"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Soutien au Poher

Publié le 1er mars 2023 à 06:59

de Jean-Michel Le Boulanger

A la demande d’Erwan Chartier et du comité de soutien qui l’entoure, je suis intervenu ce matin lors du rassemblement organisé à Carhaix en soutien à la liberté de la presse, suite à toutes les menaces récemment reçues par ces journalistes.
Ainsi donc, aujourd’hui en Bretagne, on promet « une balle dans la tête » à un journaliste libre, Erwan Chartier, et on menace très violemment les équipes d’un hebdomadaire libre, Le Poher-Hebdo, et une journaliste de France 3 Bretagne, Carole Collinet-Appéré.
« Une balle dans la tête » !
« Une balle dans la tête », c’est Jean Jaurès, le 31 juillet 1914. Un journaliste aussi, Jean Jaurès, fondateur de L’Humanité, grande figure de la gauche française, assassiné par un nationaliste fanatisé.
« Une balle dans la tête », c’est Jean Zay, le 20 juin 1944. Il avait été journaliste, aux débuts de sa vie professionnelle, Jean Zay, grande figure du radicalisme, assassiné par la Milice.
« Une balle dans la tête », c’est Georges Mandel, le 7 juillet 1944. Un journaliste, Georges Mandel, grande figure de la droite française, assassiné par la Milice.
« Une balle dans la tête », « on va te crever et te jeter dans une fosse avec les négros que tu aimes tant », cela rappelle les propos de Charles Maurras sur Léon Blum, « détritus humain, à traiter comme tel. C’est un homme à fusiller, mais dans le dos ». Léon Blum, un journaliste aussi...
Vous allez me dire que rapprocher Erwan Chartier et Le Poher de ces trois assassinats ou de l’attentat dont Blum – lynché – a été victime le 13 février 1936, est excessif. Je ne le crois pas pour une raison simple : à chaque fois ces passages à l’acte ont été précédés par de multiples appels au meurtre et des discours de haine, mille fois répétés ; banalisés !
C’est pourquoi, fort de cette histoire, il ne faut rien laisser passer et réagir, dès le premier coup de canif. Ne laissons aucune place à l’impunité.
Ce que nous vivons ici et maintenant, c’est l’histoire toujours recommencée de la vieille extrême-droite qui n’a jamais accepté la République, la liberté de conscience et les mots Liberté, Egalité et Fraternité affichés aux frontons de nos mairies.
C’est l’histoire toujours recommencée de l’intolérance, du refus de l’autre, du refus du divers. « Une balle dans la tête », c’est Charlie Hebdo, c’est Samuel Paty, c’est le Père Hamel, assassinés par des barbares sectaires, intransigeants, totalitaires, ces fanatismes qui veulent la mort de l’autre, l’impur, le mécréant, l’infidèle.
L’autre ne me plaît pas, je le tue.
Cette voix ne me plaît pas, je la fais taire.
La vieille extrême-droite française a beaucoup de points communs avec ceux qui, partout dans le monde, s’arcqueboutent et se crispent autour de nationalismes ou de religions fantasmés.
Et ici et maintenant, comme jadis et partout, il nous faut continuer à dire et à répéter qu’une démocratie vivante ne s’arrête pas aux élections de nos représentants. Une démocratie vivante, c’est le débat, le pluriel, l’acceptation de l’autre, la liberté de conscience, la liberté d’expression et donc la liberté de la presse, dans le respect des lois.
Tout cela est si fragile… Rien n’est acquis ! Rien n’est jamais acquis ! L’histoire est peuplée d’atteintes et de coups portés à la liberté d’expression et notre actualité en déborde...
Alors qu’à Carhaix, Le Poher était menacé, il y a quinze jours, le 10 février, était créé un comité de soutien au journaliste Mortaza Behboudi, détenu en Afghanistan depuis le 7 janvier par les Talibans.
Le 14 février : descente de Talibans dans les locaux d’une chaine de télévision à Kaboul. Le personnel est frappé, des journalistes emprisonnés.
Le 16 février : la journaliste russe Maria Ponomarenka est condamnée à 6 ans de prison pour un article dénonçant la guerre en Ukraine. Dans la Russie d’aujourd’hui, les fausses informations sont passibles de 15 ans de prison.
Le 18 février : sortie sur Arte TV de l’enquête de Reporter sans frontières sur l’exécution sommaire par l’armée russe du journaliste ukrainien Hakx Levin.
Le 21 février, cette semaine, en Ethiopie, suspension de 15 médias étrangers.
Partout dans le monde, la démocratie est un combat.
Et ce combat commence à notre porte, en soutenant Le Poher, Erwan Chartier et ses équipes, face à toutes les aggressions et les menaces dont ils sont victimes, comme nous avons soutenu hier Morgan Large, une autre journaliste elle aussi aggressée, et comme nous devons soutenir la liberté de la presse contre toutes les censures, politiques, mais aussi économiques…
