LA BELLE MARIÉE (suite #4)
1 commentaire(Groix, un été 99)
— L’argent mal gagné, c’est comme la connerie, co. Plus tu en as, plus tu l’étales.
Il était pire que la bardane. À peine l’hiver en avait débarrassé l’île, il était là au printemps à marcher dans une tenue fluo qui lui donnait l’air d’un torero, pour monter ensuite dans sa décapotable et se lancer à la chasse aux indigènes. Il aimait ça, rouler les autochtones dans la farine et leurs filles sur la banquette arrière.
Ces gens-là n’ont pas d’humour, disait-il de nous. Ils n’ont pas de second degré. Pourtant, s’il s’était promené sans la ramener, il aurait su qu’ici on sait rire. Il aurait entendu Jacques Vaillot lancer d’une voix douce le jour de l’Assomption : « Il faut que je me dépêche, c’est moi qui Lui tiens l’échelle. Et qui sait, cette année, Elle n’aura peut-être pas mis de pantalons... »
Certes, on se marrait autour du con, on lui tapait sur le ventre. Il faut dire que le comique dégainait le chéquier aussi facilement que le portable et rachetait tout ce qu’il pouvait, laissant dire que toute l’île serait bientôt à lui et les îliens à sa botte. Il songeait à en faire la façade maritime du Lichtenntamère. Pour ce petit monsieur, l’île était un discret paradis fiscal, ou plutôt une discrète machine à laver l’argent mal gagné.
— Arrête, on est en France et il y a plus de trous dans les poches des îliens que de magots sous les matelas.
— C’est pas faux.
Voilà qu’il se rend à Lorient faire ses courses l’avant-veille de la marche, histoire de remplir sa cave. Au retour, il croise notre Rose qui était allée sur le continent sans son souffleur chercher sa robe de mariée.
— Et il en est tombé amoureux ?
Ces types-là ont un ego comme une balise, ils ne tombent pas amoureux. Quand le con la vit au milieu de ses amies, rire, sortir sa robe de la boîte, jouer à valser avec son prince Charmant, sans un regard pour lui, il en resta ébaubi. Il ne répondit pas au portable qui sonnait, chaussa ses lunettes noires et s’arrondit comme un chat qui va sauter sur une souris. Il savait qui elle était. Il l’avait vue pousser au milieu des fleurs sauvages de l’île, sans y prêter plus d’attention qu’aux jeunes plantes qu’il faisait travailler l’été pour un salaire de misère dans l’un ou l’autre de ses commerces. Mais elle avait, sous les feux de l’amour, tellement embelli qu’il avait l’impression d’être moins qu’un grain de poussière.
— Une merde, tu veux dire !
Que s’était-il passé ? Comment n’avait-il pas assisté à l’éclosion de cette merveille et aussitôt exercé son droit de cuissage comme il l’avait souvent fait dans sa villa de Port-Mélitte ? Ce qu’il appréciait dans l’île, était la loi du silence. « Même en Corse, disait-il à ses lèche-culs, t’as pas ça. Il peut se passer les pires conneries, hormis Radio Bistro et le marché aux cancans, rien ne filtre ! »
— C’était avant l’Internet...
— C’est sûr qu’aujourd’hui, tu ne peux plus rien cacher.
— C’est pas tout à fait ça. La meilleure façon qu’on a trouvée ici pour que les choses ne se sachent pas, c’est d’en inventer jusqu’à ce que plus personne ne puisse savoir si c’est de la légende ou du cochon. C’est pas des vraies menteries, c’est des fausses vérités. Continue à nous en dire, Kaou, c’est pour ça qu’on t’a payé un coup à boire !
— Et qu’on va t’en payer un autre ! Jo ?
Rose pose ses affaires et s’en va fumer avec les copines une cigarette sur le pont. Le con passe près des bagages et pique le carton contenant la robe. Le bateau était plein. Personne n’a rien vu. Trop de monde. Un désordre de gosses, de touristes et des paquets partout. Quand les îliennes vont à Lorient, t’as l’impression qu’elles ont dévalisé la ville tellement elles reviennent chargées.
— Et leurs maris, je te dis pas. La charge qu’ils tiennent.
— Je crois qu’on a gardé ça de la guerre.
— Et qu’est-ce qu’il fait de la robe ? Une robe de mariée, ça se planque pas comme ça.
La connerie, c’est une forme d’intelligence à l’envers. Il n’avait pas trente-six solutions. Soit il allait dans les gogues, jetait la robe par le hublot mais ça se serait vu, soit il la découpait en petits morceaux et ça risquait de boucher la cuvette.
— Il l’a foutue dans le coffre d’une voiture ?
Il n’a pas osé descendre dans le garage. Il y en a beaucoup qui restent dans leur véhicule, les Parisiens pressés, les camionneurs et ceux qui ont tellement fait la fête à Lorient qu’ils ne peuvent plus monter les escaliers.
— Ben alors ?
Alors, il l’a tout simplement enfilée par-dessous son super-ciré d’aventurier de la mer.
— Attends, tu veux dire qu’il s’est déguisé en gonzesse ?
Oui, dans les toilettes. Il s’est même payé le luxe de mettre les bas, les jarretelles et le reste.
— Et le carton, l’emballage, la couronne ?
Dans la cuvette.
À l’arrivée, Rose a d’abord cru à une blague. Puis, quand elle a compris, elle a blêmi, t’aurais dit une morte. Elle s’est mise à sangloter que j’en ai encore mal aux tripes. Les types de la Compagnie ont été formidables, le capitaine a pris sur lui de ralentir. Le bateau a eu plus d’une demi-heure de retard. Ils ont tout fouillé jusqu’aux canots de sauvetage. Ils ont demandé à tous, îlien ou pas, d’ouvrir bagages et coffres. Rien. Le con a été le premier à mettre la main à la pâte. Personne n’a songé à le fouiller. Et quand il est sorti, il se marrait comme une baleine.
— La petite ne s’est pas mariée ?
Bien sûr que si. Les bonnes couturières n’ont jamais manqué sur l’île, même que c’est pitié de voir autant de talents inutilisés. Rose a eu une robe à faire pâlir la reine de Cornouailles et pas question qu’elle paye quoi que ce soit. Déjà qu’elle avait acheté à crédit la robe volée.
— Comment sais-tu que c’est le con qui a fait ça ? T’étais pas sur le bateau, tu ne le prends jamais.
Non, mais le con a fait la fête le soir même. Soirée costumée ! Devinez en quoi il s’est déguisé ?
— Non ? il n’a pas osé... Et tu fréquentes ce genre de soirée, toi ?
De mon phare, je vois tout.
— Surtout ce qui se passe dans ce coin-là.
Ben tiens, vaut mieux avoir l’œil sur l’ennemi.
— Et alors ?
Alors, à la fin de leur partie fine, tous fin soûls, ils sont allés jusqu’au monument aux morts et n’ont rien trouvé de mieux que d’habiller le soldat avec la robe, souillée de tout ce que tu veux.
— Mais ils ne respectent rien, ces salauds ?
et toujours merci à Ricardo Montserrat :-)
Vos commentaires
# Le 4 octobre 2017 à 08:14, par Renée
Toujours aussi savoureux, ce feuilleton. On attend la suite avec impatience.