontre des pollueurs, afin que le principe pollueur-payeur trouve une juste application.

Dans les affaires de l’Amoco-Cadiz devant les juridictions américaines et du Haven en Italie, un chiffrage arbitraire avait justement empêché toute indemnisation. Il s’agit donc de ne pas retomber dans le même piège.

L’Association Interrégionale Ouest Littoral Solidarité (AIOLS), qui regroupe des collectivités territoriales touchées par la marée noire (et pour beaucoup parties civiles au procès pénal), avait commandé une étude portant sur l’évaluation économique du préjudice écologique causé par l’Erika. Quand le droit a besoin de l’économie…
François Bonnieux, économiste à l’INRA, a une expérience reconnue en la matière1. Il vient de rendre son rapport à l’AIOLS et propose un chiffrage du préjudice écologique causé par le naufrage de l’Erika.

Cette estimation servira de fondement à la demande de dommages et intérêts dans le cadre du futur procès pénal.

Le préjudice écologique est difficile à estimer car il ne relève pas, par définition, de la sphère marchande, au contraire du préjudice subi par les pêcheurs professionnels ou les métiers du tourisme.

On ne connaît que trop bien le fameux refrain « Combien coûte un oiseau mazouté ? ». Si l’on ne peut procéder de la sorte en fixant une valeur arbitraire à la faune et à la flore, les économistes ont cependant su faire preuve d’invention pour traduire des pertes environnementales, et donc nonmarchandes, en termes monétaires.

Le préjudice écologique envisagé par le rapport se subdivise en deux parties : d’une part, les pertes d’aménité (valeur d’usage de l’environnement, le préjudice d’aménité se définissant généralement comme la perte d’un certain nombre de joies de l’existence, au titre desquels les loisirs) et la perte environnementale « pure » (valeur de non-usage ou valeur d’existence, autrement dit la valeur accordée à la simple existence d’un patrimoine naturel particulier). Ensuite pour définir la durée de la crise et donc le temps du retour à la situation antérieure, l’expert utilise deux éléments : la fréquentation
touristique ainsi que la comparaison avec les crises alimentaires pour mesurer le degré de confiance des consommateurs dans les informations fournies par les médias et les pouvoirs publics.

La méthode retenue par l’expert pour le calcul de la perte d’aménité repose sur l’exemple particulier de la pêche à pied, considérée comme une activité littorale représentative, subissant les conséquences de la marée noire. Des suites de la catastrophe et des risques sanitaires encourus, les pêcheurs à pied ont
modifié leur comportement : abandon pur et simple de l’activité, remplacement par une autre activité (de type promenade), activité maintenue mais sur un site non pollué, et activité maintenue sur le site habituel. En se basant sur des sondages et en calculant le prix d’une partie de pêche, le coût de remplacement de l’activité ou encore le coût de déplacement généré par le changement de site, l’auteur aboutit à un chiffrage correspondant au 2/3 du préjudice écologique total.

Pour ce qui concerne la perte environnementale « pure », la méthode retenue emprunte à l’exemple américain de la marée noire de l’Exxon Valdez mais également aux données françaises concernant la pollution d’eau côtière et continentale. Il s’agit de mesurer le consentement à payer des habitants pour un plan de prévention qui viserait à empêcher la survenance d’une catastrophe écologique similaire. En d’autres termes, combien les habitants des régions Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes, sont prêts à payer pour ne pas qu’un autre Erika vienne souiller leur littoral ? Selon l’expert, cette perte environnementale « pure » représente un tiers du préjudice écologique total.

Ce chiffrage est basé sur des méthodes de calcul économique déjà utilisées et reconnues. Il est également prudent et raisonnable.

Cependant, les chiffres établis par l’expert ne peuvent être communiqués dès à présent, car ils s’inscrivent dans une stratégie judiciaire globale, qui sera déployée dans le cadre du procès lui-même.

1 Bonnieux et Rainelli, 1991, Catastrophe écologique et dommages économiques : problèmes d’évaluation à partir de l’Amoco , INRA, Economica, Paris.

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