"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

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Il faut sauver notre Paradiso (4)

3 commentaires
Dessin de Jean Perrochaud

J’ai un souvenir précis de la réouverture où toute l’île lors des vacances de Noël de cette année-là savoura les tribulations d’un facteur imaginées par l’inégalable Tati et qui ressemblait tant à notre Francis local lui aussi pédalant gaiement sur un vélo pour assurer les distributions du courrier dans les villages de l’île.

Jour de fête, sorti en 1949, n’était pas encore devenu ce film culte reconnu de nos jours comme un petit chef-d’œuvre mais il rencontrait déjà un large et beau succès sur les écrans de France et de Navarre. Et au-delà aussi car, peu dialogué, son ressort humoristique relevait de situations cocasses dignes du plus talentueux des mimes de l’époque, Félicien Marceau, immense artiste, acteur fameux de pantomimes, révélé au cinéma par le court métrage La Bague (1946) d’Alain Resnais.

J’étais à l’époque de la réouverture « interné » dans un pensionnat religieux de Concarneau - j’emploie avec escient le terme d’interné puisque les pensionnaires d’alors étaient qualifiés d’internes. Interné et pas du tout aliéné - car j’ai été précocement rebelle à l’autorité et au lavage de cerveau - dans cette institution de culs bénis que je considérais alors comme un bagne, bagne d’où le forçat révolté que j’étais devenu rêvait avec nostalgie à la liberté qui avait jusque-là sienne dans cette île natale où les galopins de ma génération vivaient sans grande contrainte. Et continuaient eux à user leurs culottes courtes sur les fauteuils de notre Paradiso que je retrouvais avec un bonheur ineffable à chaque vacance scolaire me ramenant sur cette terre ancestrale enchâssée entre les mâchoires de la mer. Je ne ratais jamais lors de ces congés une séance de notre Cinéma des Familles. Le filmovore que j’étais devenu en a vu des longs et courts métrages à cette époque. Je me souviens de l’immarcescible La Strada (1954) de Fellini où le sort de la pauvre Gelsomina, jouée par l’inoubliable Guiletta Massina, muse et épouse du plus doué des réalisateurs italiens du XX siècle, me bouleversa alors que le Raspoutine de Georges Combret, sorti la même année, avec le talentueux Pierre Brasseur dans le rôle du moine fou, m’épouvanta à un point tel que j’en fis des cauchemars plusieurs nuits durant.

Une séance de cinéma se composait d’abord d’un documentaire ou d’un dessin animé, puis des actualités – celles de Gaumont nous tenaient informés des vicissitudes et des joies du monde - des bandes annonces avant l’entracte et le long métrage. Ce furent les temps héroïques d’un 7e art, pas du tout concurrencé par l’arrivée dans les foyers de cette étrange boîte insidieuse qu’on allait génériquement appelée La Télévision. Il y avait bien un poste à l’Hôtel de la Marine tenu par Mr et Mme Le Goff où dans la grande salle de restaurant se pressait, comme des sardines en boîtes, de nombreux insulaires, venus découvrir l’étrangeté de ces images en noir et blanc dont on ne savait ni d’où ni comment elles sortaient, mais il n’était programmé que de très rares films sur le petit écran à la définition si réduite alors que le cinoche c’était autre chose. Les soirs où étaient diffusés des matchs de catch, le restaurant était bondé. Ça hurlait, ça se déchainait, ça déclenchait des flots de commentaires hargneux, agressifs quand la brute l’emportait sur le gentil mais jouissifs quand le bon dérouillait le violent méchant, autant de manifestations ostentatoires qui prouvaient bien, qu’entre deux tournées de chopines, on aimait la dispute et la châtaigne dans l’île. Epique !

Tudy Vaillant et son épouse se démenèrent pour programmer des films tous les jours de la semaine avec au moins deux changements de programme. Voire trois. Avec des séances le jeudi après-midi pour les écoliers et des séances familiales le dimanche après-midi. Le cinéma faisait souvent le plein. La population de l’île avoisinait encore les 3500 habitants. Tudy Vaillant faisait la tournée des villages pour y poser les affiches. Il allait chez Possémé, le paysan qui exploitait une ferme à la sortie du Bourg sur la route de l’Ecole des Frères, acheter du lait frais pour confectionner avec son épouse, son beau-frère et sa belle-sœur des glaces et des esquimaux maison vendus dans des entractes qui dépassaient parfois la demi-heure. Car il fallait laisser le temps aux hommes et jeunes gens d’aller se désaltérer la gorge au bistrot des sœurs Quilliec (aujourd’hui home secondaire de Mme Joly) ou à celui de Théophile Tonnerre dit Cahors. Bachique !

Me revient en mémoire l’anecdote de la lumière dans le troquet de ces sœurs Quilliec. J’étais comme pas mal de gars nés pendant la guerre un adolescent aimant beaucoup la plaisanterie et l’humour vache. Lors des entractes, nous allions en bande siroter quelques petits blancs casse (cassis) ou quelques rouges « Sourire de l’île », concoctés par Jégo dont l’entreprise et la maison jouxtait la salle de cinéma, dans cet estaminet éclairé par un seul plafonnier actionné par un unique interrupteur situé à l’entrée sur le mur de gauche. Une fois ingurgitées quelques tournées, nous sortions à toute vitesse après qu’un d’entre nous désigné pour la manœuvre ait coupé la lumière. Du bistrot plongé dans le noir complet, les tenancières criaient au voleur, vociféraient à notre encontre mais le temps qu’à tâtons elles passent de derrière leur bar, traversent la salle pour atteindre l’interrupteur et rallumer, tout en continuant à nous agonir d’injures, nous courrions vers le cinéma où la projection du grand film commençait. Nous nous y précipitions au grand désespoir des tenancières qui se laissèrent piéger plusieurs fois par le stratagème. Satanique !

à suivre ...


Vos commentaires

  • Le 7 novembre 2017 à 10:56

    Lulu,te voilà bien parti pour être notre nouvel Eugène Sue ! Vous imaginez : un an de feuilleton, intitulé pour l’occasion "les mystères de Groix" où les petites histoires de l’Île auraient enfin leur place........................................... Elizabeth Mahé

  • Le 7 novembre 2017 à 11:10, par Anita

    Ma relève n’étant pas assurée, il faut commencer à préparer le terrain pour trouver quelqu’un qui aurait du temps et entamerait ses subsides pour éviter que la publicité ne pollue le talent de Lulu...
    AM
    P.Scr :On peut aussi se plonger dans les rubriques du site de Lucien qu’on espère voir réactivé.
    http://www.luciengourong.com/site/?cat=2

  • Le 8 novembre 2017 à 18:59, par Olivier

    Ma relève n’étant pas assurée, il faut commencer à préparer le terrain pour trouver quelqu’un qui aurait du temps et entamerait ses subsides

    Aïe-aïe-aïe : l’info groisillonne est en péril !

    Note qu’en cumulant les correspondances locales, y aurait p’têt moyen, va savoir...

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