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Locmaria : L’ex-voto de la chaloupe des douanes.

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Rapport du médecin des épidémies

Dans la chapelle de Notre Dame de Placemanec à Locmaria on trouve un ex-voto peu habituel dans une île de marins où ce sont surtout des maquettes de bateaux qui furent autrefois offertes en reconnaissance de fortunes de mer ayant eu une fin heureuse.

Ici nous avons affaire à un tableau exécuté en 1826 par un peintre de la région de Lorient et commandé par le recteur de l’île, suite à l’aventure survenue le 4 décembre 1825 au médecin des épidémies de Lorient. Il est depuis cette date exactement à l’emplacement voulu à l’époque par le recteur, sur le mur en face de la porte d’entrée sud de la chapelle.

Ex-voto de la chapelle Notre Dame de Placemanec à Locmaria Ile de Groix.

Voici le texte du rapport adressé au Sous préfet de Lorient le lendemain de ce « naufrage » .

Rapport du médecin des épidémies de l’arrondissement de Lorient à Monsieur Le Melorel de lahaichoir, Sous Préfet,

Monsieur le Sous-Préfet, l’épidémie thyphoide qui règne dans plusieurs villages de l’Isle de Groix ayant fait de nouveaux progrès depuis le dernier rapport que j’ai eu l’honneur de vous adresser, et monsieur Le Livec, curé de cette commune m’ayant annoncé par une lettre du 29 novembre qu’il y avait peu d’amélioration dans l’état de de certains malades que j’avais vu à ma dernière visite, je me suis transporté dans cette isle pour donner mes soins, et mes conseils aux indigents atteints de cette épidémie.

L’état général des malades s’est amélioré dans les villages de Kerdurand, Kermario, Créhal et dans le bourg ; mais il est retombé de nouveaux malades à Quelhuit, Kermario et cette maladie s’est étendue aux villages de Kerlard et Kerlivio. J’avais rempli le but que je m’étais proposé et accompagné de Monsieur le curé dont le zèle et la bienfaisance sont au dessus de toute éloge, j’avais visité les malades quand le dimanche quatre décembre je me suis décidé à revenir au continent réclamer de votre bienveillance les médicaments dont ces malheureux avaient le besoin le pus urgent, cette isle étant presque sans communication avec le continent pendant l’hyver, Monsieur Malleval, inspecteur divisionnaire des Douanes au Port-Louis, me sachant en fonctions de médecin des épidémies, avait eu la bonté de donner l’ordre au lieutenant de douane à Groix de mettre à ma disposition, pour effectuer mon retour au Port-Louis, la chaloupe consacrée au service de la douane, armée de quatre hommes auxquels s’était joint un marin nommé Baron.

Nous avons quitté l’isle de Groix vers quatre heures du soir hier dimanche quatre courant ayant le vent et la marée favorables. Nous avons ainsi heureusement navigué pendant une heure quand nous avons été surpris par le calme au milieu des coureaux. Ce calme précurseur d’un orage épouvantable nous a été d’autant plus perfide que nous nous sommes trouvés au milieu de la nuit la plus profonde, sans lumière pour notre boussole, sans aucun point de reconnaissance sur la côte : nous ignorions totalement notre position quand l’orage, précédé d’une pluie abondante et suivi d’un vent impétueux a fondu sur nous avec une extrême violence. Le Pilote avait par prudence fait amener la grande voile et nous courions au hasard sur notre misaine quand, tout à coup, notre chaloupe a été jetée en travers sur des rochers, qu’aucun brisant n’avait annoncé et qui nous étaient à tous absolument inconnus.
Je ne pourrais vous dépeindre l’horreur de notre position : chaque coup de cette mer affreuse fracassait notre embarcation contre ces récifs et la houle, après nous avoir élevés nous laissait retomber de tout notre poids sur ces rochers que l’espérance nous faisait croire tenant à la terre à l’une des extrémités et que plus tard nous avons su en être assez éloignés pour craindre avec raison, de ne la revoir jamais.

