Accueil > ARTS, CULTURE & SPECTACLES > Discours de bienvenue du maire de Groix à Hubert Reeves.

Discours de bienvenue du maire de Groix à Hubert Reeves.

jeudi 22 juin 2006, par Admin

J’étais un enfant rêveur. J’ai grandi avec l’aventure Apollo, fasciné par la façon dont les technologies savent être à la fois les instruments et les moteurs de nos rêves.
A l’âge où la plupart des adolescents se construisent une image sociale faite des vantardises qui rassurent et éloignent des questions angoissantes, j’eus aussi le désir d’avoir un télescope.
Avec quelques amis passionnés, armés de nos « Newton115/900 » à miroir, nous explorions les années lumières, ravis de pouvoir à si peu de frais faire l’ expérience de l’immensité.
Les scientifiques découvraient alors les trous noirs. La cosmologie et le « big bang » des origines étaient des sujets de conversation qui enflammaient mon imagination bien au-delà des limites raisonnables de la science (mais la science, je le sus plus tard, n’a pas de limite raisonnable.) Pascal disait que le silence des espaces infinis l’effrayait. Il m’attirait et m’attire toujours comme un aimant.
Je ne suis pas devenu astronome. C’est la dimension romantique et
philosophique de l’astronomie qui m’attire, sa dimension purement humaine en fait, et je ne me suis pas senti l’aptitude de parcourir ces marathons mathématiques qui mènent aux grandes découvertes.
J’en ai ait gardé une admiration sans bornes pour les scientifiques qui élargissent chaque jour ces champs infinis du savoir. Loin de « frapper les cieux d’alignement » comme le chantait Brassens, les astrophysiciens donnent à l’univers une profondeur et une richesse insoupçonnées. Et j’exprime ma gratitude à ceux qui, comme Hubert Reeves, savent nous le faire partager.

Astronome amateur, adhérent de la SAF fondée par Camille Flammarion
(Astronomie populaire, La pluralité des mondes habités.) lecteur de Fred Hoyle, de Jean Lacroux, abonné au Palais de la Découverte, j’ai découvert Hubert Reeves durant mes études de médecine. « Patience dans l’azur » et « Poussières d’étoiles » ont été pour moi la
révélation d’une vision cosmologique à la fois rigoureusement scientifique et humaniste de l’Univers, liant son histoire à nos origines.

J’enviais ceux qui se suffisent à connaître leurs origines jusqu’à la 5eme génération, et sont rassurés de s’approprier ainsi un morceau d’histoire et de territoire. Je dois avouer que ce qui me préoccupait le plus était plutôt de savoir comment la vie est apparue sur terre, si l’univers à un sens, et lequel. Le fait de me savoir constitué de briques fabriquées au coeur des étoiles, descendant direct de la première bactérie apparue il y a 3,7
milliards d’années sur terre, parent proche des dinosaures, et forcément cousin de toute forme vivante de cette planète me paraissait dépasser nettement les avatars de ma généalogie personnelle. Et même si je ne suis pas Groisillon d’origine, mon cousinage avec les dinosaures, après tout, ne manque pas de panache !

Hubert Reeves, avec sont talent d’écrivain et de conteur me rattache enfin à cet univers qui me fascine. Il fait de moi, de nous, les acteurs, infimes certes, mais les acteurs privilégiés de la gigantesque histoire qui commence avec le big bang. Il est pour moi comme pour beaucoup d’autres le sage qui élève notre regard, et nous apaise en ramenant nos caprices et nos malheurs quotidiens à leur humble dimension.

