Histoire de Groix
10 commentairesHistoire de Groix
Un peu de toponymie groisillonne.
Des questions et des réponses parfois surprenantes.
Côte d’Heno ? Cale Guyot ? Fort Surville ? Qui se cache derrière ces patronymes qui font partie de la toponymie insulaire depuis de nombreuses années et dont l’origine a depuis longtemps été oubliée.
On ne sait d’ailleurs pas non plus depuis des siècles ce que signifient Piwisi et Primiture sauf que ces deux noms font partie de la mémoire collective de l’île qui divise "le cailloux" en deux entités distinctes aux limites toujours assez controversées.
Pour Héno et Guyot il faut aller les chercher chez l’Abbé Noël, le créateur et rédacteur de "La Croix de Groix", ("Lettre d’un groisillon à ses compatriotes") dont le premier numéro parut en 1891.
Dans son bulletin de mai 1895 il écrit :
"Beaucoup parmi vous ont entendu parler de la grotte et de la chaise de madame Barizis. La première existe encore et se trouve à l’Ouest de l’anse de Portiminec (appelée aussi Port-Héno, depuis qu’un maçon nommé Héno, s’y noya vers 1876). Elle a servi pendant quelques années de vivier à homards."

Le 23 aout 1891 il écrit : " M. Yves Guyot, Ministre des Travaux Publics, fait une tournée sur notre littoral, pour inspecter les phares et les ports. Il s’est arrêté ici jeudi 20."
Le 27 septembre de la même année : "Le « baptême » du nouveau port est commencé. Un vaste écriteau placé à la descente du Vapeur apprend au pays que nous avons déjà la cale Yves Guyot. M.Yves Guyot est le ministre actuel des Travaux Publics en France."
(Yves Guyot était un farouche partisan de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ceci explique sans doute l’humour et l’humeur de l’abbé Noël.)
En février1899, "La Croix de Groix" parle encore de la cale Guyot :
"Le conseil municipal de Vannes avait donné à l’une des rues de la ville le nom du commandant Marchand qui s’est distingué dans l’affaire de Fachoda. Mais le gouvernement vient de blâmer cette manifestation patriotique sous prétexte qu’on ne doit pas donner à une rue le nom d’un homme encore vivant. Si la raison est vraie, pourquoi a-t-on laissé donner à l’une de nos cales le nom d ’Yves Guyot ? Il y a bien longtemps que l’ex-ministre radical est démodé. Qu’on enlève cette plaque, objet de basse flatterie ! Dans 100 ans, on se demandera ce qu’était le Calife Guyot ou le Khédive Guyot ? On sera porté à croire que c’est un souvenir du temps où, d’après un historien, l’île de Groix appartenait aux Turcs."
Si le vaste écriteau a disparu, récemment les travaux de réfections de cette cale ont fait le titre d’articles dans les médias régionaux qui parle encore aujourd’hui de la cale Guyot !

Pour Surville, l’histoire est beaucoup plus compliquée et justifie quelques développements.
Tout d’abord quelques mots sur le fort :
En 1983, le Service historique de la Marine publia un livre écrit par Madame Nicole Le Pourhiet-Salat :
"La défense des îles bretonnes de l’Atlantique des origines à 1860"
Ce livre qui depuis fait référence donne en détail les moyens de défense que l’état mis en place sur ces îles au fil des années, essentiellement en fonction des conflits qui opposèrent pendant des décennies la France et son ennemi juré l’Angleterre.
Concernant Groix, il faut remonter à l’année 1744 (guerre de Succession d’Autriche) pour que des travaux conséquents soient entrepris.

La construction sur la pointe de La Croix d‘une "batterie de dix pièces de canon avec corps de garde et magasin à poudre ; elle serait fermée à la gorge par un mur avec merlons et embrasures... au dedans de la batterie serait un bâtiment en fer à cheval de contour elliptique lequel contiendra une grande chambre servant de caserne avec lits de camp, plus une petite pour le corps de garde des soldats, une moindre pour celui des officiers, un magasin à poudre voûté, un autre pour les vivres, le tout en maçonnerie de moellons à mortier de chaux et de sable... le mur convexe de ce bâtiment sera crénelé dans toute l’étendue qui correspond à l’intérieur de la courtine. Devant le pont de l’entrée on fera une petite place d’armes en forme de demie lune avec une des faces de laquelle sera la barrière d’entrée avec guérite de maçonnerie."
Le fort de la Croix ou Fort Lacroix fut terminé en 1745 et restera en l’état avec plus ou moins d’armement et d’occupation jusqu’au travaux de 1846 à 1851, complétés en 1878 qui lui donnèrent sa silhouette actuelle.
En 1851 le fort se nommait fort Lacroix ou de la Croix.

