UNE OUVRIÈRE DE LA CONSERVERIE DE THON
Publié le 6 décembre 2022 à 07:24Témoignage
extrait (1er épisode) de Gavroche (revue d’histoire populaire)N°11 1989 - Brigitte Corne)
Oubliée dans la saumure !
J’ai commencé à huit ans ; j’essuyais des boîtes, parce que j’étais bien avec la gérante. J’avais deux sous de l’heure. A l’époque, on n’avait le droit de travailler qu’à douze ans (!). On nous prenait, vous savez, par pitié et j’étais débrouillarde pour mon âge. J’étais l’aînée des enfants, les autres étaient trop jeunes, ma soeur Mimi n’avait que cinq ans. "Mam’zelle Fine", qui était la gérante de l’usine, m’a dit : "Ecoute, Fifine, tu viendras travailler, tu mettras des boîtes sur la table, tu les mettras dans une caisse. Tu les tireras de la caisse et tu les mettras dans l’autre quand tu les auras essuyées. Puis tu les remettras aux emboîteuses sur le coin de la table, comme ça. T’auras pas beaucoup de peine, tu vois".
A douze ans, j’ai donc commencé à gratter le thon avant la mise en boîte, puis je suis devenue emboîteuse. Alors, bon "Mam’zelle Fine" m’a dit : "Tu vas venir". Seulement, voilà qu’un beau jour elle reçoit un coup de téléphone de Lorient. Un bateau vapeur venait avec un inspecteur du travail ! Voilà qu’on me met dans la "salorge", dans le fond de la cour. On y mettait le sel pour faire la saumure... Ça faisait un bout de temps que j’étais dans cette salorge... On m’avait dit de ne rien dire et d’attendre qu’on vienne me retirer. Vous savez, on ne sonnait pas pour sortir, alors je ne savais pas quelle heure il était. Mais tout d’un coup, j’entends ding, dong, ding, dong ! J’ai dit : "C’est une heure, c’est pour ça que j’ai faim et soif !" Et on ne venait pas me tirer de là ! J’avais beau attendre, beau attendre, on ne venait pas m’ouvrir la porte. J’ai pensé : "le bonhomme n’est peut-être pas parti"... Mais, à force, je me suis fatiguée et j’ai pris une grande pelle qui sert à mettre la saumure dans les barriques. Alors je commence : drram, drram ! pour qu’ils m’entendent de l’usine !... Il n’y avait personne dans la cour, il a fallu que je tape un bon moment avant qu’on vienne me retirer de là-dedans. "Mon dieu, qu’elle me dit "Mam’zelle Fine", on t’avait oubliée, Fifine, on t’avait oubliée, ma pauvre enfant !" Elle commence à m’embrasser et me dit : "Viens, tu vas manger ton dîner chez moi". Alors elle m’a "envoyée" manger et je suis revenue ensuite à l’usine essuyer mes boîtes... Y manquait pas de boîtes sur la table, y avait pas besoin de crier "Des boîtes !", y en avait toujours ! "Regarde, qu’elle me disait la gérante, comme tu fais bien ton travail, hein, tu vois ? Vous n’avez pas à vous plaindre, n’est-ce pas ?", Oh non, répondaient les ouvrières, Fifine nous sert bien". .../...
(à suivre)
Vos commentaires
# Le 6 décembre 2022 à 22:56
le thon a été la grande richesse de Groix mais ce n’était pas la richesse pour tout le monde !!. jvk
# Le 8 décembre 2022 à 14:31, par jean-charles
Tout est dit sur cette photo, rien qu’à voir la tête des petites filles...tristesse, travail, obligatoire pour nourrir la famille probablement, 12 ans, elles ont fait la richesse de Groix. Les oubliées... JC
# Le 11 décembre 2022 à 14:29, par perig
Yé !! un de mes arrières grand-père était "ferblantier" a l’usine jego de port lay , ma grand-mère et ma mère y ont travaillées en saison, c’était dur et mal payé mais on y rigolait aussi.... aujourd’hui , les boites de thon sont faites pour l’essentiel en Indonésie et au maroc et je ne serais pas étonné que des gamin(e)s astiquent encore des boites au fond d’un entrepôt. Bon appétit !...