J’étais un enfant rêveur et j’espère être resté un enfant et surtout un rêveur. L’humanité n’avance que par ses rêves. Seuls l’homo sapiens peut élaborer un monde à côté du monde, un virtuel à côté du réel. Ce pouvoir de la pensée lui permet d’accéder à la connaissance de soi-même et de l’ univers, mais aussi à cet aspect le plus fascinant de la démarche scientifique qui consiste à imaginer des possibles, puis de les comparer avec le réel observé. Dernière conséquence et non des moindres, la pensée de l’homo sapiens lui a
permis de modifier le monde où il est né de façon de plus en plus radicale, et s’il n’a pu encore modifier les lois du réel, il a appris à les détourner pour son profit le plus direct, non sans conséquences, j’y reviendrais tout à l’heure.

L’homo sapiens est apparu en Afrique il y a 160 000 ans environ. Il
possédait alors une capacité crânienne supérieure à la nôtre aujourd’hui (aurions-nous régressé ?) il lui a fallu un peu plus de 120 millénaires pour installer sur l’ensemble de la planète la multitude de tribus qui peuplait le paléolithique. L’homme possédait alors une culture élaborée et une parfaite connaissance de son milieu.
Trente millénaires plus tard, il maîtrisait l’agriculture lors de la révolution néolithique et libérait ainsi plus de temps pour développer sa pensée. En moins de 4000 ans il accède à l’âge du bronze, à l’écriture, et aux grandes civilisations. L’ère moderne qui débute à la fin du XVIIIe connaît des accélérations sans
commune mesure, et le dernier siècle en est l’exemple le plus vertigineux.
Les progrès technologiques sont les plus impressionnants : vous connaissez la loi de Moore qui dit que les systèmes informatiques doublent leur capacité d’analyse tous les 18 mois, cette loi n’a pas encore été prise en défaut depuis l’apparition des premiers ordinateurs. Nous avons peuplé l’ espace proche de milliers de satellites, au point de ne plus savoir que faire de ceux qui sont obsolètes, nous sommes capables de ramener les images et des données de tout le système solaire, et très bientôt d’observer les
planètes orbitant autour d’autres étoiles, nous pouvons bombarder les comètes, creuser le sol martien, bientôt installer des bases permanentes loin de notre berceau, de notre merveilleux berceau : la terre.
Nous avons mis cent soixante millénaires pour faire de ce berceau un objet à notre merci. Si nous réussissons à ne pas le détruire, si nous laissons à nos enfants un monde vivable, ces derniers seront certainement et rapidement capables d’essaimer à travers la galaxie, pour les mêmes raisons qui ont poussé les hommes vers l’exploration et l’expansion depuis le fond des âges.

L’aventure humaine est belle, mais elle pourrait s’interrompre
prématurément. Comme je disais tout à l’heure, nous avons appris à changer le monde mais pas ses lois. Ignorer ces lois entraîne des conséquences inévitables connues des scientifiques : les lois physiques qui président (entre autres) au réchauffement planétaire, les lois biologiques qui expliquent une perte massive de biodiversité et l’extinction de nombreuses espèces, les lois
sociales qui voient monter partout des tensions inquiétantes, urbaines, nationales, internationales.

Les premières missions Apollo ramenèrent des photos de la terre rappelant à tous que notre planète n’est pas si grande, et que sa biosphère est une mince pellicule fragile. L’idée qu’il y a des limites à nos rêves et surtout à nos ambitions est alors née avec le mouvement écologiste. L’enfant qui rêve est poussé par les forces de la vie, adolescent il apprendra à s’ appuyer sur cette énergie du rêve pour s’affronter aux réalités du monde, et y mettre quelques freins, accédant ainsi à l’âge adulte. L’humanité n’est pas arrivée au stade adulte. Elle est poussée par cette énergie primaire, enfantine et dévorante qu’elle ne sait pas encore maîtriser. Pourtant, elle n’a pas le choix, il n’y a pour le moment aucune
planète de rechange disponible, et si la génération qui est aujourd’hui aux
manettes croit échapper aux désastres annoncés, celle de nos enfants payera
durement la note.

