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Collectif contre l’immersion des boues de dragage :

mercredi 16 novembre 2005, par Admin

Participation de Bernard Margerie*

La mer en danger

Depuis un peu plus d’un an, un collectif d’associations se bat contre le « clapage », c’est à dire le rejet en mer, des boues et vases draguées dans le port de Lorient.

Ce collectif, est constitué de pêcheurs, de plaisanciers, de plongeurs sous-marins et d’associations de défense de l’eau. Nous sommes environ quarante associations qui se sont regroupées il y a environ 1 an. A l’époque, la direction des constructions navales avait besoin de faire draguer une partie de son port pour faire sortir de son chantier une frégate en construction.

Une enquête publique a donc été nécessaire, et les plongeurs, qui avaient déjà constaté la dégradation de certains sites, ont eu connaissance de ce dossier et surtout inquiet de ce que pouvaient contenir ces vases, ont informé autour d’eux. Une réunion publique s’est organisée.

C’est ainsi qu’un soir, des pêcheurs et des plongeurs se sont retrouvés pour échanger sur l’état de leur environnement.

J’ai été invité à cette réunion pour ma connaissance de la biologie sous-marine et de l’environnement.

Suite à une rencontre à la préfecture du Morbihan, j’ai été nommé au comité de suivi mis en place pour gérer ce dossier.
Le comité de suivi est un organe mis en place par la préfecture ou la sous-préfecture qui regroupe à la fois des représentants de l’état (Préfet, D.D.E) les maires des communes concernées, des représentants d’associations soucieuses de l’environnement, des scientifiques (IFREMER)
Ce comité est réuni, dès qu’un dragage est envisagé, pour suivre le dossier avant, pendant et après l’action. Il a accès aux différents documents, rapports d’analyses et de laboratoires etc.. Cependant, son rôle reste consultatif

Risques pour l’environnement.

Depuis toujours, l’activité humaine dans les ports est source de pollution. Il y a 50 ans encore, qui se souciait de l’impact de certains produits sur l’environnement ? La mer avale tout disait un patron pêcheur de ma connaissance.

On sait maintenant qu’il n’en est rien et que certaines peintures antifouling ont un effet désastreux sur le milieu marin.
On trouve ainsi dans les vases de certains ports des concentrations importantes de cuivre, de plomb, d’arsenic, de chrome, de nickel, de zinc, benzopyrene, fluoranthene, etc.
Le pire de tous étant le TBT ou tributyl étain. Introduit pendant longtemps dans les peintures, il est très efficace pour la protection des coques de bateaux en agissant sur les algues, mais aussi sur certaines espèces marines et surtout les mollusques. A une concentration de 1 milliardième de gramme par litre d’eau, il perturbe la reproduction des gastéropodes. A une concentration de 2 à 3 milliardièmes par litre, il provoque des anomalies de calcification chez les huîtres.

Un bilan de la contamination des côtes françaises réalisé en 1997 en 237 points a permis de constater de fortes contaminations surtout dans les ports comme Le Havre, Cherbourg, Brest, Lorient, Toulon ou encore Nice. (Rapport IFREMER).
Aujourd’hui, le rejet en mer de vases trop concentrées en TBT et autres produits est interdit, et les vases doivent être traitées à terre.
Ce qui a été fait l’hiver dernier, (grâce à la mobilisation de la population de Groix et à notre action) mais dans des conditions limites pour l’environnement. Il s’agissait quand même de 12000 m3

Le problème n’est que partiellement réglé. Si les analyses sont en dessous d’un certain seuil, les vases sont classées en catégorie 1 ou 2. Elles peuvent donc à ce moment être rejetées en mer à l’aide d’une « marie salope », c’est le clapage. Nous sommes opposés à cette pratique qui ne règle rien. Pour bien situer le problème, il faut connaître les chiffres qui sont impressionnants.
36000 m3 de vases et boues sont actuellement déversées à moins de 3 kilomètres de la côte entre Groix et Lorient, sur des fonds de 30 mètres.

La zone de clapage est très mal choisie compte tenu de sa proximité des côtes et de son manque de profondeur.
Ces fines particules de vases, poussées par les courants vont revenir à la côte et se déposer sur la faune fixée, provoquant ce que j’appelle l’effet bâche plastique. Une telle bâche posée sur une pelouse, et votre terrain devient aussi fertile qu’un crâne dégarni.
Déjà les pêcheurs du secteur s’inquiètent de voir leurs casiers ou leurs filets couverts de cette poussière.
Inutile de préciser que les zones de reproduction des poissons sont également touchées et que les soles ont commencé à déserter la zone.

Les réponses données actuellement ont le don de mettre les gens en colère.
Tout d’abord, il est à mon sens irresponsable d’écrire dans un rapport : ces niveaux (de pollution) ne présentent pas de valeurs susceptibles de porter atteinte à la santé publique dans l’état actuel de nos connaissances et des réglementations en vigueur. !!!!!

... nous pouvons conclure que l’immersion des sédiments de l’estuaire du Scorff présente un risque acceptable. !!! Je vous laisse juges de l’acceptable car ceci a été rédigé par un scientifique et s’intitule « résumé non technique destiné au public ».

