"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Alors BB, on oublie les bars Greks ?

Publié le 23 septembre à 21:53

En France, le succès grandissant des bars à vins
En plein essor, ces établissements séduisent avec leur cadre décontracté et leurs cartes inventives. Plus libre, plus conviviale et plus écolo, la dégustation y raconte aussi certaines mutations de notre époque.

C’est de plus en plus le cas dans les grands centres-villes où ces commerces ont le vent en poupe, en plus des zones viticoles où ils participent à une offre œnotouristique plus classique. Combien en compte-t-on dans le pays ? Impossible à savoir, faute de recensement officiel. L’étude publiée en juillet par l’agence Businesscoot souligne « une croissance impressionnante entre les années 2010 et 2020 » et avance le chiffre de deux mille sur toute la France (contre cinq cents en 2005), mais les données restent incertaines en raison de la fragmentation du marché, essentiellement composé de petits acteurs indépendants, à l’économie souvent fragile. Interrogée, l’UMIH, l’organisation patronale représentant le secteur de l’hôtellerie-restauration, se contente de renvoyer au nombre de débits de boissons – trente-cinq mille en France –, qui regroupent cafés, bars ou encore discothèques.
La possibilité de grignoter

Il faut dire que la typologie n’est pas si simple à définir : « Qu’est-ce qui distingue un bar à vins d’un bar servant du vin ? », interroge Pierrick Bourgault, journaliste en « bistrologie ». Quelques éléments caractéristiques, au minimum : une large offre de vins, avec un service au verre et la possibilité de grignoter (à la différence d’une cave), et bien souvent un patron passionné. Pour le reste, il y en a pour tous les palais et toutes les ambiances : il y a les bars à vins où l’on reste debout contre un tonneau, les caves à manger avec les couverts dressés, et les « œnothèques », spécialisées dans les bourgognes ou les vins géorgiens ; il y a ceux où l’on sert le vin à la tireuse et ceux qui débouchent des grands crus, ceux où l’on s’enjaille sur du hip-hop et ceux où l’on convie son date, ceux qui rivalisent sur la déco berlinoise et ceux qui combinent une activité de glacier ou de taquería, ceux qui ont la licence IV contre ceux qui ne l’ont pas. En fait, il y en aurait à peu près autant que de propriétaires : « Ça fait classe de se dire bar à vins, mais ça veut un peu tout et rien dire, tant il y a d’identités différentes », résume Etienne Lucan, du Vin au vert (Paris 9e).

Reste tout de même un drôle de paradoxe : alors que les Français boivent toujours moins de vin, et depuis longtemps (-70 % de consommation en soixante ans), pourquoi donc une telle effervescence ? Le phénomène sied parfaitement à l’évolution des comportements, explique Krystel Lepresle, déléguée générale de Vin et société, association chargée de représenter les intérêts de la filière viti-vinicole : « Plus occasionnelle, la consommation de vin se développe hors domicile. Avec le vin au verre, chacun, en quête de sa propre expérience, peut goûter ce qui lui plaît. Cela suit une tendance générale à l’individualisation des modes de consommation. »

Fini la grosse bouteille de pif sur la nappe à carreaux, voilà venue l’heure de la « premiumisation », sous l’effet du fameux « moins mais mieux ». Dans un pays qui reste, malgré tout, le deuxième consommateur mondial de vin et où celui-ci revêt toujours un fort caractère symbolique, les bars à vins resteraient ainsi les garants d’une certaine œnophilie, à l’heure où « les rapports de transmission, longtemps assurée en famille par le père ou le grand-père, ont profondément muté », observe Krystel Lepresle.

L’émergence des vins dits « nature », qui trustent largement l’offre plébiscitée par les cadres urbains, participe aussi de cette nouvelle approche, en renouvelant profondément les discours. « Ça a désacralisé le vin, on n’a plus l’impression d’aller à l’église quand on fait une dégust’, témoigne Cyril Bordarier, l’un des pionniers parisiens avec Le Verre volé, temple des vins nature ouvert en 2000. A l’époque, c’était un sacré coup de pied dans la fourmilière, mais, depuis, les goûts ont considérablement évolué : des choses autrefois considérées comme des défauts ne sont plus perçues comme tels… »

Le secret du succès de ces vins résiderait aussi dans des lendemains sans gueule de bois, assure Oliver Lomeli, à la tête des Chambre noire, et adepte de la ligne radicale du « 0-0 » – « zéro chimie en viticulture comme en vinification, que du raisin fermenté. L’ivresse est plus douce. Je n’ai jamais eu à virer quelqu’un parce qu’il était bourré et agressif ».

La qualité, l’ambiance et un vent d’originalité : les bars à vins seraient-ils devenus les nouvelles brasseries chics du XXIe siècle ? Auteur du remarquable Une histoire populaire des bistrots (Nouveau monde, 2023), Laurent Bihl voit dans ces « lieux hybrides » l’expression de la « nostalgie d’un passé parfois fantasmé, celui des terroirs et des campagnes, qui caractérise cette nouvelle “rurbanité”, en quête d’authenticité devant l’homogénéisation des goûts, mais aussi d’accessibilité devant l’inflation des prix du vin ».

Enième effet de mode, à l’instar des coffee shops, des brasseries artisanales et bientôt des bars à cidres ? Là est toute la question, pointe l’historien, qui prend un autre élément de comparaison. « Le vin, c’est comme le livre : soit on considère la lecture sur tablette comme un chant du cygne, soit on préfère y voir un mouvement de résistance qui réinvente de nouvelles pratiques pour l’empêcher de mourir. Car, sans livre ou sans vin, on perdrait sûrement une part de notre humanité. »

Barnabé Binctin le monde. 19/09/24

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