On voit très bien en haut à droite le bastion original de 1745
Il a fallu attendre 1886 pour que le nom de Surville apparaisse dans des circonstances assez particulières :
Le 25 mars 1886, le ministre de la guerre le général Boulanger envoie une note aux généraux commandant les régions militaires (11ème Région pour la Bretagne)
(Note N°5285 du 25 mars, 4ème direction, 2ème bureau, 2ème section :)
Mon attention a été appelée sur les inconvénients qui peuvent résulter, en temps de mobilisation, des appellations vagues et quelquefois même contraire aux usages des localités sous laquelle certains forts ou casernes sont désignés dans les documents officiels. Afin de permettre d’apprécier ces inconvénients dans chaque cas particulier et d’y obvier partout où cela sera utile, je vous prie de vouloir bien faire dresser, dans chacune des places de votre région, un état de tous les établissements militaires conforme au modèle ci-dessous ;
A la suite de cet état on mentionnera, en aussi grand nombre que possible, les noms parmi lesquels il conviendrait de choisir pour remplacer en cas de besoin, les anciennes dénominations : noms d’hommes de guerre originaires de la place ou s’y étant illustrés, noms de faits d’armes ayant eu lieu dans les environs, etc...
Je vous serai obligé de me faire parvenir le dit état, pour le 15 avril prochain.
Le 21 janvier 1887
Décret présidentiel pour les nouvelles dénominations des forts, batteries et casernes, sur proposition du ministre de la guerre, M. le général Boulanger.
Le nouveau nom de chaque établissement doit être inscrit sur une plaque de marbre qui sera fixée aux maçonneries de l’entrée principale. Cette plaque portera entre parenthèse, au dessous du nouveau nom de l’établissement, l’ancienne désignation qui lui a été donnée jusqu’ici par le recrutement sur les livrets des réservistes et des territoriaux.
Le 6 mars 1887, dans le journal "Le Nouvelliste du Morbihan" on peut lire :
Casernes du 11ème Corps d’armée
Le Général Boulanger vient de fixer les dénominations des casernes du 11ème Corps. Voici les noms adoptés :
Port-Louis
Caserne d’infanterie de la citadelle : Caserne Lourmel
Caserne de la porte de Loc malo : Caserne La Meilleraye
Caserne du fort Lacroix : Caserne Surville.
Le 13 mars 1887
Application du décret présidentiel du 21 janvier 1887.
Le 13 octobre 1887 - Lettre n° 14980 bis de M. le ministre de la guerre, M. le général Ferron, abrogeant le décret présidentiel du 21 janvier.
"J’ai l’honneur de vous faire connaître que par modification aux dispositions adoptées par mon prédécesseur, j’ai décidé que les forts et ouvrages de fortification garderaient en sus des appellations qui leur ont été récemment attribués, celles qu’ils possédaient précédemment et qu’ils tiraient de leur situation géographique ou topographique ; ces dernières devront même seules être usitées dans les services et employées dans les documents officiels.
Toutefois, les dénominations récentes continueront à figurer sur les portes des forts et ouvrages, ainsi que sur les plans et cartes où elles sont déjà inscrites ; mais sur ces derniers documents il conviendra de les faire accompagner de l’ancienne dénomination des ouvrages."
Ce décret présidentiel n’avait vécu que 8 mois et 13 jours !
Il faut reconnaître que bien des évènements étaient passés par là.
Le général Boulanger avait été démis de ses fonctions ministérielles le 18 mai 1887 .
Il était devenu très populaire à cette période troublée de la 3ème République et ses nombreux partisans formaient une troupe hétéroclite de mécontents de la gauche radicale aux bonapartistes ou monarchistes. Mis à la retraite des cadres de l’armée après avoir été démis du Ministère de la Guerre il remporta d’importants succès électoraux. Ceux–ci firent craindre au pouvoir en place que le général ne marche sur l’Elysée et ne commette un coup d’état comme ses partisans lui demandaient. Boulanger n’osa pas et menacé d’une arrestation imminente il s’enfuit à Londres puis à Bruxelles où il se suicida en septembre 1891… sur la tombe de sa maitresse !
Et "nos" casernes de Port-Louis :
Caserne Lourmel : du nom du Général de Lourmel (de son vrai nom Le Normand de Lourmel) né à Pontivy en 1811 et mort en 1854 à Sébastopol pendant la guerre de Crimée.
Caserne La Meilleraye : Charles de La Porte ( 1602-1664), Lieutenant général de Bretagne en 1632. En 1636, Richelieu l’envoya à Port-Louis pour rendre la citadelle et la ville imprenables et il en fut nommé Gouverneur en 1637.
Maréchal de France en 1639, Louis XIV le fit Duc de La Meilleray en 1663.
Pour les deux premières le changement d’appellation et les noms choisis semblent tout à fait conformes à l’esprit de la note et au décret.
Le problème vient de Groix car il y avait plusieurs Surville qui auraient pu prétendre à avoir leur patronyme gravé dans le marbre à l’entrée du fort.
Le mystère des (de) Surville.
Dans son livre "Vie et société au Port –Louis" ( Des origines à Napoléon III) Henry-François Buffet écrit au sujet de la famille Surville :
Cette famille originaire de la Manche arriva à Port-Louis avec Jean de Surville (1679-1719), receveur des Fermes du Roi,
Son premier fils René-Louis de Surville né à Port louis en 1710 fut capitaine des vaisseaux de la Compagnie des Indes.
Le second Jean-François Marie de Surville né à Port-Louis en 1717, lui aussi capitaine des vaisseaux de la Compagnie des Indes. Il organise une expédition commerciale qui le conduisit de Pondichéry à l’archipel des Salomons puis de la Nouvelle Zélande au Pérou où il périt noyé en 1770. Son navire le « Saint Jean Baptiste » qui avait quitté Lorient en1767 ne fut de retour après un tour du monde qu’en 1773.

