PATE DE GANGSTER - (4)
Avec l’autorisation de l’auteur (Ricardo Montserrat) et de l’éditeur (Louis Barbusse) que je remercie amicalement.

Yann serra les poings sous la table en entendant l’insulte. Il parvint à sourire d’un sourire crispé. Il lui fallait le fin mot de l’histoire avant d’agir.
- Tu me prends pour un micheton, Cul-rond ? j’ai répondu. Je vais la mettre sur le trottoir, ta descendance ! Au tapin ! Et si elle fait sa bégueule, elle fera de l’abattage sur les chantiers. Elle est vierge, hein ?
- Oui, je crois bien ! qu’il m’a gémi, le chapeau rond avec son accent aussi grossier que son pâté.
Parce qu’en plus il m’avait nourri, l’animal, toute la nuit, pâté, lard, poisson fumé et cidre bouché. Sacré panier qu’elle lui avait préparé, sa fifille ! Je n’en mangerais plus aujourd’hui ! Tu me croiras pas, petit, ricana-t-il, mais je ne mange plus de viande ! Saturé, tu comprends ? Ça m’a évité de grossir en prison.
- Et vous avez gagné ?
Mestracci lui désigna le chapeau accroché une patère, un beau panama blanc.
- Je ne perds jamais. C’est là que ça s’est compliqué. Car le bougre, il s’est mis à pleurer, qu’il n’avait plus qu’à se flinguer, que le jeu, c’était que du jeu, que c’était illégal de tout voler à un père de famille, honnête fonctionnaire au ministère de la Défense de mon cul. Alors là, j’ai sorti le couteau et j’ai dit :
- Mon petit père, je ne sais pas en Bretagne, mais chez nous, à Paname, les dettes de jeu et les mauvais payeurs, ça ne rigole pas !
Il l’a mal pris, que si je le menaçais, il pouvait se défendre, il avait des relations !
Il a remis sa veste, m’a bousculé pour sortir du bistrot. Il n’aurait pas dû parce qu’en ce temps là, avenue du Maine, il y avait autant de Corses que de Bretons. Il n’a pas fait trois mètres dehors qu’on me l’a ramené par la peau des fesses. Il a signé tous les papiers que je lui ai mis sous le nez. On lui a coupé la dernière phalange du petit doigt pour qu’il comprenne qu’on ne rigolait pas ! Je lui ai rendu son billet de train et prêté cent balles afin qu’il puisse retourner chez lui annoncer à sa vieille et à la petite qu’elles avaient changé de taulier. Dans un bon geste, je lui ai dit de rester manger. J’ai aussi invité les potes qui m’avaient ramené le père Lapoisse. Ça me faisait marrer d’être propriétaire d’un bout d’île et d’un beau bout de fille même si je ne savais pas trop ce que j’allais en faire. Des filles, j’en avais plus que je ne pouvais en dresser.
C’est en entendant à la radio parler de Saint-Trop’, B.B., Johnny et tout le reste, que je me suis dit qu’un de ces jours, les snobs se fatigueraient du sud et s’en iraient villégiaturer plus au frais. Un pied à terre en saison avec une ou deux filles devant le comptoir, ça pourrait rapporter chaud. D’autant qu’avec ma manie de dévêtir les récalcitrantes et leurs julots, de temps en temps, il me fallait quitter la capitale pour me mettre au vert...
Alors j’ai écrit une lettre à la môme. Je lui ai dit de m’attendre, qu’un de ces quatre matins, d’ici juillet, je débarquerais dans "ma" maison et que ce jour là elle serait à moi - corps et âme comme on dit. Qu’en attendant, elle n’avait pas intérêt à me faire un enfant dans le dos comme sa mère l’avait fait avant elle. Vue la tête du père, c’était de toute évidence avec un Javanais que Madame Cul-rond avait fauté.
Je lui ai mis en post-scriptum que si elle trouvait le temps long, il ne fallait pas qu’elle se fasse de mouron, que je lui donnerais l’occasion de se rattraper. Je lui ai mis mon portrait pour pas qu’elle aille se tromper le jour où je débarquerai, borsalino, costume d’alpaga et tout le tralala devant ma Volvo. Ça, il n’y avait pas plus beau parti que moi dans tout Paris. Toi aussi, t’es pas mal comme mec, tu ferais des dégâts si tu restais dans le quartier, tu sais ! Faudrait te fringuer...
Le péquenaud est reparti. Je ne sais pas ce qui lui a pris, il devait avoir une petite santé, toujours est-il qu’il est mort une semaine après. La petite m’a écrit : que sa mère avait fait une attaque, que son père les avait mises au courant de tout, qu’elle acceptait le contrat, qu’elle m’attendait et qu’elle avait besoin d’argent pour tenir la maison.
Je lui envoyé un paquet de biftons, de quoi transformer sa baraque en palais d’ici que j’y aurais mis les pieds.
