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Aider Haïti à se relever

mercredi 25 août 2004, par Admin

La France a applaudi la chute d’Aristide, elle doit désormais être à l’écoute de son peuple.
Aider Haïti à se relever

Par Charles NAJMAN journaliste et réalisateur.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=231069

(( Son film : "La fin des chimères" est projeté jeudi à 20 h. 45))

La France a joué un rôle non négligeable dans la résolution de la crise haïtienne qui s’est conclue par la chute du président Aristide en février et son « exil » en Afrique du Sud. Le « rapport Debray » de la mission Haïti-France a constitué une bonne base de départ pour renouer les liens historiques entre deux pays trop longtemps séparés par une incompréhension mutuelle. Depuis, malheureusement, la France est retombée dans un silence assourdissant, aggravé, peut-être, par le départ du tonitruant Dominique de Villepin du ministère des Affaires étrangères.

Si elle veut vraiment s’investir en Haïti, la France doit d’abord commencer par écouter les Haïtiens, qui sont confrontés à la pire crise politique jamais connue dans ce pays. Le départ d’Aristide a, bien sûr, provoqué d’abord un soulagement. Mais, depuis son exil, les Haïtiens se réveillent avec la gueule de bois. Car le plus difficile est maintenant devant eux. La tâche est immense et ardue.

Depuis que le petit despote est tombé de son trône, Haïti a d’ailleurs quitté la une des journaux pour retomber dans sa solitude. Dieu seul me voit, titre d’un livre que j’ai publié il y a quelques années, est l’expression qu’on emploie en Haïti pour évoquer la masturbation. Mais cette expression, hommage à l’invention langagière haïtienne, évoquait surtout pour moi cet isolement tragique d’Haïti, cette autarcie, qui est, je crois, en partie entretenue inconsciemment par les Haïtiens eux-mêmes.

Comme après une intense dépression, c’est donc tout un pays accablé qui s’interroge aujourd’hui. On dit parfois que les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. C’est pourtant l’incroyable contraste entre un peuple singulier et un dirigeant incapable qui frappe l’esprit de tout connaisseur d’Haïti. Le bilan d’Aristide est, en effet, affligeant. Il n’a réussi, en réalité, qu’une seule chose durant son dernier mandat avorté : unir toutes les couches sociales, pourtant clivées, scindées depuis la naissance du pays, contre lui.

Ce n’est certainement pas un hasard si l’éviction d’Aristide a eu lieu un mois après le 1er janvier 2004, date du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti. Aujourd’hui, les Haïtiens sont partagés entre la fierté légitime qu’ils éprouvent pour leur glorieuse révolution et la honte, la consternation, devant la tragique litanie des despotes qui les accablent depuis l’indépendance.

Une question encore taboue hante le pays : comment en sommes-nous arrivés là ? L’ancienne colonie la plus riche au monde est aujourd’hui devenue l’un des pays les plus pauvres. Né pourtant de l’unique révolte d’esclaves victorieuse dans l’histoire de l’humanité, Haïti semble en subir éternellement les conséquences.

La « nation pathétique », comme on l’appelle parfois, en vient à se demander si on ne lui fait pas payer depuis toujours la singularité de sa révolution antiesclavagiste et son défi à l’Occident. Elle se demande s’il n’existe pas finalement une pente fatale au despotisme en Haïti.

Médusés par leur propre impuissance, les Haïtiens n’arrivent presque pas à croire à ce qui leur est arrivé : comment est-on passé de l’euphorie de 1986 avec le départ de Jean-Claude Duvalier à un tel désenchantement ?

Avec la chute d’Aristide, on assiste à la fin d’un cycle politique : de l’espoir démocratique qu’a constitué la victoire électorale écrasante d’Aristide en 1990 au désarroi actuel de la population, soumise au chaos politique et à une crise économique sans précédent.

Les Haïtiens ont été suffisamment abreuvés de propagande nationaliste pour comprendre qu’ils ne peuvent plus se contenter d’explications extérieures pour interpréter le désastre actuel. Haïti se retrouve démuni face à une interrogation majeure : comment ce pays peut-il s’en sortir ? Est-ce vraiment la fin des chimères ? Des « chimères » d’Aristide, bien sûr, mais aussi des chimères sur lesquelles l’élite politique et économique a fondé ce pays, abandonnant tout un peuple depuis sa naissance dans une zone de non-droit.

Ce peuple si religieux qui a cru élire Jésus a découvert Aristide comme un nouveau Judas. Cet ancien adepte de la théologie de la libération s’était, en effet, progressivement transformé en dictateur. Si les ressemblances sont évidentes, il n’est pourtant pas inutile de redéfinir la singularité du régime aristidien par rapport à la dictature héréditaire des Duvalier. Aristide a tué moins d’Haïtiens que les Duvalier mais il a été sans doute une pire calamité que Papa et Bébé Doc. Car ce qu’il a surtout tué c’est l’espoir de tout un peuple qui croyait en lui.