Son fils Jean Louis de Surville fut capitaine au 48ème Régiment d’Artois.
Le 24 juin 1793, d’après H.F. Buffet, il fut nommé major (commandant d’arme) de la place de Port-Liberté (depuis 1792). "Ce capitaine occupa son poste pendant un an et donna peut-être son nom au fort de la Croix dit aussi fort Surville à l’île de Groix" (Archives municipales de Port-Louis).
En 1795 dans les archives du conseil municipal de Lorient on peut lire :
Enregistrement de la commission du Capitaine Surville comme commandant de cette place.
"A l’instant se présente le capitaine Jean Louis Marie Surville lequel dépose sur le bureau un Brevet du Ministre de la guerre qui le nomme commandant amovible de la place de Lorient et requière qu’il lui soit donné acte de sa présentation et l’enregistrement de son Brevet…"

On aurait pu en rester là et choisir entre l’explorateur et le commandant d’arme de Port-Louis et de Lorient, tous deux descendants d‘une ancienne famille locale si un autre Surville ne devait pas aussi être pris en compte :
L’Amiral Charles Jules de Surville.
Né à Nîmes en 1818 et mort à Toulon en 1879 il avait au cours de sa carrière participé à la Guerre de Crimée, aux opérations en Cochinchine et à la guerre d’Italie en 1867.
Il avait commandé le yacht impérial "Aigle" avec lequel il avait conduit l’impératrice Eugénie à l’inauguration du canal de Suez en 1869.
En 1877, il avait été nommé Préfet maritime de Lorient.
Cette dernière affectation a-t-elle, à l’époque, suffit pour qu’il soit à l’origine du choix de son patronyme ?

Pour Groix il faut reconnaitre qu’un explorateur au temps de la marine à voile et originaire de Port-Louis serait peut-être le plus glorieux.
Mais à ce jour, seules des recherches dans les Archives nationales du Ministère de la Défense pourrait, peut-être, permettre de savoir de quel "Surville " on voulait rebaptiser le fort de la Croix (ou Lacroix).
Aujourd’hui, Heno, Guyot et Surville font toujours partie de la toponymie groisillonne malgré les souhaits de l’abbé Noël en 1899 et du Général Ferron successeur de Boulanger au ministère de la guerre en 1877.
Si plus aucune plaque ne porte le nom Yves Guyot de nos jours il n’en est pas de même pour Surville.
Si vous avez la curiosité d’aller à l’entrée du fort, après le petit tunnel, en levant la tête vous pourrez voir la plaque de marbre voulue par le général Boulanger en 1887 et mise en place cette année là.

