"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Cap sur les îles portugaises

Publié le 21 août à 16:42

Pour sa 23ᵉ édition, le Festival groisillon se fait l’écrin des films tournés à Madère et aux Açores de 1930 à nos jours. Un choix qui rend aussi hommage à la forte communauté lusitanienne arrivée sur l’île du Morbihan dans les années 1960 et 1970.

Un festival sur une île, qui raconte les îles. La 23e édition du Festival international du film insulaire de Groix (Fifig) est consacrée aux îles du Portugal avec, au sein d’une programmation foisonnante, dix films tournés à Madère et aux Açores entre 1930 et aujourd’hui. De quoi attirer un certain public groisillon, particulièrement sensible à cette thématique : environ 10 % des quelque 2 300 habitants de l’île morbihannaise sont d’origine portugaise.

Au départ était un barrage. Au mitan des années 1960, Groix, au large de Lorient, est sur le déclin – le faste de la pêche au thon du début du XXe siècle est bien loin. « En cinquante ans, n’ayant pas pris le train de la modernité – à commencer par le bateau à moteur –, l’île a perdu la moitié de ses habitants, et l’autre moitié vieillit. Les jeunes hommes partent travailler sur le continent et les femmes n’ont plus forcément envie d’être agricultrices », explique Anne-Catherine Viennot-Goulletquer, autrice de l’Almanach historique de l’île de Groix (éd. Groix, 2021). Le maire de l’époque, Joseph Puillon, a la bonne idée d’installer l’eau courante pour redynamiser l’île. Et pourquoi pas, ensuite, se lancer dans le tourisme ? Le site de Port-Melin, au nord, est choisi pour la construction d’un barrage. Une entreprise nécessitant de nombreux bras. « Sauf que les gens d’ici étaient plus habitués à étriper des poissons qu’à construire des maisons », raconte Jo Le Port, 75 ans, ancien marin et tavernier. En 1966, la Société de génie civil de l’Ouest (SGCO) fait circuler le mot en région parisienne, où vivent la majorité des réfugiés portugais ayant fui le régime de Salazar. Des maçons et bâtisseurs sont demandés sur le « Caillou » : une quinzaine de Portugais s’y rendent.
Plus intégrés que les Bretons du continent

Mireille Rodrigues, née Guennec, n’avait pas 15 ans quand, pour la première fois, ses yeux ont suivi le bel Augusto sur son vélo jaune, de retour du chantier. « Dès que je l’ai vu, j’ai dit : “Ça sera lui et pas un autre.” » C’est un soir de 1966, sur le manège (« le casse-gueule ») de la place du Leurhé, que l’affaire est conclue. Malgré leurs onze ans d’écart et l’opposition de sa mère, Mireille se marie avec Augusto en 1968. « Quasiment tous les jeunes parmi les ouvriers ont épousé des Groisillonnes et sont restés vivre ici », précise-t-elle en sirotant son thé. Ce n’est pas Julio Teixeira, arrivé tout jeune pour travailler sur le barrage, qui la contredira : « Les hommes d’ici étaient un peu jaloux de nous, on leur piquait les filles. Elles voulaient toutes monter sur ma mobylette. La dernière à l’avoir fait est devenue ma femme. » Leur intégration à la vie insulaire se déroule bien : n’étant pas des marins, ils ne font pas d’ombre aux locaux – sauf en ce qui concerne les filles. « Il est arrivé que des “étrangers” [appellation de toute personne née hors de l’île, ndlr], pourtant venus de Lorient, de l’autre côté du bras de mer, se soient moins bien intégrés, car ils voulaient aussi travailler dans la pêche », note Jo Le Port.

