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Pourquoi il faut sauver le Biche

vendredi 30 mai 2008, par Admin

Il est des témoins du passé, ce passé sans lequel, selon l’expression quelque peu éculée mais à jamais consacrée, le présent n’aurait pas de futur, qui sont bien plus que des vestiges à sauver et préserver.

Tel est le cas du voilier Biche, dernier exemplaire d’une flotte de près de 900 dundees de l’Atlantique ( tous ports du Ponant confondus) en activité dans les années 30, qu’une bande de passionnés, mordus, un peu fêlés – et il fallait l’être pour tirer cette coque de plus de 60 ans de la soue mortelle où elle agonisait à Douarnenez - a réussi in extremis à sauver d’une mort assurément inéluctable. Les fêlés ont l’avantage, au contraire de ceux qu’ils ne le sont pas, de laisser passer la lumière.

Construit en 1934 aux Sables d’Olonne pour le patron groisillon Ange
Stéphant, dit Biche, surnom porté par cette famille à cause d’un aïeul
qui aurait hélé son chat par un joli bibiche, le dundee Biche ne doit
pas être sauvé parce qu’il serait un symbole et qu’il pourrait devenir
un emblème. Son sauvetage est un devoir de mémoire qui permettra enfin aux îliens de Groix – je le précise, car il y a des Groisillons qui n’y
étant pas nés aiment du fond du coeur cette île où ils ont choisi de
vivre, et il en a toujours été ainsi, et c’est tant mieux- de faire le
deuil d’une épopée à jamais révolue et de se tourner vers un avenir pour
lequel il y a besoin de retrousser les manches au lieu de se larmoyer
sur une histoire singulière accomplie qui s’est achevée l’été 1959
lorsque Paotr Piwysy de François Tristant fit la dernière campagne de
pêche au thon à la voile. Trois ans auparavant, le Biche comptait encore
au nombre des huit derniers dundees de l’île qui firent la saison estivale.

On ne peut faire deuil face au vide. Les familles qui comptent des
marins perdus corps et biens avec leur bateau le savent douloureusement.

C’est la raison pour laquelle à l’île d’Ouessant, on célébrait autrefois
la proella en déposant une petite bougie de cire dans un monument
réservé à cet effet dans le cimetière de l’île. La bougie, déposée sur
un lit et que l’on avait veillée comme un défunt, représentait le corps
d’un marin de l’île disparu en mer. Le Biche est la proella de la flotte
thonière bretonne.

Il faut sauver le Biche parce que nous n’avons pas été capables de le
faire pour trois autres dundees de l’île qui auraient pu échapper à la
démolition. Le Paotr Piwisy, acheté pour la plaisance, mal transformé en
voilier de croisière, qui finit lamentablement sur la vasière du Fret en
rade de Brest. Le Mimosa, aménagé dans un premier temps en bar dans
l’anse du Driasker à Port-Louis d’où des amoureux finirent par
l’extraire pour lui éviter une démolition programmée par la municipalité
de Port-Louis dans les années 70. Ils le crurent sauver quand ils
l’amarrèrent à quai dans l’arsenal de Lorient sous la garde de la Marine
Nationale. Y avait-il meilleur garant que cette grande dame que l’on
nomme la Royale pour sauvegarder Mimosa ? Il aurait fallu se rappeler
que l’autorité militaire, à l’image de notre administration bien
française et républicaine, peut aussi sombrer dans une impéritie
dévastatrice. Enfin la Madeleine Yvonne, découverte par hasard au fond
de la rivière d’Etel et pour lequel je lançai un appel dans le journal
Ouest-France du 3 avril 1969 afin que le dundee ne meure pas dans
l’indifférence. Mais il était déjà trop tard.

Il faut sauver Biche pour garder en mémoire le combat de tous ceux et
celles qui depuis 30 ans ont œuvré afin qu’il ne s’engloutisse pas dans
les marécages de l’oubli éternel : Dominique et Zoé Duviard qui le
retrouvèrent en Angleterre, les militants de Groix-Vie et traditions qui
le firent revenir dans l’île en 1979 et aujourd’hui les Amis du Biche
qui n’ont ménagé ni sueur ni peine pour que le dundee puisse dés 2011
carguer ses voiles dans les Coureaux de Groix. Nul besoin d’être
passéiste ou conservateur pour vouloir sauver ce patrimoine. Il suffit
tout simplement de croire que, lorsqu’on ne sait pas où l’on va, on a
tout intérêt à savoir d’où l’on vient. Le Biche, LGX 3864, est un amer
précieux pour garder la bonne route entre le sillage de hier et le cap
sur demain.

http://luciengourong.com/

Commentaires

  • Difficile de prendre la plume derrière Lucien, mais je voulais au moins le remercier pour ce soutien, au travers duquel je relève que :" Les fêlés ont l’avantage, au contraire de ceux qui ne le sont pas, de laisser passer la lumière", et aussi que "Nul besoin d’être passéiste ou conservateur pour vouloir sauver ce patrimoine. Il suffit tout simplement de croire que, lorsqu’on ne sait pas où l’on va, on a tout intérêt à savoir d’où l’on vient."

    Les Amis du Biche, c’est un peu et c’est beaucoup tout cela. Des amoureux d’une certaine lumière, autrement dit d’un certain éclairage, qui veut mettre en valeur ce que l’ombre condamne à l’oubli.

    Qu’on ne se trompe pas, nous ne sommes ni rêveurs ni nostalgiques. Si de tels sentiments nous chatouillent parfois, nous savons le danger qu’ils représenteraient pour "l’entreprise BICHE" s’ils supplantaient les facultés d’hommes de terrain, de négociateurs et de gestionnaires qui sont celles des moteurs de l’association. Nous n’aurions jamais été pris au sérieux par les nombreuses personnalités qui nous ont accordé leur confiance et apporté leur aide, si nous n’avions pas les pieds sur terre.

    BICHE vivant est une source généreuse de questions, et peut être de réponses, sur le sens de la vie, sur le respect des ressources, sur l’exploitation touristique de la Mer (que des sans foi ni loi considèrent comme un bien de consommation), sur le rapport de l’être humain à sa planète...

    Merci donc à Lucien d’exposer ce qui le motive dans la renaissance de BICHE. De bonnes raisons de se battre pour ça, chacun d’entre nous en a, et il c’est sacrément bon de savoir que d’autres les partagent, surtout quand c’est si bien dit.

    Alex