"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

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PATE DE GANGSTER - (5 et FIN)

Avec l’autorisation de l’auteur (Ricardo Montserrat) et de l’éditeur (Louis Barbusse) que je remercie amicalement.

EPILOGUE

Et quand l’avion atterrit dix jours plus tard à Quimper, il fallut deux porteurs pour soulever les malles Vuitton de l’élégant homme d’affaires qui en descendit. Le taxi se demanda qui pouvait bien être cette star vêtue de blanc qu’il menait à Lorient mais elle resta muette à toutes ses questions.
Sur le Kreiz, bien peu furent ceux qui crurent le reconnaître sous son panama, les yeux dissimulés par de larges lunettes noires, un fume-cigarettes doré planté au coin de la bouche et une longue écharpe de laine autour du cou.

Léna était à son balcon quand le taxi le déposa, avec malles et paquets. En robe claire - la robe brodée de dentelles que portait sa mère à son mariage - et sur les épaules un châle orné de fleurs rouges.

Elle descendit vite lui ouvrir. Il avait envoyé la veille par chronopost ces seuls mots, non signés

J’arrive demain par le dernier bateau.

- Qui êtes-vous ? Yannick ou Charlie ? Yannick, c’est vous, n’est-ce pas ? Vous l’avez... ?

Yann ne répondit pas. Il s’en alla chercher la malle la plus lourde, paya le chauffeur qui s’attardait pour en savoir davantage en lui laissant un généreux pourboire.

Après l’avoir tirée jusqu’à la cuisine, il l’ouvrit sous le regard humide de Léna. Elle venait de quitter son châle. La robe presque transparente mettait en évidence des formes aussi généreuses que la poupe d’un canot de chez William, le rouquin marteau.

Il sortit de la malle d’énormes terrines, enveloppées dans des torchons immaculés, du pain parisien de chez Poilâne, mit du champagne dans de la glace. Il disposa sur la table une nappe brodée, des verres de cristal et des couverts de porcelaine fine. Il retira encore de la malle des boîtes contenant des orchidées, alluma de longues chandelles de cire parfumée qu’il planta dans des chandeliers d’argent finement ciselés. Puis il ôta lunettes, chapeau, fume-cigarettes, et, toujours silencieux, invita d’un geste Léna à s’asseoir à la place d’honneur. Il déboucha le champagne qui parut à la jeune femme de l’or liquide et, levant son verre, trinqua :
- À nos amours, Hélène !
- N’allez-vous pas trop vite, mon ami ? Qu’avez-vous fait de Charles ? Il ôta le torchon de lin qui entourait une des terrines et dit simplement :
- Pendant mes vacances, j’ai créé une nouvelle recette : le "pâté de gangster" !

----------

Le lendemain, c’était dimanche et les paroissiennes furent bien aise en voyant que la "Charcuterie Grecque" avait rouvert. Une banderole couvrait le nom : "À la Belle Hélène", charcuterie traditionnelle. Sur la vitrine, était écrit au blanc d’Espagne :
"Nouvelle spécialité : Pâté de Gangster !"

- Le fou, s’exclamèrent-elles. Qu’a-t-il encore été inventer ? Ses vacances n’ont guère duré ! On a dû lui manquer ! Et ce nom ?
- C’est une opérette d’Hoffmann, affirmèrent les plus cultivées. Il est allé à Paris, vous avez vu comme il est habillé ! Il sera allé l’écouter à l’Opéra-Garnier.
- Mais non, c’est à cause de la légende ! Il a dû enfin comprendre que le beau Paris de notre Grek, c’est lui...
- Enfin, Lisette, "Grek", chez nous, ça n’a rien à voir avec la Grèce !!!
- Et la Belle Hélène alors, qui est-ce ?
- Moi qui pensais faire du poisson !
- Je ferai son pâté en entrée !