Quant à Piwisi et Primiture, il faut espérer qu’un jour, un archiviste paléographe bretonnant trouve, dans un vieil aveu, la signification de ces deux mots et permette enfin la réunification définitive de l’île de Groix.
J-C Le Corre, Groix, septembre 2016
Sources principales :
- "La défense des îles bretonnes de l’Atlantique des origines à 1860" Nicole Le Pourhiet-Salat Service Historique de la défense Vicennes - 1983
- "Vie et société au Port-Louis" H.F. Buffet Ed Bahon-Rault Rennes -1972
- "Le dramatique tour du monde du Chevalier de Surville 1769-1773". Service historique de la Marine - 2004.
- "La Croix de l’île de Groix" Bulletin d’information crée par l’abbé Noël en 1891.
Jean-claude Le Corre à Groix avril 2016
Vos commentaires
# Le 21 septembre 2016 à 20:44, par Didier Métayer
Merci beaucoup Jean-Claude pour avoir écrit sur ce sujet et merci à Anita et Henri de l’avoir publié.
# Le 22 septembre 2016 à 20:25, par Blouin Andrée (famille Le Dref-Noêl de Locmaria)
Je cherche les volumes 1 et 2 des lettres de la Croix de l’Île de Groix de l’abbé Noêl, je suis prête à les acheter. Je possède les volumes 3 et 4. Merci
# Le 22 septembre 2016 à 20:56, par Anita
Vous avez contacté l’éditeur ?
# Le 22 septembre 2016 à 22:04, par jean-claude Le Corre
Vous devriez vous renseigner à la librairie Coop-Breiz de Lorient ou chez un vendeur de livres d’occasion.
Bonne chance !
# Le 23 septembre 2016 à 19:08, par Passiondeslivres
Les volumes des lettres de l’abbé Noêl étaient dans la vitrine de la librairie SESAME
34 Cours de Chazelles à Lorient le jeudi 22 septembre en fin de matinée.
# Le 24 septembre 2016 à 08:33
Bonjour aux chercheurs d’histoires.
En outre, le Conseil Général du Morbihan à numérisé dans sa partie "presse ancienne", les "Lettre d’un Groisillon à compatriotes" ou "La Croix de Groix".
Le site est ouvert à la consultation publique.
Salutations nautiques
Le Torcheur.
# Le 7 septembre 2017 à 11:11, par gouronc
Très intéressant .
Merci !
# Le 23 décembre 2020 à 15:40, par Gouézin Philippe
Bonjour,
Je suis à la recherche d’une photo aérienne de l’ile de Groix dans le secteur de la pointe de Pen Men. Il existe des photos de l’US air force il me semble. Comment en avoir accès.
Je suis à la recherche d’un monument mégalithique probablement détruit par l’armée allemande.
Merci pour votre réponse.
Bien cordialement.
P. Gouézin
Archéologue.
Chercheur associé UMR 6566 CNRS
# Le 24 décembre 2020 à 10:28, par DANIEL
Bonjour
pour accéder à toutes les photos aériennes qui existent depuis que la photo arienne "publique" existe il suffit d’accéder au site :
https://remonterletemps.ign.fr/
option : télécharger des clichés et cartes
vous aurez accès à toutes les campagnes des photos existantes en zoomant sur la zone géographique de votre recherche , sur Groix les premiers clichés datent , sauf erreur, de 1948
possibilité de visualiser ces donnée et de sélectionner en fonction de leur échelle de prise de vue (et donc de leur définition)
# Le 24 décembre 2020 à 17:35, par Le Torcheur
Bonjour, parlez-vous des tumuli de la « Butte aux chats » (Moustéro), détruits par l’occupant en 1942 pour y installer la tourelle du croiseur Seidlitz ?
Ces buttes sont décrites dans un rapport de fouilles avec plan et inventaire, rédigés par messieurs Duchatelier et Chartois.
Sur la pointe de Pen Men, les allemands ont détruits ce qui semble être un éperon barré vénète, pour y installer un poste de guet.
Je n’ai pas connaissance de photographies aériennes antérieures à la seconde guerre mondiale.
Le Torcheur