« Après le barrage, ceux qui sont restés ont créé des entreprises de bâtiment et ont embauché des locaux, qui en avaient bien besoin, poursuit-il. Et ils ont mis leurs enfants à l’école et allaient à la messe, ce qui a favorisé leur insertion dans la vie locale. » Les Portugais de Groix, satisfaits de leur sort, incitent parents et amis à les rejoindre au cours des années 1970. Aujourd’hui, la troisième génération compte bien reprendre les entreprises familiales et continuer à vivre sur l’île. « Ce sont des Groisillons comme les autres, point », tranche Mireille. Dans les premières années de vie du festival de cinéma, au début de la décennie 2000, des membres issus de cette communauté s’impliquent dans l’organisation, notamment en hébergeant des artistes. « C’est pour faire honneur à cette partie de la population que le thème du Fifig 2024 a été choisi », assure Jeanne Hardy, codirectrice artistique, qui souhaite rapprocher le public « étranger » de l’événement et les îliens. « Ce festival est aussi le leur. »

Natacha Marbot Télérama 21 août 2024


Voir en ligne : article sur telerama.fr

Commentaires :

  • Toui,
    Un fémur.
    L’abus d’électricité en vélo nuit à la santé

  • Courrier contre bakchich

    En 11 ans de navigation, il m’est arrivé souvent de passer par l’archipel des Açores, que ce soit un voyage vers le Japon (Canal de Panama ou vers l’Amérique centrale).
    Dans les années 70, pas de téléphone satellitaire, pas d’internet, la misère quoi :).

    Quelques heures avant d’arriver au sud de l’île Pico, si je ne me trompe pas de nom, quelques membres de l’équipage écrivaient un courrier destiné à sa famille ou autre, nous découpions un fût dans lequel le courrier était enfermé avec des cartouches de cigarettes et quelques bouteilles de whisky, on faisant attention que de fût métallique ne coule pas une fois dans l’eau. Ce dernier était bien entendu refermé et soudé avec soin.

    Arrivé aux abord de l’île, un coup de corne, le fût était balancé par dessus bord et le courrier arrivait quelques jours après à destination sans problème. Cette vieille tradition a peut-être disparu, j’en sais rien.

    Toujours est-il que dès que la corne émettait son son particulier, les retraités açoriens sortaient avec leurs canots, récupéraient le fût flottant, le découpaient, récupéraient le contenu, mettaient un timbre sur chaque enveloppe et gardaient cigarettes et alcool. Le courrier est toujours arrivé à destination.

  • J’espère très fort Didier que ton anecdote sera évoquée au Festival mais ... j’ai comme un doute ... sauf si tu la publies ailleurs :-)

  • Une autre bouteille à la mer pour Paul Watson si possible .. en méme temps .

  • Aïku de souvenir

    A l’égal des portugais de "Port Melin", ayons une pieuse pensée pour les 10 marins portugais noyés à "Port Mélite" au XIXème siècle, dans l’échouage de leur goélette sur la plage, après avoir été "capelés" sur la dangereuse "Basse Mélite", par une nuit d’hiver tempétueuse de noroît.

    La bouée "Mélite" n’existait pas à cette époque !!!

    RIP

    Torcheur

  • Aïku complémentaire

    La goêlette s’appelait "La Caroline". Ce sont les deux rescapés du naufrage qui vont, au petit jour, alerter la mairie de Groix. L’officier d’état-civil, "Julien Kersaho", accompagné du médecin de marine de Groix, "Monsieur d’Anvers", vient établir les constats de décès sur la plage. L’acte de disparition des dix naufragés apparaît sur la vue N° 444, de l’année 1818 de l’Etat-Civil de Groix, numérisé par le Conseil Général du Morbihan.

    La goelette s’est perdue la nuit du 08 au 09 mars 1818.

    Les marquages et balisages des dangers côtiers de l’île ? vont intervenir dans le courant des XIXèmes et XXèmes siècles.

    Torcheur

  • apparemment mon cousin tient à rappeler qu’il peut être aussi très sérieux :-)
    Merci pour le partage de cette information.

  • Mais ... tu as été lu Didier car un ami ajoute son anecdote à la tienne.
    Quand il naviguait dans les années 70, il se passait la même chose dans le détroit de Messine.
    Merci Nono.

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