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La directive Bolkestein revient par la mer

samedi 19 mars 2005, par Visiteur

Tout en jurant ses grands dieux que le dumping social ne passera pas par elle, l’Europe prépare une variante de la directive Bolkestein appliquée aux industries portuaires. Selon ce texte confidentiel, le docker havrais devra se mettre au diapason des normes maltaises ou chypriotes. Bonne dégringolade !

De l’UMP au PS, de l’UDF aux Verts, tous ensemble, tous ensemble contre le dumping social ! À trois mois du référendum chiraquien sur la Constitution européenne, visant à graver dans le marbre les sacro-saints commandements de la libre concurrence, les « oui-ouistes » se mobilisent fiévreusement pour réparer la boulette Bolkestein. La directive de l’ex-commissaire européen au marché intérieur prévoyait d’« harmoniser » au ras du sol les pratiques des industriels du service en prônant le principe dit du « pays d’origine » : un patron tchèque ou chypriote pourrait croître et prospérer dans le pays de son choix selon les normes sociales en vigueur dans son pays d’origine.

Adoptée à l’unanimité des États membres, cette prime au rachitisme n’avait qu’un seul défaut : elle tombait pile au moment où il s’agissait de convaincre l’opinion que « l’Europe sociale » (rires) sortirait gonflée à bloc du traité constitutionnel de Giscard. Devant la désastreuse contre-publicité de la directive Bolkestein, on se hâta de remiser la copie en jurant que tout ça, pouf-pouf, n’était qu’un malheureux malentendu.

Mais les ch¦urs de la Constitution ont beau entonner du matin au soir la chanson du socialement correct (merci, France Inter !), c’est une partition toute autre qui se joue dans les coulisses de Bruxelles. Ainsi de la directive « concernant l’accès aux marchés des services portuaires ».

Confidentiel à ce jour, ce texte entend appliquer aux ouvriers travaillant dans les ports ­ remorquage, amarrage, désamarrage, manutention ­ les mêmes « harmonies » que celles qui ont inspiré Bolkestein : notamment, le fameux principe du pays d’origine.

C’est la commission maritime d’Attac, regroupant une poignée de marins réfractaires, qui a déniché cette nouvelle perle. Initiée en 1996, proposée en février 2001, amendée en février 2002 et repartie pour un tour en novembre 2003, la directive sur le charcutage social des industries portuaires ondulait dans les couloirs de Bruxelles depuis neuf ans, bien à l’abri des regards indiscrets. Ainsi va le grand chantier de la « construction européenne » : défense d’entrer, même avec un casque.

Que dit la directive ? D’abord, que la compétitivité au sein des services portuaires est le seul bon moyen de « garantir l’efficacité globale des ports ». Chacun contre tous les autres et que le meilleur gagne !

Ritournelle connue. C’est au deuxième couplet que les choses se gâtent : « Les Etats membres peuvent exiger que les fournisseurs de services portuaires soient établis dans la communauté et que les navires utilisés exclusivement pour la fourniture de services portuaires soient enregistrés dans un Etat membre et battent pavillon d’un Etat membre. »
Traduit en langue normale : toute entreprise étrangère faisant partie de l’UE pourra s’installer et carburer n’importe où dans l’UE selon les lois édictées dans son propre pays. Une boîte maltaise délocalisée dans le port du Havre, par exemple, ne cotiserait pas aux régimes de retraite et de sécurité sociale, ne verserait pas de salaire minimum garanti à ses salariés et ne leur donnerait pas droit aux congés prévus par les conventions. Les dockers havrais n’auraient plus qu’à s’aplatir.

Ce projet est une nouvelle étape dans la déréglementation galopante qui frappe l’industrie maritime. Depuis le 1er janvier 2001, la législation communautaire permet déjà à chaque pays membre de l’UE d’employer un quota important de marins étrangers à la formation aléatoire et aux salaires miteux.
Les récents naufrages mettant en cause des navires occidentaux (Erika, italien, Bow Eagle, norvégien, Jolly Rubino, italien, Ievoli Sun, italien, Tricolore, suédois ...) ont tous eu lieu dans un contexte de délocalisation du personnel. « Dès lors, on peut craindre que la directive amène jusque dans les ports les mêmes incidents tragiques », observent les marins marseillais d’Attac. Une crainte d’autant plus fondée qu’une partie des tâches portuaires sont effectuées par les marins qui bossent sur les bateaux.

Pour justifier le naufrage des droits sociaux en mer et dans les ports, les membres de l’UE pourront toujours invoquer les pratiques féroces dont usent les armateurs battant pavillon de complaisance 1).
Comment rester compétitif face au dumping panaméen, libérien ou jamaïcain sans faire du dumping nous-mêmes ? C’est précisément le discours que tient la France. À l’initiative du sénateur UMP Henri de Richemont, avocat et porte-parole du lobby des armateurs, le gouvernement Raffarin se démène depuis un an pour créer un pavillon de complaisance à la française. Avec le « Registre international français » (RIF), finis les salaires, la sécu, les congés payés et autres vieilleries qui freinent le business. Le matelot ukrainien ou philippin doit pouvoir se faire étriller aussi sous bannière tricolore.
Comme l’a expliqué le sénateur socialiste Michel Sergent le 11 décembre 2003 : « Le droit international a été bafoué par toutes les nations et la France, après beaucoup d’autres, doit se résigner à faire de même. » Différé à plusieurs reprises, le projet de loi visant à « bafouer le droit international » devrait être examiné avant la fin de l’année.

En attendant, la directive qui prévoit de bolkesteiniser « l’accès aux marchés des services portuaires » est toujours dans les tiroirs. On peut faire confiance au commissaire européen chargé des affaires maritimes, le maltais Joe Borg 2), et à son homologue aux transports, Jacques Barrot, pour le ressortir au moment opportun. De préférence, après le référendum du 29 maiŠ

Olivier Cyran et Pierre Mallet

1) Lire le dossier « Les galériens de la marchande », CQFD n°8, janvier 2004.

2) La république de Malte est l’un des partisans les plus fanatiques de la dérégulation maritime. Et pour cause : les armateurs y trouvent un paradis fiscal et social sans équivalent en Europe. Que la commission Barroso ait choisi un représentant maltais pour gérer les affaires maritimes témoigne de son sens rigoureux de la neutralité et de l’intérêt public.

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