Dragage et immersion - Port autonome de Rouen
http://sos.estuaire.free.fr/dragage.htm
Messieurs,
SOS Estuaire a suivi pendant plusieurs années le dossier des dragages dans l’estuaire de Seine. .../...
Les activités de dragage ont été très souvent mises en cause par la communauté scientifique du programme de recherche « Seine Aval ». _ Dans la contribution suivante, nous allons faire référence aux documents suivants, dont les extraits sont joints à ce courrier :
Seine Aval fascicule 7 « Patrimoine biologique et chaîne alimentaire » mars 2002
Agence Eau Honfleur « Propositions de délimitation des masses d’eau … » Août 2002
Seine Aval « Commission géographique » Avril 2003
Seine Aval « Etat des lieux du bassin Seine » Octobre 2003
En préambule, nous souhaiterions recommander à la Commission d’enquête de consulter aussi bien les scientifiques du programme Seine Aval (Agence de l’eau à Rouen et à Honfleur ; Cellule de Suivi du Littoral Haut-Normand au Havre) que des administrations indépendantes du port de Rouen (DIREN de de Basse-Normandie …). En effet, le service en charge d’instruire ce dossier, à savoir le Service de navigation de la Seine, n’est qu’une émanation du port de Rouen.
Concernant les activités de dragage dans le chenal : l’étude d’impact affirme que le dragage par aspiration n’a aucune incidence. Cette affirmation n’est pas fondée. Personne n’a jamais ni étudié ni a fortiori démontré l’innocuité des opérations de dragage sur les habitats marins. _ Les scientifiques de Seine-Aval estiment eux que :
« On soupçonne fortement les dragages d’entretien d’être à l’origine de l’appauvrissement du benthos dans le chenal principal » (I. p34) ; « Parmi les causes majeures de la très grande pauvreté en benthos dans le chenal en aval de Tancarville figure les dragages chroniques » (II. p32) ; « Les pressions directes sur les communautés biologiques s’exercent par prélèvement et/ou destruction des communautés benthiques (dragage, …) » (IV. p68)
C’est pourquoi en raison des interrogations que suscitent les opérations de dragage, nous demandons que soit effectuer une étude sur l’impact direct de ces dragages, notamment en embarquant des chercheurs indépendants à bord des dragueuses suceuses opérant dans le chenal de Seine.
Concernant les rejets par clapage, le dossier en minimise l’impact direct, en donnant l’impression que le site choisi dit du « Kannick » est "naturellement" pauvre. De telles affirmations sont absurdes puisqu’en raison de l’utilisation ancienne de ce site de dépôt, personne n’a idée de sa richesse initiale. Aucun « état initial » n’a jamais été fait. On sait de manière globale que l’embouchure de l’estuaire, là où se situe le dépôt du Kannick, présente « une importante richesse benthique exploitée par les juvéniles de certains poissons benthiques comme la sole » (I. p34). Sur ce site le rejet des matériaux dragués ensevelit les communautés benthiques, ce qui est qualifié de « pression directe sur les communautés biologiques » (IV. p68)
Continuer à claper les produits de dragage dans la baie de Seine pendant au moins encore 10 ans, quelque soit le site choisi au final ne peut qu’avoir un impact négatif. C’est pourquoi, nous demandons que le port de Rouen s’engage, en compensation des dégâts créés par ses opérations de dragage, dans des mesures de réhabilitation des écosystèmes estuariens.
Concernant les dépôts sur le site « intermédiaire », le conseil scientifique recommande de ne pas l’utiliser d’avril à octobre. Le port ne prévoit d’en interdire l’utilisation que de juin à octobre. D’après l’étude d’impact, le dépôt intermédiaire est qualifié de « site dispersif », sur lequel « aucun dépôt pérenne n’est possible ». En outre, il s’agit d’un « lieu déterminant pour le bon déroulement du cycle biologique de la crevette grise », constituant « une aire de pêche privilégié ». Devant un tel constat, nul ne peut approuver l’utilisation de ce site à des fins de dépôts.
Il est à noter que les autorités du port d’Honfleur (Conseil général du Calvados) ont quant à elles récemment décidé de stopper leurs rejets sur le site intermédiaire en raison de l’impact négatif provoqué par ces rejets.
Limiter radicalement les rejets sur le site intermédiaire, en volume et en temps, nous semble indispensable pour la sauvegarde de la crevette grise.
Concernant les rejets sur le site de dépôt principal dit du « Kannick », le dossier en présente clairement les effets à savoir un comblement de l’estuaire en aval, sur la fosse nord, avec une avancée des bancs de sable existants vers le dépôt des boues de dragage, ce qui constituera à terme une « nouvelle unité incontournable » dans l’estuaire.
Ce que le dossier ne précise pas sont les conséquences de ce comblement de la grande vasière nord. Selon les scientifiques de « Seine Aval » : « la fosse nord présente des caractéristiques sédimentaires et biologiques qui rendent ce système essentiel pour la sauvegarde des principales fonctionnalités de l’estuaire de Seine » (I.34). Les conséquences de son comblement seront, de l’aveu de Seine Aval :
disparition des nourriceries de poissons
disparition d’aire de repos et de nourriture pour les oiseaux limicoles
disparition de la fonction d’épuration naturelle
déplacement à l’aval du bouchon vaseux, entraînant l’envasement des plages du Calvados et la disparition des moulières de Villerville.