C’est en vain que nous redoublions d’efforts pour nous sortir de cette horrible situation ; chaque flot nous y enfonçait d’avantage ; les cris des deux malheureuses femmes que nous avions à bord augmentaient encore l’effroi de cette scène horrible. Notre gouvernail était démonté, nous n’avions plus qu’un aviron, les deux autres venaient d’être arrachés des mains de nos intrépides marins ; la mer les avaient emportés ; la carcasse de la chaloupe s’entrouvrait par le fond. Le sort en était jeté et nous allions périr inévitablement, ou noyés ou fracassés par la mer contres les rochers au milieu des débris de notre chaloupe quand, poussant tous sur le seul aviron restant et sur une gaffe nous avons saisi le moment ou le flux apportait une lame énorme pour nous dégager de cette cruelle situation. Mais à peine avions nous flotté pendant quelques minutes que nous nous aperçûmes que l’eau entrait avec rapidité par tous les endroits enfoncés de la chaloupe. C’est alors que nous hissâmes note voile pour courir vers une lumière que nous apercevions au loin sans savoir si elle était sur la côte Est ou ouest car l’obscurité était telle qu’elle ne permettait à personne de se reconnaître. L’eau gagnait toujours dans la chaloupe, malgré tous les moyens que nous avions à notre disposition pour la jeter au dehors, nous coulions bas quand une nouvelle côte hérissées de rochers s’est présentée devant nous ; ne pouvant plus étancher cette eau dans laquelle nous étions presque jusqu’aux genoux, nous nous décidâmes alors à nous jeter à la côte dans l’endroit le moins défavorable s’il était possible à l’embarcation et qui put nous offrir le plus de chance de salut. La providence ayant permis que sans gouvernail nous ayons évité une énorme roche la chaloupe s’est échouée du devant sur un fond de sable. Nous nous mimes à l’eau et grâce à Dieu personne n’a péri, les deux femmes ayant été également sauvées ; le bonheur d’être à terre était pour nous si grand que nous ne nous apercevions à peine des torrents d’eau qui nous inondaient. Nous avons enlevé de la chaloupe tous les objets de son gréement ainsi qu’une partie de nos effets et nous sommes allé chercher l’hospitalité sur une terre que nous avons bientôt reconnu pour celle de la presqu’île de Gavre à trois-quarts de lieu sud de Port Louis.

Quand le jour est venu nous avons reconnu que les rochers sur lesquels nous avions d’abord touché n’appartenaient pas à la terre et que le flux de la mer les recouvrait à chaque marée. Dans ce moment la mer devant encore monter près de trois heures, notre perte était d’autant plus probable que l’eau nous gagnant nous n’aurions pu savoir de quel coté essayer de nager.
Quant à la chaloupe, elle s’est enfoncée dans plusieurs points et ce matin vers cinq à six heures elle a été conduite au chantier de Locmalo pour être réparée.

Après vous avoir parlé de nos malheurs, qu’il me soit permis, Monsieur le Sous-Préfet, d’appeler votre sollicitude et votre attention particulière sur la position de ces marins intrépides qui ont avec tant de courage et d’énergie lutté contre la mort et défendus notre existence presque contre l’impossible. C’est pour un service public dépendant du ministère de l’intérieur que leurs jours ont été si cruellement exposés. Ils étaient dans ce moment associés au bien que ce département fait partout à l’indigence en lui envoyant un médecin des épidémies. Veuillez donc solliciter de Mr le Ministre de l’Intérieur une gratification qui puisse les indemniser de la perte d’une partie de leurs vêtements, l’un d’eux crachait fortement le sang ce matin, l’autre a eu la jambe blessée, enfin tous ont cruellement souffert et le Roi, la bonté par excellence viendra sans doute au secours d’un malheur d’autant plus recommandable que la charité qu’il connaît si bien en a été la cause indirecte.
Quant à moi, Monsieur le Sous-Préfet, mes blessures ont été légères heureusement. Dans quelques jours je serai j’espère en parfaite santé. Je retournerai à l’ile de Groix revoir les malheureux que j’y ai laissé, heureux de prouver à l’autorité qui m’a honoré du titre de médecin des épidémies que le souvenir d’un malheur récent n’arrêtera pas mon zèle à l’avenir et que le danger d’un naufrage s’oublie bientôt en Bretagne quand il s’agit d’aller au lit du pauvre porter des conseils et des secours au nom su plus charitable et du plus aimé des Rois
Lorient le 6 décembre 1825.
Lestrohan, médecin des épidémies de l’arrondissement de Lorient.

Après cette lettre officielle il rajoute :

Nous devons tous conserver à Dieu une reconnaissance éternelle pour nous avoir conservé à tous l’existence dans un danger si éminent et où nous eussions inévitablement péri sans une grâce spéciale.
Je consacre ici le souvenir de ce naufrage et pour perpétuer la reconnaissance des familles à l’égard de la divine providence je vais consigner les noms des personnes qui se trouvaient dans la chaloupe des douanes au moment du danger ;
Stephanno Jean-marie, Patron de la chaloupe
Tonnerre Joseph, marié de Lomener
Even Pierre, matelot, du bourg de Groix
Simon Emmanuel, matelot du bourg
Equipage de la chaloupe de la douane.

