C’est une minuscule ria comme il y en a tant autour de Groix, une petite
anse où la lumière du soir fait miroiter une eau limpide sur un fond de
roches colorées, de goëmon brun et de petites langues de sable
étincelant.On y accède par des rochers coupants et un peu escarpés.

Un couple de goélands et son poussin de l’année, rassurés par la
tranquillité des lieux, ont élus domicile dans cette anse paisible. La
discrète aigrette y fait de fréquentes incursions, pêchant avec
élégance aux creux des mares. Un couple d’huitriers-pies bavards
s’interpelle d’une roches à l’autre. Nous nous glissons sans bruit dans ce
paysage idyllique pour un bain rapide. Désormais habitué à notre
présence quasi-quotidienne, le poussin reste sur son rocher. L’aigrette,
plus farouche, passe dans l’anse voisine. Quant aux huitriers-pies, ils
nous rejouent la patrouille de France, le V impeccable de leur plumage noir
et blanc accrochant la lumière du soir, puis reviennent se poser sur la
roche en sifflotant.

" Eric ! Eric ! ERIIIIICC !" s’époumone une voix au- dessus de nous, "
viens faire une photo pendant que je descends dans les rochers". Et il
entreprend la descente du côté le plus escarpé, ce grand dégourdi sans
malice. Il s’accroche tant bien que mal aux aspérités de la roche tandis
que ses pieds glissent sur l’herbe sèche et pentue. Dieu merci, il renonce
 ! Non, il essaie plus loin, là où la roche s’effrite. Soudain on ne le
voit plus ! Ses copains l’interpellent à grands cris ! Ouf, il a réussi
à descendre tout au fond de la ria... Mais voilà qu’il a du mal à
remonter ! Je sens venir le moment où, à faire "son dindin" dans les
rochers ce grand escogriffe d’une vingtaine d’années va finir au pied de
la falaise... Et il faudra, de surcroît jouer les saint-Bernard et le
remonter éclopé et sanguinolent sur la lande.

Ils la font enfin cette fameuse photo et finissent par s’en aller, heureux
 : la ria est dans la boîte !... Il manquera juste l’aigrette garzette,
mystérieusement disparue, la patrouille de France qui a pris la fille de
l’air et le petit goëland qui fait bouchon au loin sur
l’eau................. Elizabeth Mahé