En continuant à rejeter les boues de dragage dans l’estuaire, le port de Rouen ne recherche qu’une chose : combler la vasière nord, obtenir un banc fixe à cet endroit pour ensuite prolonger les digues vers la mer et ainsi expulser par effet auto-chassant les sédiments de la Seine. Les conséquences seront très graves, pour la biodiversité, pour la pêche commerciale et pour le tourisme.
En raison des effets induits par les rejets sur le « Kannick », à savoir une accélération du comblement de l’estuaire entraînant la disparition de ses fonctions vitales, nous demandons à la Commission qu’elle refuse l’utilisation du site du Kannick. Les alternatives proposées dans le dossier présentent certes un coût supérieur, mais il nous semble qu’il est du devoir de ports de stopper la dégradation de l’estuaire.
Les aménagements successifs dans l’estuaire de Seine ont déjà entraîné une diminution de l’ordre de 80% des zones intertidales (soumises au balancement des marées), ainsi qu’un déplacement de 50km vers l’aval du bouchon vaseux (II. 28 et II. 30). Les espèces marines, et par là même la pêche, ont été durement touchées.
Les scientifiques de Seine Aval affirment que « les dragages et le devenir des matériaux dragués constituent une préoccupation majeure dans le contexte de gestion durable de l’estuaire » (III p2). Ils rappellent que « l’estuaire de Seine présente encore des fonctionnalités actives » (III p2). Tout en déplorant « la poursuite de la dégradation des habitats dans les estuaires » (IV p91), ils préconisent « la gestion et la restauration des habitats fluviatiles et marins ; la préservation des nourriceries de l’estuaire de Seine » (III p4). La demande d’autorisation du Port autonome de Rouen va clairement à l’encontre de ces préconisations.
D’un point de vue réglementaire, et en référence aux documents joints et numérotés A-E :
La réserve naturelle de l’estuaire de Seine va être étendue en 2004 sur la fosse de flots nord. L’objectif de cette extension est la « sauvegarde, la restauration et la pérennisation des milieux typiquement estuariens". Continuer à rejeter sur le Kannick signifie aller à l’encontre de ces objectifs comme nous l’avons démontré précédemment. Nous demandons la saisine du Conseil scientifique de la Réserve naturelle qui n’a pas été consulté à ce jour au sujet des dragages dans l’estuaire.
La fosse de flots nord a aussi fait l’objet d’une notification à la Commission européenne au titre des Directive « Oiseaux » et « Habitats » (Natura 2000). Le dossier présenté par le port de Rouen réfute tout impact direct sur un site Natura 2000, le dépôt du Kannick étant situé en dehors du périmètre Natura 2000. Mais il n’est pas fait mention, là encore, de l’impact indirect sur la fosse de flots nord, classée elle en Natura 2000. Nous demandons qu’en application de l’article 6 de la Directive « Habitats », le Port de Rouen constitue un dossier à l’attention de la Commission européenne.
Lors de l’enquête publique de Port 2000, en mai 2000, les commissaires enquêteurs avaient sérieusement mis en doute l’innocuité du dépôt du Kannick et demandait une solution alternative, même si elle est plus coûteuse. Force est de constater que le port de Rouen n’a nullement tenu compte de cet avis. Nous demandons que l’on tienne enfin compte de l’avis émis par les Commissaires enquêteurs.
Le plan de gestion globale de l’estuaire de Seine, initiée en 2001, se décline en cinq grandes orientations pour la reconquête de l’estuaire. En continuant de rejeter sur le site du Kannick, le port de Rouen va en l’encontre des objectifs de ce plan. Nous demandons que le plan de gestion globale se traduise dans les faits en interdisant la poursuite des rejets de dragage dans l’estuaire.
La Directive européenne Cadre sur l’Eau (DCE) définit des objectifs de bon état écologique pour 2015. Le dossier présenté en enquête publique relève de la loi sur l’eau, qui permet une autorisation préfectorale de 5 ans renouvelable automatiquement une fois. Il est évident que la poursuite des rejets sur le Kannick, et ce jusqu’en 2015, ne permettra pas d’atteindre les objectifs fixés par la DCE. Là encore, nous demandons le respect de la réglementation.
En demandant à la Commission d’enquête de poursuivre ses opérations de dragage et de rejets comme il l’a toujours fait, le port autonome de Rouen affiche son mépris envers tous les avis donnés par la communauté scientifique et par les commissions d’enquête précédentes. Il se met aussi en situation délictueuse par rapport aux réglementations pré-citées. Surtout il va continuer à saccager la Seine, son estuaire et sa baie, comme il le fait depuis maintenant 150 ans.
En donnant un avis très défavorable à la demande d’immersion, vous affirmerez qu’il est temps de mettre fin à ses agissements et de permettre enfin la mise en œuvre de solutions alternatives. Quant à la demande d’autorisation des dragages, l’avis de la Commission devrait être assortie d’une exigence d’effectuer des études sérieuses et indépendantes sur les impacts d’un dragage par aspiration. De même le port devra s’engager dans des mesures de réhabilitation de l’estuaire.
En vous remerciant de prendre en compte nos observations, nous vous prions d’agréer, Messieurs, nos cordiales salutations
Robert Mercier
Président de SOS Estuaire
André Hausser Vice-Président
