L’île du Morbihan est l’un des rares lieux où survit la sous-espèce d’abeille butineuse. Une trentaine d’apiculteurs amateurs y veillent à sa protection tout en les laissant libres de leurs mouvements afin de favoriser sa résilience face aux acariens et aux frelons asiatiques.../...
Ce « patrimoine » groisillon, comme aime à la qualifier Christian Bargain, est menacé de disparition sur le continent à cause de l’usage des pesticides, des pratiques d’apiculture intensives et de divers parasites comme le redoutable varroa (acarien asiatique) ou le frelon asiatique. Mais à Groix, « les abeilles ne meurent pas », sourit le retraité, avant d’indiquer fièrement que l’île regorge d’une quarantaine de colonies sauvages.../...
« Village gaulois »
« Groix, c’est un peu le village gaulois encerclé par les Romains, compare le biologiste au CNRS Fabrice Requier, spécialiste de l’abeille noire. C’est un îlot où l’Apis mellifera mellifera originelle perdure, que ce soit à l’état naturel ou en ruchers. Il y a très peu d’endroits où c’est encore le cas. Même l’île d’Ouessant, un des autres refuges de l’abeille noire, traite depuis deux ans contre le varroa. Là, les abeilles coexistent avec le parasite alors qu’on s’attendait à ce qu’il décime les populations en l’absence d’acaricide. » Selon ses recherches en cours, l’une des premières raisons de cette cohabitation réussie est l’absence de pression anthropique, car tous les apiculteurs de l’île sont amateurs et ne récoltent que le surplus de miel pour leur consommation personnelle ou de la vente sans obligation de rendements. « Les abeilles ne nous appartiennent pas. On les laisse comme elles sont », résume Christian Bargain. La deuxième vient directement de la pureté génétique des ouvrières groisillonnes. Car la fabuleuse histoire de l’abeille noire remonte à bien avant l’arrivée de l’Homo sapiens. Venue d’Orient il y a environ 1 million d’années, l’espèce « est la seule à avoir survécu aux deux dernières glaciations » avant de recoloniser la France et l’Europe de l’Ouest, assure Christian Bargain.../...
A Groix, les butineuses ont échappé de peu à l’hybridation. En 2008, un homme a débarqué sur l’île avec 80 ruches. A l’époque, Christian Bargain, qui travaille au port, développait au contact d’amis et de scientifiques sa nouvelle passion pour les abeilles noires. Une intuition le pousse à se pencher sur le cas du nouveau venu. En découvrant que celui-ci a ramené des pollinisateurs du continent, il organise des rencontres, prévient des chercheurs, et finit par obtenir le contrôle sanitaire du rucher étranger. « Sur 80 colonies, 60 étaient mortes de faim, se rappelle-t-il. Il a tué le reste et est reparti. Mais le mal était déjà fait. » Il faudra dix ans pour revenir à quasi 100 % d’abeilles noires. Après cet épisode, la municipalité prend, sous l’impulsion du militant, un arrêté d’interdiction d’importation d’abeilles ou de matériel apicole usagé. En cas de non-respect, le contrevenant reçoit une amende de 35 euros. « Sauf que dans les faits, c’est incontrôlable. N’importe qui peut venir sur l’île avec des ruches », peste Christian Bargain, qui plaide pour un arrêté d’Etat plus contraignant, en vain pour l’instant.../...

Nina Guérineau de Lamérie, Libération 18 09 24