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Des marins de Groix dans la Guerre

6 commentaires

A première vue, la Grande Guerre des Groisillons aurait dû se passer dans la Marine étant donné qu’ils étaient quasiment tous inscrits maritimes.

Mais dès 1913, leur ministère savait qu’il avait dans ses rangs au moins 40 000 inscrits « de trop » (sur un total d’environ 150 000) . Il était prévu que ces hommes soient versés dés le début des hostilités dans l’armée de Terre.

C’est pourquoi, à la grande surprise des pêcheurs et de leur famille, certains Groisillons se retrouvèrent affectés surtout dans des régiments d’Infanterie.
D’autres, généralement ceux qui avaient déjà effectué leur service et y
avaient acquis une qualification (notamment les canonniers), furent employés dans leur armée parfois dans des conditions particulières.

Au cours de la guerre certains affectés dans l’armée de terre revinrent dans la Marine en fonction de l’évolution des besoins au fil des mois et des années.
Enfin d’autres furent fait prisonniers et passèrent une bonne partie de la guerre dans un des 300 camps installés dans toute l’Allemagne Impériale de l’époque. Ce fut le cas de 535 000 français dont quelques Groisillons.

Voici quelques très brefs portraits de marins groisillons qui ont vécu une guerre peu commune et qui ont eu la chance d’en revenir.

Isaïe Tonnerre - (1884-1940) - Matricule n° 1682.

Bien qu’inscrit maritime, il fut affecté dès le début de la guerre dans l’armée de terre. Il resta dans la même unité, le 151ème Régiment d’Infanterie pendant trois ans jusqu’à sa grave blessure à la tête à Verdun en 1917.
Médaillé militaire, Croix de guerre avec deux citations, trépané de nombreuses fois il en garda toute sa vie de douloureuses séquelles qui furent un lourd handicap pour la pratique de son métier de marin.
Après ses blessures, il retourna dans la Marine et fut versé pour la fin de la guerre dans les compagnies de ballons captifs de Lorient et de Saint-Nazaire.

Jusqu’à l’automne 1916, la Bretagne avait été tenue à l’écart des combats, les sous-marins allemands ne s’aventurant pas si loin de leurs bases.
Mais la guerre sous-marine déclenchée en manche et en Atlantique dès la fin 1916 fit entrer la Bretagne dans une guerre de blocus côtier et des forces aéronavales jusque-là inconnues y furent déployées.
Hydravions, avions, ballons dirigeables et ballons captifs furent regroupés à proximité des grands ports puis, à partir de l’été 1917, sur les routes des convois.
Ces ballons existaient depuis le début de la guerre mais étaient utilisés sur le front terrestre où ils permettaient surtout de régler les tirs d’artillerie et d’observer les mouvements des troupes ennemies.
Le ballon étant de plus en plus des cibles faciles pour l’aviation, l’observateur était équipé d’un parachute d’une relative efficacité (environ50% !).

Sursitaire pour la pêche au thon, patron de « L’Albatros », il ne fut plus rappelé dés l’été 1917 et alterna son métier comme patron ou matelot jusqu’en 1933 date à laquelle il devint demi-soldier. Isaïe Tonnerre mourut en mer, en 1940 au début de l’autre guerre « la Seconde » !

Ballon captif dont l’observateur est ramené sur le bateau tracteur.

Marcel Adam - (1890) - Matricule n° 1951 - 13 octobre 1908
Service militaire à compter du 5 août 1910 il ne fut libéré que... le 30 juillet 1919.

Il a fait partie des nombreux Groisillons qui étaient à l’armée au moment de la déclaration de la guerre en août 1914.
Après avoir servi pendant un an sur le cuirassé « Waldek-Rousseau comme canonnier il fut affecté en 1915 dans une unité nouvellement créée : La Brigade des canonnières fluviales.
En 1915, le front de l’Ouest était quasiment stabilisé sur une ligne de la Champagne aux Flandres. Cette région était bien couverte par un réseau de voies navigables.
La marine ayant des troupes disponibles et des canonniers déjà formées, le Haut Commandement décida d’équiper des péniches à faible tirant d’eau de ces canons et de les employer en appui de l’Artillerie à proximité de front.
Leur portée de 13 à 15 kilomètres et leur mobilité les rendaient précieuses pour les tirs sur les arrières ennemis.
La Brigade fut dissoute en mars 1918 et Marcel Adam possédant le brevet de patron au bornage fut démobilisé. Il participa aussitôt comme patron du dundée « Goéland » aux convois de charbon entre l’Angleterre et la France jusqu’en mars 1919, date à laquelle il retourna à la pêche.