Il nous faut aussi revenir un instant à l’origine de ces menaces contre Le Poher, le projet d’hébergement de Callac.
La peur de l’autre, fantasme habituel de la vieille extrême-droite.
Depuis le 19e siècle, elle a rejeté les Italiens et les Polonais, puis elle a rejeté les Algériens et les « Nègres » de toutes les Afrique, dans les recoins de ses haines et de ses reniements. On nous dit aujourd’hui que les nouvelles générations d’immigrés ne peuvent s’intégrer car ils sont – ou seraient – musulmans pour la grande majorité d’entre eux, contrairement aux précédentes vagues d’immigration. A-t-on la mémoire si courte ? A-t-on oublié ce pogrom anti-italiens, à Aigues-Mortes en 1893 : 10 morts, au cri de « Mort aux Italiens ». A-t-on oublié la stigmatisation anti-polonaise des années 1920, le racisme anti-espagnol ou anti-portugais ? Et les Roms ? Et les Juifs ? Et Vichy ? A-t-on oublié notre histoire ?
Ces millions d’immigrés ont construit cette France qui est nôtre, ouvriers, mineurs de fond, créant nos routes et nos réseaux ferrés, bâtissant nos villes, chargeant nos camions-poubelles, nettoyant nos rues.
N’oublions pas que nombre d’entre eux se sont aussi engagés dans les combats de nos libertés. Des réfugiés Espagnols, par exemple, dans les maquis de Bretagne et d’ailleurs.
Doit-on rappeler les noms de Manouchian et des siens, imprimés sur l’Affiche rouge ? Tous, migrants, réfugiés. Tous, résistants. Oui résistants ! Et fusillés, tous, le 21 février 1944, il y a 79 ans.
Doit-on rappeler les noms de Picasso, Soutine ou Modigliani, de Foujita, Chagall ou Appolinaire ?
Doit-on rappeler les noms de Gambetta ou de Zola, celui de Marie Curie…
Doit-on rappeler Kopa, Platini, Zidane…
A-t-on oublié que la France libre était à Londres, et De Gaulle un réfugié ?
A-t-on oublié l’accueil des populations de l’est et du nord de la France durant les deux guerres mondiales, à Carhaix , comme partout autour de nous ?
A-t-on oublié que nous sommes tous, peu ou prou, issus de vagues de migrations ? Seule change la date…
Pour conclure, revenons à nos essentiels. La liberté de la presse est un fondement de nos démocraties, un socle.
Les journalistes, en conscience, qui font œuvre d’informer leurs concitoyens, travaillent au quotidien pour une utopie qui les dépasse. Ils ne se dégonflent pas. Ils assument.
Notre responsabilité à toutes et à tous est de les soutenir. Avec ardeur et sans faiblesse. Notre responsabilité est de donner vie à ce propos prêté à Voltaire : « Je ne partage pas vos idées mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer ».
Oui, la liberté de la presse peut gratter parfois, évidemment !
Et quand elle gratte et qu’elle nous irrite, la presse, rappelons-nous la réponse d’André Malraux aux députés de sa propre majorité qui souhaitaient la censure d’une pièce de Jean Genet, pendant la guerre d’Algérie :
« La liberté, Mesdames, Messieurs, n’a pas toujours les mains propres ; mais quand elle n’a pas les mains propres, avant de la passer par la fenêtre, il faut y regarder à deux fois...
Ce qui est certain, c’est que l’argument invoqué : « cela blesse ma sensibilité, on doit donc l’interdire », est un argument déraisonnable. L’argument raisonnable est le suivant : « Cette pièce blesse votre sensibilité. N’allez par acheter votre place au contrôle. On joue d’autres choses ailleurs ».
Oui, si un journal blesse votre sensibilité, ne l’achetez pas. La presse est multiple, riche de toute une diversité, et c’est heureux, une presse libre !
Merci à Erwan Chartier, merci aux journalistes du Poher et de France 3 aujourd’hui menacés, merci à tous les membres de cette profession symbole de notre démocratie, qui font vivre au quotidien une certaine idée de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Face aux passions tristes des racistes, xénophobes et apprentis fascistes, chérissons et protégeons ces libertés essentielles, et aimons la vie, le débat, la culture, la fête, et la musique qui va maintenant se propager sur cette place…

Commentaires :

  • Pour faire un petit clin d’œil à Jean-Paul, si le constat donne la nausée, c’est intéressant aussi de rechercher qui des responsables ont les mains sales.

    Pardon de devoir encore parler de Macron, mais franchement, depuis qu’il fait barrage, les fascistes n’ont jamais eu autant de pouvoir en France.

    On peut aussi se questionner du bon sens à appeler du même mot « journalistes » ceux qui font un vrai travail d’investigation ou de lanceurs d’alerte, et ceux qui ont tant œuvré pour qu’un candidat puisse dégueuler sa bile fascisante sur une certaine chaîne d’info.

    Solidarité avec les journalistes du Poher.

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