"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

La "retraite" d’un travailleur

Publié le 22 février 2023 à 13:04

De l’écrivain Nicolas Mathieu :

« De temps en temps, je reçois un appel de mon père. Souvent, il n’y a personne au bout du fil. J’ignore ce qu’il fabrique avec son téléphone. Peut-être essaie-t-il de changer de chaîne sur la télé suspendue dans la petite chambre d’hôpital où il se trouve, qu’il prend d’ailleurs pour une chambre d’hôtel, dans une ville où il n’est pas. Mais parfois, il y a une voix, chevrotante, qui cherche ses mots. Et ce sont presque toujours les mêmes. "C’est ma dernière semaine là." Je lui demande dernière semaine de quoi. "De boulot, j’en ai ras le bol." C’est un homme très âgé aujourd’hui, au-delà même des chiffres sur sa carte d’identité, une fragilité qui tangue dans un couloir, chenue, presque transparente par instant, sans plus de mémoire de la minute qui précède et qui a même oublié son divorce, un homme qui attend une femme qui n’est plus la sienne. Mais ce dont il se souvient, c’est la cadence, le stress, les permanences, les chefs, les copains, les chantiers, les décisions imbéciles tombées de Sirius, le syndicat et la paie qui ne grimpe pas parce qu’il est au CE et que faire chier le patron ça a un coût. De tout cela, il s’en souvient, la fatigue, la pression, la charge qui augmente, les réveils en sursaut pour délivrer un quidam coincé dans un ascenseur. C’est là, ça pèse encore, de tout son poids de décennies subies, de mal partout et de mors au dent. Ce vieil homme, jusqu’au bout, sera un travailleur. C’est dans sa peau, il oubliera tout, les noms, les visages, mais pas ça. Le boulot.
Alors quand j’entends des trous du cul qui ont la chance comme moi de faire un taf qui leur plaît, n’est pas salissant et leur assure une espérance de vie supérieure de 10 ans à celle de mon père, expliquer que des tas de gens aiment leur job, me viennent des colères ascensionnelles, des envies de pédagogie à coups de marteau. Là-dessus, il faut être intraitable. Chaque fois qu’il faudra jouer la vie contre le travail, on n’hésitera pas. »

Commentaires :

  • Ce beau texte tombe pile-poil et renvoie à ce que nombre d’entre nous pensent sur le rôle central du travail.

    On doit construire la capacité à voir plus loin que le retrait de l’article 7 de la réforme.

    Et ce ne sont pas les urgences qui manquent :

    ici susdite, l’urgence sociale : maltraitance au travail, absence de contrôle de la part des salariés, multiplication des contrats précaires, inégalités et pauvreté massives, suppressions et baisses d’allocations à gogo, inflation…

    l’urgence écologique : conditions de production, de distribution, de consommation, nature nocive des services et biens produits…

    l’urgence démocratique : durcissement autoritaire des démocraties dites libérales, montée d’une xénophobie crasse dans toute l’Europe…

    Cette contre-réforme des retraites est juste l’insulte de trop, et beaucoup le ressentent ainsi.

    Ce mouvement doit servir de point d’appui.

    Il faut d’abord bien sûr le retrait de cette contre-réforme, puis il nous faudra appeler à une vraie réforme qui améliore le sort des salariés et des retraités.

    Il faudra discuter du travail.

    Reste à savoir si les têtes de pont syndicales, qui sclérosent pour le moment le mouvement, autoriseront le temps venu que d’autres pilotent avec elles, pour un élargissement du mot d’ordre et notamment pour contrer la « valeur travail » tant qu’on n’a pas défini ce que c’est que la valorisation du travail (en fait, l’unique « définition » vient pour le moment de la bourgeoisie, du capital mais jamais de ceux qui turbinent).

    Cette « valeur travail » vantée par les Pétain, les Adolphe Thiers ou les curés en leur temps, et les Macron ces jours-ci, en même temps que « le travail créateur de richesses », dont on sait trop bien aujourd’hui pour qui sont créées ces richesses…

  • Il est amusant de noter que le Conseil Constitutionnel va retoquer les trois quarts de la réforme. La volonté gouvernementale d’utiliser le 47-1 n’a pour objet que de modification de loi de finances rectificative en 2023, et seulement pour cette année. Compte tenue des délais imparties de mise en œuvre, il devient quasiment impossible, hors mis par ordonnances, de pouvoir faire appliquer cette réforme des retraites. Nos institutions n’étant pas imbécile, une forme tronquée va apparaître. Le gouvernement pensant toujours gouverner, la loi en elle-même est déjà enterrée. Le retour des débats du Sénat va encore faire maigrir la chose. Comme il n’y aura pas de majorité à l’assemblée, mais un vote nul ou blanc. Difficile de trouver une légitimité.
    Franck Louis Le Gurun

  • Que "Zeus" vous entende et valide votre hypothèse Mr Frank Louis Le Gurun , mais ce n’est pas joué ! . jvk

  • J adhère totalement et pleinement à vos points de vie et j’aime bcp vos textes.

  • Oh comme cela fait plaisir :-) On me fait le plus souvent oralement au hasard d’une rencontre ce genre de compliment mais peu de personnes prennent le temps de l’écrire. Soyez en remercié(e)
    Anita

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