Adam Marcel, Classe 1910 - Quartier-maître canonnier a fait le canal de
l’Aisne, la Somme , la Marne.

Canonnières de marine sur un canal avec leur canon de 14 cm .

Une canonnière à Paris en 1915 devant le Grand Palais.

Emile Stéphant (1887-1971) - Matricule n°1804 (10 août 1905)
Il avait déjà effectué 4 années de service dans la Marine de 1907 à 1911 quand il fut rappelé en août 1914.
Il ne sera de retour à Groix qu’en 1919 après avoir été fait prisonnier.

Ses correspondances grâce à la Croix Rouge et ses photos prise au camp sont des témoignages rares aujourd’hui de ce que fut la vie de ces marins enfermés sans avoir aucune idée de la durée de cet emprisonnement si loin de leur famille de leurs bateaux et de l’océan.
Emile, comme beaucoup d’autres, ne parlera pas beaucoup de sa guerre.

« … mon Dieu chère sœur si encore il était prisonnier que nous serions heureux. J’ai appris que sa compagnie a été faite prisonnier et peut-être qu’il est du nombre. Chère sœur console toit et prend patience peut-être que plus tard tu auras des bonnes nouvelles tant que tu ne recevra pas sa mort c’est triste la vie que nous menons... »
(morceau de lettre prémonitoire retrouvée dans les archives familiales)

Emile fut fait prisonnier ainsi que toute sa compagnie (environ 150 hommes) le 9 avril 1916 au lieu dit « Mort Homme » pendant la terrible bataille de Verdun.
Il fut envoyé dans un camp pour hommes de troupe en Bohème où il resta jusqu’à la fin de guerre.
Assez rapidement, la Croix-Rouge lui permit de pouvoir donner de ses nouvelles à sa famille et de recevoir des colis.

Carte envoyée à son épouse en novembre 1917

… un jersey car j’ai grand besoin... une paire de galoches... mon col bleu marin.

Que voulait–il faire avec un col bleu marin dans son camp en Bohème ?

Une photo nous en donne l’explication.

Après avoir fait faire une photo des « Enfants de Bretagne en Bohème »

On le voit sur un autre cliché arborant fièrement son col marin sur une photo regroupant des prisonniers de différentes nationalités !

« Les enfants de Bretagne en Bohème. » Photo prise au camp
Emile - 3ème au premier rang derrière la pancarte.

Le col marin d’Emile !

Dernières nouvelles d’Emile avant son retour à Groix

« Cher frère 27 janvier 1919.

Je t’écris cette carte au moment où le facteur nous remet une lettre de toi ainsi qu’une d’Emile datée du 19 janvier. Il est à l’hôpital à 9 kilomètres du Rhin avec la grippe (la grippe espagnole qui fit des milliers de victimes à l’époque)
La semaine dernière il était très mal qu’il croyait passer le pas. Enfin il est beaucoup mieux, bien nourri et bien soigné par des médecins français, l’hôpital où il est est un ancien camp de prisonniers, Rastaad, il dit qu’il enverra un télégramme quand il arrivera à Lorient
Il dit à moi d’accompagner Germaine quant elle viendra le chercher.
 »

De retour à Groix le 11 février 1919 il fut congédié le 7 avril .

En 1940 les occupants allemands à Groix lui firent une carte d’identité de marin pêcheur le fameux « Ausweis »
Sa photo est ancienne mais qu’a pu penser Emile en recevant ce document ?

Emile Stéphant est mort à Groix le 7 août 1971 à 84 ans.

Fernand NEXER (1897-1965)

Fernand était mousse sur les dundées au début de la guerre et ne fut incorporé dans la Marine qu’au début de 1917.
Sa guerre commença sur un cuirassé, la « Démocratie » où il fut breveté canonnier.

L’Aéronautique maritime née en1910 ne comptait que 26 pilotes et 14
hydravions en juillet 1914. A la fin de la guerre elle représentait un dixième de l’effectif de le marine avec 11 000 hommes, 750 pilotes et 1200 volants pour 700 hydravions.
C‘est surtout à partir de 1916 qu‘elle va se développer considérablement dans le cadre de la lutte anti sous marine.
Pour équiper ses hydravions, la marine dû former des pilotes et des
observateurs qu’elle sélectionna parmi des volontaires.