Baron Claude, passager se rendant au Port-Louis de Kerlivio Groix
Lestrohan Augustin, docteur en médecine, médecin des épidémies de l’arrondissement de Lorient.
Marie-Anna Le Livec, soeur de Mr le curé de l’isle demeurant à Plouhinec.
Thérese Bernard du bourg de Groix

Lorient, le 9 décembre 1825
Lestrohan

La peinture reproduit très fidèlement le rapport du docteur Lestrohan en noir au premier plan.
Le patron de la chaloupe est lui reconnaissable a son chapeau.

Cette lettre « officielle » de part la forme et le fond peut surprendre un lecteur de nos jours mais on doit la remettre dans son contexte. Il ne faut pas oublier que ce rapport était adressé à son supérieur hiérarchique, le sous-préfet de Lorient, et devait permettre l’indemnisation des pertes subies par l’équipage (et pourquoi pas une récompense !) et justifier les dégâts subits par la chaloupe. Par la même occasion montrer la dangerosité de la fonction de médecin des épidémies confronté aux dangers de la mer cruelle, même dans les coureaux, ne pouvait que mettre en valeur son auteur.

Mais revenons d’abord sur le rédacteur de cette « horrible » fortune de mer.

Le docteur Augustin Lestrohan est né à Port-Louis le 19 décembre 1792. Il est issu d’une famille de notables de la ville.
Son père Joseph Lestrohan (1749-1810) avocat au parlement puis notaire à Port-Louis fut député suppléant du Tiers Etat aux Etats Généraux de 1789.
Juge de paix en 1792, il eut souvent par ses fonctions à s’occuper des affaires de l’île .
En 1793 il créa la première compagnie des sapeurs pompiers du Port Louis avec 12 hommes et en fut le premier capitaine.

Augustin Lestrohan fit des études de médecine à Paris et apparaît comme chirurgien à la maison royale de Charanton de Novembre 1814 à septembre 817 date à laquelle il revient à Port Louis.
Medecin civil nommé membre du Comité conservatoire de la santé publique établi sur le port de Lorient de décembre 1817 à octobre 1821, il fut aussi professeur à l’école d’accouchement du département du Morbihan
On le retrouve « Intendant de la santé publique » d’octobre 1821 à novembre 1824.
A la même époque il est nommé en décembre 1820 « médecin des épidémies de l’arrondissement de Lorient », fonction qu’il occupa jusqu’en avril 1828.
C’est en tant que médecin des épidémies qu’il eut l’occasion de venir plusieurs fois à Groix où, semble-t-il, il se lia d’amitié avec la recteur Le Livec, curé de l’île.
Augustin Lestrohan mourut à Port-Louis le 12 décembre 1849.

Ces Etats de service civil (14 ans) vinrent en 1826 appuyer sa demande d’inscription pour l’attribution de la Légion d’Honneur dont il fut nommé chevalier le 12 décembre 1827.

Il est probable que le rapport de 1825 ait aussi fait parti du dossier de candidature.
A cette époque seuls se risquaient à faire la traversé de Groix quelques « officiels « et des militaires et le seul bateau leur permettant cette traversée était la chaloupe des douanes.
L’aventure arrivée au docteur Lestrohan et le récit qu’il en fit vraisemblablement dût faire sensation dans le milieu des notables lorientais.

Quant’à l’épidémie de typhus objet de sa visite le recteur Le Livec en a fait le bilan :
De décembre 1815 à juin 1826 il y eut dans l’île 165 personnes atteintes dont16 décès.

Est-ce un hasard de la providence mais quant il fut promu chevalier de la Légion d’Honneur en 1827, le docteur Augustin Lestrohan se souvint-il que sa thèse de médecine écrite à Paris en 1817 portait sur « De l’asphyxie par submersion ». Cela valait bien un ex-voto.

Jean-claude Le Corre
Groix 22 mars 2016

Sources principales :
« Groix, une petite île…une grande histoire » de Michel Goulletquer Ed AGC 2004
Ce livre fait de très nombreuses références au Recteur Le Livec et à ses écrits et site « in extenso » le rapport du docteur Lestrohan.
« Vie et Société au Port-Louis » d’Henri –François Buffet Ed.Bahon –Rault Rennes1972
Ministère de la culture : base Léonore.


Vos commentaires

  • Le 24 mars 2016 à 15:51, par Ph Dagorne

    Remarquable communication, merci beaucoup.

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