Osons considérer qu’il nous faut vivre dès maintenant un changement radical
de civilisation, et nous avons les moyens de le faire. Mais si nous disons
comme Marie Antoinette « encore un petit moment monsieur le bourreau » les
conséquences physiques, biologiques et sociales de nos choix politiques nous
obligeront à le faire d’une façon beaucoup plus dramatique, avec le risque
de rendre la terre réellement invivable. Ce risque nous n’avons pas le droit
de le prendre.

Nous en avons les moyens techniques et politiques : la mondialisation des
communications ne sert pas seulement à faire circuler l’argent et à générer
des mécanismes comme Clearstream dont le nom évoque fort bien ce qu’il est :
une chasse d’eau des circuits nauséabonds de la finance mondiale. La
globalisation permet aussi de faire circuler l’information, et de faire
naître des consciences planétaires.

Le développement durable tel que nous tentons aujourd’hui de l’intégrer dans
notre pratique quotidienne, comme décideur ou comme citoyen, représente-t-il
un effort suffisant ? J’ai encore quelques doutes. Nous sommes encore trop
dans le « tout économique » qui est en fait une économie de guerre sans
conflit mais qui génère toujours des conflits.

Les aspects environnementaux et sociaux que nous ajoutons désormais à nos
démarches, unissant ainsi les 3 piliers du développement durable, sont-ils
toujours pris en compte au niveau nécessaire ?

J’oserai dire que c’est la notion même de développement qu’il faut aborder
avec un oeil neuf. Pourquoi se développer si ce n’est pour apporter à chacun l’
équilibre et le bonheur auquel il a droit ? Plutôt que le PNB, peut-être
serions-nous tous d’accord pour préférer le BNB ? (idée appliquée dans le
petit royaume himalayen du Bhoutan) A en croire les flux d’images et d’
informations qui nous submergent, le bonheur serait dans l’accession à un
statut social, au pouvoir exercé sur les autres, la possession d’un maximum
de bien de consommation, un masque de séduction (nous le valons bien).et j’
en passe.

Je suis médecin. Je n’ai jamais vu un patient faire une dépression grave
faute d’avoir pu se payer une Ferrari Testa Rossa, ni tomber malade parce
que ses vacances à Tahiti sont compromises ou qu’il n’a pas le tout dernier
modèle de portable. En revanche, je vois tous les jours des gens qui se
laissent mourir parce que leur conjoint qu’ils aimaient à disparu, d’autres
faire un cancer car leur enfant ne leur parle plus ou encore parce qu’ils
traînent le poids d’irréparables malentendus avec leur famille. Les vraies
valeurs humaines sont là : dans la relation aux autres, dans l’amour et l’
harmonie (fût-elle tumultueuse) que nous créons ou non avec ceux qui nous
entourent comme ceux que nous croisons. Les enjeux du bonheur ne sont pas
dans le « toujours plus de tout » mais bien dans un « mieux vivre » qui,
chez l’animal grégaire que nous sommes, sous-entend toujours l’harmonie
sociale.

Changer de civilisation c’est sans doute cela : écouter nos priorités, dans
nos coeurs et dans nos âmes, et faire la sourde oreille à ceux qui prétendent
connaître mieux que nous ce qui fera notre bonheur. L’histoire et l’
actualité ne manquent pas d’exemples : religions, idéologies, et
singulièrement le poids croissant du monde marchand, sont experts à nous
convaincre que le bonheur est à vendre ou à conquérir. Il faut devenir
adulte. Se demander ce qui est vraiment important.

Ce soir nous allons connaître le plaisir d’apprendre, d’écouter, de rêver,
de philosopher, d’enrichir notre pensée. Ces plaisirs là ne coûtent pas
chers, ils ne consomment que très peu d’énergie et ne sont pas polluants.
Nos invités étaleront des richesses qui ne seront jamais cotées au CAC 40,
car n’oublions pas que la connaissance est la seule richesse qui s’accroît
quand elle est partagée.

Eric REGENERMEL Le 14 juin 2006.

Commentaires