Et voilà qu’au printemps, on m’arrête, condamne et recondamne. J’ai voulu refiler Léna et dépendances à un de mes sous-fifres avec qui j’étais en dette, mais c’est elle qui n’a pas voulu, elle m’a écrit qu’elle attendrait que je sorte ; elle l’avait juré devant le corps de son père. Ça m’a bluffé."
Elle vous a attendu, soupira Yann qui comprenait beaucoup de choses et sentait comme un goût de sang et de meurtre lui monter dans la bouche. Vous allez y aller ?
- Ben, je ne crois pas, vois-tu ! Je nie retire des affaires. Je vais fourguer tout ce que j’ai. Le temps de récupérer ce que j’ai mis à droite, je m’installe, chez moi, près de Calvi. J’ai pris froid en taule ; la Santé, c’est humide. J’ai besoin de soleil et puis je sens bien qu’on me tient à l’oeil. Les poulets n’ont pas digéré de n’avoir rien trouvé. Je ne pourrais plus travailler comme avant ! C’est fini, le bon temps. Les patrons et les règles du jeu ont changé. Comme je ne me vois pas limonadier bossant pour les Chinois ou les Yougos, encore moins pour les zarbis du coin, je préfère faire le mort. Le lézard quoi regarder pousser la vigne familiale et les oliviers, manger la cuisine de ma pauvre mère qui vaut celle de tous les restaus de Paris...
- Et Léna ?
- Elle doit avoir le cul moisi à force de guetter mon retour ! Je vais la vendre à des Nantais que j’ai rencontrés en zonpri.
- Je vous l’achète, monsieur Mestracci !
- Appelle-moi Charlie ! T’es mordu, alors ? Tu sais, une fille comme elle, bien menée sur le trottoir, ça rapporte un paquet les premières années.
- Ton prix, Charlie !
- Si je l’avais vendu aux gars de Nantes, ils m’en auraient donné deux cents mais du coup ils devenaient mes alliés.
- Je t’en donne deux millions et je te laisse la vie sauve !
- La vie sauve ? Mais qui es-tu donc, couillon de Breton ? Et d’où tu sors ton fric ?
- Les Bretons m’appellent "Le Charcutier", répondit Yann en ouvrant la trousse de cuir contenant ses couteaux et ses hachoirs.
Il ne souriait plus.
- Toutes les femmes de l’île sont folles de moi ! Sauf Léna qui t’est restée fidèle, Charlie... et les vieilles qu’ont passé l’âge, ajouta-t-il en tâtant le fil de sa meilleure lame. C’est Léna que je veux !
- Ramasse ça, tu vas te couper ! Le Charcutier, le Désosseur, les yeux bleus, Léna... décidément, on est comme des frères, tous les deux !
- Abel et Caïn ! Léna m’avait demandé de te tuer et je l’aurais fait sans état d’âme, Charlie. Mais si j’aime voir couler le sang, je n’ai pas envie que les flics s’intéressent à moi. Si tu disparais dans ton maquis après avoir encaissé le chèque, je m’abstiendrai. J’ai une meilleure idée !
- J’accepte ! Tu me plais ! Demain matin, on va chez mon "notaire" régler tout ça ! Et maintenant qu’on est associés pour ainsi dire, je ne vais pas te laisser habillé comme un bouseux. Léna te ferait cocu au bout d’un mois, je te dis. Faut que tu t’imposes, t’as l’air d’un communiant ! Je vais te saper comme un milord, si tu en as les moyens...
- J’en ai les moyens ! dit Yann en rangeant sa mallette à couteaux.
- Tu m’aurais vraiment zigouillé ?
- Oui, et proprement !
- Mais mon corps, comment t’en serais-tu débarrassé, toi ? Tu ne connais personne à Paris !
- Le bon "charcutier" fait du bon "pâté" ! Avec toi, j’aurais fait du pâté de voyou ! Du pâté de gangster, si tu préfères... Une semaine dans la saumure et puis quatre heures à bouillir...
- T’es un futé. À la Belle Hélène, il y avait une spécialité de pâtés de viandes et de poissons marinés dans un vinaigre d’herbes et de whisky irlandais, je ne te dis pas, fallait réserver un mois avant pour y goûter. Je faisais aussi un boudin au sang avec des fruits acides et du champ’. À s’en lécher les doigts.
Yann sourit à nouveau. Son nouveau rôle de méchant lui plaisait. Il fallait garder l’avantage et pour ça, il savait ce qu’il allait faire.
- Tu as faim, Charlie ? C’est moi qui prépare ! Il y a une bonne charcuterie dans le quartier ? Et une épicerie de qualité ? Au menu, spécialités groisillonnes, chumpot en dessert. Je peux allumer les fours ?
- Fais comme chez toi, frérot ! Si on doit passer une semaine ensemble...
Pour lire "Pâté de gangster" :
- épisode 1 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....
- épisode 2 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....
- épisode 3 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....
(à suivre)