Des affirmations, par des gens non plongeurs qui viennent vous maintenir qu’il n’y a aucun effet de houle à 30 mètres, qui vous disent : « oui mais s’il faut croire les pêcheurs.... » lorsque ceux-ci parlent de ce qu’ils trouvent sur leurs casiers, qui viennent vous dire que les vases des ports viennent de la mer et non des ravinements des rivières sont difficilement acceptables
Cette pseudo caution scientifique est grave, et fort heureusement n’est pas le fait d’une communauté qui dans son ensemble est d’accord avec nos actions et nous réalise bénévolement des contres analyses. Je profite de ce document pour les remercier.

Il y a ensuite des maires qui disent : ah nous, on fait confiance aux spécialistes qui réalisent les études, on écoute ce que l’on nous dit. Pourtant, lors de la venue de Christian BUCHET*, personnalité reconnue de la lutte contre les pollutions, lors d’un débat organisé par la communauté d’agglomérations, il n’a pas été plus écouté. Celui ci nous a pourtant confirmé que tout clapage dans une zone proche des côtes et à une profondeur inférieure à 100 mètres est une hérésie.

Il y a également la préfecture qui nous dit « dans le respect des lois et des directives nationales. » hors, dans le domaine de l’environnement, la France est plutôt un mauvais élève.

Une autre menace pèse sur notre terrain de jeu favori : l’extraction de sable. En effet, une société de cimenterie bien connue a reçu du gouvernement le 3 mai 2005 l’autorisation d’étudier la possibilité d’extraire du sable entre Quiberon et Groix. Le projet est faramineux et prévoie une concession de 50 ans pour une extraction annuelle de 500 000 tonnes. Je vous laisse faire le calcul.
Poussera-t-on le cynisme jusqu’à nous dire que les vases peuvent remplacer le sable ?

Il y a aussi l’hypocrisie de nos dirigeants, qui d’un coté vantent les mérites de l’écologie et de l’environnement, mais uniquement lorsque cela est visible, la région Bretagne communique sur sa préoccupation environnementale en offrant des stylos publicitaires réalisés à partir de gobelets plastiques recyclés, mais ne répond pas à nos courriers. Nous sommes dans la situation de la maîtresse de maison qui a un logement bien propre, mais qui pousse la poussière sous les tapis.

Toutes ces pollutions sont pires que l’ERIKA ou le PRESTIGE, car sournoises et invisibles.

Le dragage est indispensable pour l’activité économique des ports, qu’ils soient grands ou petits. Il n’est pas question de mettre en péril des emplois. Mais l’activité touristique est tout aussi importante. D’ailleurs, si le clapage ne pose vraiment aucun problème, pourquoi le suspendre pendant la saison estivale ?
Tous les ports sont concernés et avec eux tous les usagers de la mer. C’est notre devoir d’alerter et d’agir.
Arcachon a les mêmes préoccupations, mais d’autres aussi. Il s’agit d’un problème qui nous concerne tous.

Des solutions existent.

La Rance, dont l’embouchure se trouve à Saint-Malo a été draguée et les sédiments dépollués ont été étendus sur des terres agricoles. Les agriculteurs sont preneurs de ce fertilisant naturel s’ils sont suffisamment bien informés.
Certains pays du nord de l’Europe, après traitement, utilisent ces particules à la place du sable dans la confection de moellons ou de murs en parpaing.
Et, comme me le confiait un membre du cabinet préfectoral, « nous referons une étude et si la zone de clapage n’est pas bonne, nous changerons. Et si la nouvelle zone revient à plus cher, nous traiterons à terre. »

Il s’agit donc purement et simplement d’un problème économique.

Fort heureusement, les zones de plongées sont encore à peu près préservées. Seules deux ou trois zones près de la côte sont menacées, car les courants, contrairement à ce qu’affirment certains poussent les sédiments vers le rivage.
Toutes les zones au large de Groix sont indemnes pour l’instant et c’est aussi la raison de notre combat, maintenir ces zones en bon état.
Les clubs locaux pratiquent régulièrement leurs activités, mais restent vigilants et mobilisés

Notre collectif est toujours présent et bien décidé à poursuivre son action. Ce qui permet le rapprochement entre usagers qui s’ignoraient. Le pêcheur salue le plongeur, le plaisancier découvre les beautés des fonds marins, le biologiste réalise les affiches avec le chasseur sous-marin, il y des échanges, de la convivialité, de l’amitié …..On continue

* B.Margerie, plongeur, responsable de la commission biologie et environnement du Comité Interrégional Bretagne Pays de la Loire de plongée sous marine
* le Comité Interrégional Bretagne Pays de la Loire est membre de la Fédération Française d’Etudes et Sports Sous-Marins (FFESSM)
* Christian BUCHET est membre de l’Académie de Marine, vice-doyen de l’Institut catholique de Paris, membre du laboratoire d’histoire maritime (CNRS/université de Paris Sorbonne/musée de la marine) il est également membre du comité de veille écologique de la fondation Nicolas Hulot. C’est aussi l’auteur de nombreux ouvrages dont « Les voyous de la mer ».

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