De plus, le régime d’Aristide n’était pas à proprement parler une dictature. La dictature suppose, en effet, si l’on peut dire, un minimum d’Etat, concentré sur ses fonctions répressives. Du temps de Duvalier, on savait qui vous tuait. Sous Aristide, tout pouvait arriver mais on ne savait pas où, quand ni comment on allait vous tuer. L’expression même de « chimères » témoigne bien du caractère « ombrageux » de la répression. C’est pourquoi Aristide a été le grand ordonnateur, le maître du chaos, plutôt qu’un tyran au sens classique. Il relève plus d’un anarchisme dévoyé que d’un fascisme à l’ancienne. Jean Edern-Hallier a défini un jour la monarchie comme étant « l’anarchie plus un ». C’est une définition qui résume très bien le régime « lavalassien »... En réalité, Aristide a incarné le refus de l’Etat jusqu’au sommet du pouvoir.

Pour la première fois, le « pays en dehors » avait cru se retrouver « en dedans ». Après l’expérience calamiteuse d’Aristide, il est malheureusement possible que la cohorte des exclus de la société haïtienne se replie à nouveau et retourne à son refuge identitaire avec pour tout bagage sa détresse. Haïti aurait du mal à s’en relever, car ce sont toutes les couches sociales qui se trouvent aujourd’hui déstabilisées.

C’est pourquoi l’aide à apporter à ce pays est indispensable. La Communauté européenne vient de donner l’exemple. Espérons qu’il ne s’agisse pas d’un feu de paille mais d’une politique à long terme, dans laquelle le France doit tenir un rôle majeur. « Faire la France » est une expression créole qui signifie en Haïti « précieux », « sophistiqué », mais aussi « être dans la lune ». Espérons que la France redescende sur la terre haïtienne avec un vrai projet de coopération pour ce pays dont la francophonie est toujours aussi riche et émouvante.

Après deux siècles de stagnation, il est permis d’envisager une sortie de l’impasse actuelle : construire enfin un Etat, une nation, une « maison commune » en chassant, au-delà d’Aristide, les sortilèges du passé. 2004, année du bicentenaire, peut être une date décisive pour Haïti ; l’année de la crise fatale des grands mythes nationaux. Et l’un des plus grands mythes, c’est celui d’un 1804 triomphal où les esclaves se seraient libérés de leurs chaînes.

Car, en réalité, 1804 a été aussi la victoire d’une petite classe de propriétaires mulâtres et de Noirs affranchis, sous la direction d’un groupe de généraux noirs, dont Toussaint-Louverture et Dessalines, les deux grands héros haïtiens, anciens officiers de l’armée française. Une nouvelle oligarchie a remplacé les colons, et la masse des anciens esclaves s’est retrouvée après 1804 dans un état d’apartheid social et économique. Bien sûr, toute révolution est trahie. Mais en Haïti, il s’agit d’un crime originel, puisque la nation haïtienne s’est constituée à partir d’une révolution confisquée.

Jusqu’à présent, paradoxe pour cette nation créée par des esclaves, Haïti vit un perpétuel recommencement du despotisme, une reproduction épouvantable et incessante du même traumatisme. Toute l’histoire haïtienne est ainsi : une névrose collective dont personne ne veut guérir... Aujourd’hui, c’est le deuil des mythes nationaux qui va peut-être finir par s’imposer. Il est permis de souhaiter que le désespoir actuel des Haïtiens soit le début d’une lente maturation. La société haïtienne a été abusée jusqu’à l’ivresse par un messie de pacotille ; elle est si fatiguée qu’elle est peut-être aujourd’hui saoulée d’illusions messianiques.

Les Haïtiens n’ont peut-être plus que le choix de « voter » pour le principe de réalité. Ainsi, 2004 sera peut-être l’année de la crise finale du messianisme en Haïti. La chute d’Aristide incitera peut-être les Haïtiens à construire un avenir collectif. Comme le dit le célèbre couplet de l’Internationale : « Il n’est pas de sauveur suprême ».

Elle les conduira peut-être à refuser de confier le pouvoir aux mains d’un pseudo-prophète, à accepter la contradiction, le conflit, le droit, la loi. Il faut espérer que le temps des illusions laissera bientôt la place au temps du réel afin de sortir ce pays du marasme total.

Qu’on laisse le peuple haïtien vivre de son identité irréductible et que l’Etat commence à vraiment exister afin que cette nation qui a accouché il y a deux siècles naisse enfin, même dans la douleur.

Derniers films tournés en Haïti : Royal Bonbon (2002) et La Fin des chimères ? (2004).

Commentaires

  • En réponse à l’écrivain et cinéaste Charles Najman qui regrettait que la France ne soutienne pas la cause haïtienne comme elle le devrait. Le Quai d’Orsay n’a pas abandonné Haïti

    Par Michel BARNIER
    http://www.liberation.fr/page.php?Article=233684 jeudi 26 août 2004

    Monsieur Charles Najman a raison lorsqu’il écrit dans ces colonnes le 17 août, que la communauté internationale doit se mobiliser pour aider Haïti. Mais il a tort quand il dit qu’après « avoir joué un rôle non négligeable dans la résolution de la crise haïtienne, la France est malheureusement retombée dans un silence assourdissant ». Je veux dire ici avec force que notre pays a conduit avec détermination une action en faveur d’Haïti qui ne s’est pas relâchée depuis le départ du président Aristide.