Elles déchantèrent en entrant dans la boutique, car derrière la caisse, se tenait, droite et fière comme un mât de misaine gréé d’une voile blanche au col brodé, Léna, si souriante et épanouie qu’elle ne méritait plus de s’appeler Chagrin mais Bonheur. Elle portait autour du cou un foulard de soie qui dissimulait mal les morsures de la nuit, renouvelées à l’aube.

Yann avait les yeux cernés. Dans leur eau plus verte que bleue désormais, nageaient des paillettes d’or tandis qu’il découpait des tranches de son "pâté de gangster".
- Rien que de bons morceaux, je vous le garantis, Annick !
- Dites-nous quand même comment c’est fait !
— C’est du cochon, du cochon et rien que du cochon avec un petit quelque chose que je garde secret, sinon vous ne viendrez plus m’en acheter, vous le feriez-vous-même !
- Mais ce nom Vous n’avez quand même pas fait de mauvaises rencontres ? Où vous êtes allé ? Vous êtes habillé comme un roi ! Vous pouvez bien nous le dire !
- Je vous le dis : à Paris ! Et dans les beaux quartiers, je vous prie de croire !
- Paris ? Mon rêve !!! Pourquoi vous n’y êtes pas resté ? Une charcuterie comme la vôtre sur les Champs-Elysées, même le président, il irait ! Il paraît qu’il aime bien manger.
- On est bien mieux chez nous ! Les Parisiens sont des voleurs ! Et puis le regard se fit violet de la teinte qu’ont les bruyères les soirs de tempête Hélène m’attendait !
- Depuis quinze ans déjà ! soupira Léna qui n’avait dit mot jusque là. Ce sera tout Maria ? Ça fera soixante-quinze francs tout rond !
- Alors le nom du pâté, c’est à cause des Parisiens ?
- À cause d’un Parisien, en particulier ! reprit Yann. Un vrai gangster ! Mais je ne me suis pas laissé faire ! Zut, je me suis coupé ! Et j’ai taché mon tablier ! J’ai perdu la main !
- Donnez, mon ami ! Laissez-moi faire !

Léna sortit la boîte à pharmacie, lui suça longuement le doigt avant de le désinfecter. Elle fui trouva un goût d’iode et de myrtille.

Yann, heureux d’être ainsi dorloté, considérait la tache sur son tablier et se souvenait d’une autre tache entrevue au matin, qui avait la forme d’une île au milieu d’une mer chiffonnée.
- Mais pourquoi avoir attendu si longtemps ? s’étonnèrent les curieuses, gênées et envieuses de cette tendre intimité.
- Hélène était végétarienne ! Si j’avais su, je me serais fait jardinier !
- Végétarienne !!! Mon dieu, Léna, on ne savait pas ! C’est à cause de tes pauvres parents, n’est-ce pas ? Ils mangeaient trop gras... Je le dis à mon homme mais il ne m’écoute pas ! Mais pourquoi tu restais tout le temps sur ton balcon ?

Léna baisa les lèvres charnues de son héros avant de répondre.
- Quand nous étions à l’étranger, une vieille sorcière m’avait prédit qu’un prince charmant tout de blanc vêtu débarquerait d’un bateau tout aussi blanc pour m’épouser. J’étais petite, je l’avais crue. Ce que j’étais innocente ! Mais tout va changer ! Le sang finalement, j’aime ça moi aussi, dit-elle en se léchant les lèvres. Un peu de boudin grec ?

Le repas du dimanche fut maussade, ce midi-là.
- Tu n’as pas faim, Jeanne ? Il est pourtant bon, ce pâté ! Comment tu l’appelles, déjà ?
- Gangster ! C’est bien une idée de cette évaporée de Léna Taurong ! J’aurais mieux fait de faire du poisson ! J’ai encore pris du poids...

Groix, juillet 1997. Tous droits réservés.

Pour lire "Pâté de gangster" :
- épisode 1 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....
- épisode 2 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....
- épisode 3 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....
- épisode 4 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....

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