C’est ainsi qu’à l’été 1917 après avoir sillonné la Méditerranée sur la
« Démocratie » le matelot canonnier Fernant Nexer se trouva affecté à la base aéronavale de Saint Raphael près de Toulon.

Le matelot canonnier Nexer (à droite) en escale en Grèce avec le cuirassé »Démocratie »en 1917 peu de temps avant son affectation dans l’aéronavale comme observateur sur hydravion.

Avant de voler sur hydravion, en stage de formation .

Pilote et observateur (à l’avant) avec une bombe de 50kg sous l’aile basse

Le Certificat d’observateur attribué à Fernand Nexer le 1er novembre 1918.

Après la guerre il reprit son métier de pêcheurs au thon et au chalut jusqu’en 1941 quand un accident l’obligea à quitter le métier.
Il fut alors embauché par la compagnie de navigation ULGPL (Union Lorientaise, Groisillonne et Port-Louisienne) comme gérant de la
Compagnie à Groix ; Il était chargé d’assurer le contrôle des passagers et des marchandises depuis un bureau installé dans une cabane sur le môle central de Port Tudy .
Il y termina sa carrière en 1957 et se retira dans son village de Locmaria où il décèdera en 1965.

Quatre hommes, quatre inscrits de Groix qui vécurent quatre guerres tout à fait différentes, oubliées dans la mémoire collective tant elles furent exceptionnelles ou pour le moins originales.

Ils en revinrent tous et seul Isaië Tonnerre en garda toute sa vie des douloureuses séquelles dans son corps.
Pour les autres, il en reste quelques photos jaunies et le souvenir qu’ils en on laissé à leur famille.

Merci aux familles Adam, Tonnerre (Anita Ménard), Gilbert Nexer et Nadia Gourong – Even ( pour Emile Stéphant). Sans leurs « vieux papiers » et leur histoire, ces petites tranches de vie seraient peut-être restées comme beaucoup d’autres dans l’oubli.

Sources techniques : Thierry Leroy du SHAPL pour l’aéronautique ainsi que de nombreux sites sur la Grande Guerre.

Jean-claude le Corre - à Groix - février 2016

Portfolio :


Vos commentaires

  • Le 23 mai 2016 à 20:31, par Claude Labrunie

    merci Jean Claude pour ce beau travail,surtout merci pour eux !

  • Le 24 mai 2016 à 22:19, par jeancharles Le Borgne

    Et certain comme Léopold Gourronc (mon grand oncle)ont été à Salonique

  • Le 24 mai 2016 à 23:13, par Anita

    Jean Claude connaÎt l’histoire mais il n’a pu travailler qu’avec les documents qu’ont bien voulu lui confier les familles. Sans document, pas d’écrit de sa part.
    Il sait fort bien hélas que bien des documents dorment encore dans les tiroirs.
    Il serait souhaitable que chacun de leurs possesseurs se rendent compte de l’intérêt collectif qu’il y a à les publier afin de ne pas laisser partir cette tranche d’histoire, comme trop d’autres déjà disparues.
    Je crois me souvenir qu’un travail préparé avec les collégiens groisillons devait être publié mais ... nous n’avons rien vu venir :-(
    AM

  • Le 25 mai 2016 à 01:42, par Philippe Dagorne

    Une fois encore, très beau travail de Jean Paul Le Corre. Merci à lui. Reconnaissance à ces hommes et à tant d’autres qui, déracinés, dans des spécialités qui n’étaient pas les leurs ont, il y a un siècle ( ce n’est pas si loin) sacrifié jusqu’à leurs vies pour des intérêts pas toujours très glorieux.

  • Le 4 juin 2016 à 22:59, par jean charles Le Borgne

    Il y avait donc des groisillons à Salonique avec le RIMA de Vannes mais comment avez-vous pu oublier ceux qui sont morts dans les Dardanelles ,certains dans d’étranges conditions.Il me semble que votre recherche sans en avoir les papiers familiaux pouvait relater ces faits.

  • Le 5 juin 2016 à 11:26, par Anita

    Bonjour le Canadien :-)
    Tu n’as pas été sans voir que Jean-Claude a narré l’histoire de Groisillons en les nommant et les situant, appuyé par des documents. C’était le but de son travail et non de refaire celle de la guerre de 14/18.
    Il aurait eu davantage d’archives familiales qu’il aurait fait de la place à d’autres.

    Pas d’inondations par chez toi ? (des grèves je n’en parle pas ... ce n’est plus d’usage chez les anglo-saxons...)
    la bise.
    Anita

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