    Tout d’abord, un fait qui en dit plus que de longs discours : alors qu’aucun ministre des Affaires étrangères français ne s’était rendu en Haïti depuis deux siècles, Mme Alliot-Marie puis moi-même avons fait, au cours des six derniers mois, le déplacement vers ce pays et mis ainsi un terme à une trop longue absence. Je me suis même rendu à deux reprises à Port-au-Prince, les 15 et 28 mai, en compagnie, notamment de l’écrivain René Depestre et, la deuxième fois, pour apporter le soutien de la France aux victimes des inondations qui ont touché Haïti comme la République voisine de Saint-Domingue.

    Au-delà de ces déplacements, notre pays prend sa part dans le retour à la stabilité en Haïti. Le jour même de la démission de M. Aristide, la France, en étroite coopération avec les Etats-Unis, a fait adopter à l’unanimité par le Conseil de sécurité la décision de déployer dans ce pays une force intérimaire multinationale. Cette force, pour laquelle la France a mobilisé un millier de soldats pendant quatre mois, est parvenue à faire baisser considérablement le niveau des violences et des atteintes aux droits de l’homme.

    Nos militaires ont accompli un travail remarquable, en apportant, en particulier, une aide immédiate aux populations sinistrées par les inondations. A présent, les Casques bleus ont pris la relève de la force intérimaire pour poursuivre l’effort de retour à la sécurité dans le pays. Près de quatre-vingts de nos gendarmes et policiers présents dans cette force, encadrent la reconstruction de la police haïtienne.

    Aujourd’hui, l’objectif est d’aider les citoyens haïtiens à reprendre confiance dans leur pays. C’est une tâche essentielle à laquelle nous prenons, là encore, toute notre part. Haïti, nous le savons tous, demeure l’un des pays les plus pauvres du monde : à une situation de profonde misère s’ajoute la terrible faiblesse de l’appareil d’Etat, marqué par de trop longues années de dictature. Dès ma prise de fonction en avril, j’ai fixé pour priorité à notre coopération avec Haïti la reconstruction des services de l’Etat dans des domaines clés comme la police, la justice, les finances publiques, le développement agricole ou encore l’éducation et la santé. La plupart de nos experts dans ces secteurs sont d’ores et déjà à pied d’oeuvre.

    Je n’oublie pas l’accueil que m’ont fait les étudiants de l’université d’agronomie de Port-au-Prince et leurs professeurs, dans des bâtiments entièrement dévastés par les milices quelques semaines plus tôt.

    Cette volonté de la France d’être aux côtés des Haïtiens dans leur entreprise de reconstruction se traduit encore par des actions ciblées vers les domaines les plus névralgiques. Aujourd’hui, ce qui fait le plus défaut en Haïti, c’est l’électricité. Chacun peut le constater en visitant Port-au-Prince, où, la nuit, les habitants de la ville se regroupent autour de bougies. Lorsqu’il est venu à Paris en mai, le Premier ministre, M. Jean Latortue, a demandé au Président qu’EDF puisse établir un audit de la société haïtienne d’électricité. L’audit est en cours, et j’ai personnellement obtenu qu’il soit financé par l’Agence française de développement. L’effort bilatéral de coopération engagé cette année par notre pays en faveur d’Haïti s’élève à 27 millions d’euros.

    Un mot, enfin, de notre aide qui transite par l’Union européenne. L’Europe, qui avait pris des sanctions contre le gouvernement de M. Aristide, s’interdisait depuis deux ans toute coopération avec Haïti. Dès la formation du gouvernement de M. Latortue, la France a plaidé auprès de ses partenaires européens en faveur de la levée de ces sanctions. Nous avons été entendus : la Commission a annoncé, pour les quatre ans qui viennent, une contribution de 260 millions d’euros dont la France financera le quart.

    Dans quelques jours, Renaud Muselier, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, se rendra à ma demande en Haïti pour faire le point de l’ensemble de nos programmes bilatéraux avec nos partenaires haïtiens. Nous sommes à l’écoute, avec le souci d’aider à cette reconstruction politique et économique d’Haïti. Nous restons attentifs au travail des collectivités territoriales françaises ­ Suresnes, Strasbourg, la Savoie notamment ­ mais aussi des associations et fondations qui accompagnent au quotidien cette reconstruction.

    Non, la France n’est ni silencieuse ni immobile ; elle est mobilisée aux côtés des Haïtiens pour assurer le succès d’une phase cruciale de l’histoire de ce pays et lui permettre de sortir d’une trop longue période d’instabilité et de misère.

    Michel BARNIER ministre des Affaires étrangères.