"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Il faut sauver notre Paradiso (1)

Publié le 22 octobre 2017 à 10:13 - 1ere mise en ligne le 15 octobre 2017

par Lucien Gourong

C’était notre paradis. Et pas un petit, un immense paradis qui de l’île nous ouvrait portes et fenêtres du monde. C’était aussi notre lieu de rendez-vous et de rassemblement, notre refuge, notre antre, notre repaire.
En un mot notre Eldorado. Comme le petit Toto du film de Guiseppe Tornotora (Cinéma Paradiso-1988), nous les enfants de chœur de la paroisse, nous fréquentions le ciné du patronage de l’abbé Baron le jeudi après-midi –en ce temps-là on attendait avec impatience l’arrivée de la semaine des 4 jeudis avec l’espoir de voir quatre fois plus de films- et le dimanche nous nous précipitions vers notre Cinéma des Familles. A condition que la cote de l’office catholique du cinéma affichée sur l’un des piliers à l’entrée nord de l’église Saint-Tudy ait accordé au film programmé, selon une échelle de 1 à 5 (de la notation « A voir sans problème » à celle de « Interdiction absolue » en passant par la « Déconseillé »), son autorisation à la vision par la ribambelle d’enfants que comptait alors l’île.

Quelle calamité lorsque l’on était réquisitionné comme choriste aux vêpres du dimanche après-midi. Le rôle nous privait de notre séance dominicale ! Nous envions ceux de l’école du diable- appelée école de la Trinité mais dans l’île Lucifer a souvent fait bon ménage avec le Saint-Esprit- qui eux se rendaient au cinoche sans l’autorisation de notre Sainte Mère l’Eglise. Car tout le monde se retrouvait en ces temps à notre Cinéma familial, les gamins catholiques, les garnements laïcards, les bandes de jeunes gens du Bourg, de Locmaria, de Quéhello, les familles de Piwisy et celles de Primuture. Même le clergé en soutane et les bonnes sœurs en cornette, quand étaient programmés les péplums évangéliques du genre « Samson et Dalila » (1949) de Cécile B. Demille et autres « Golgotha » (1935) de Duvivier. Toute la communauté des Filles du Saint-Esprit, domiciliée dans ce que l’île nommait le couvent à Kermuntion, qui animait l’école de la Saint-Famille était présente à la projection du « Jeanne d’Arc » (1948, sortie en France en 1949) de Fleming où la bouleversante Ingrid Bergman arrachait des larmes à toute l’assistance. Car à cette époque-là, messieurs-dames, au ciné, on pleurait, on riait, on applaudissait, on hurlait, on sautait sur son fauteuil, on s’éclatait, on manifestait avec ostentation joies, peurs, transes… On le vivait, quoi, ce cinéma-là.

Si au patronage Saint-Tudy de Landost, édifié en 1909, le clerc projectionniste tonsuré nous passait sur un 8 mm datant de Mathusalem les Laurel et Hardy, les Charlot, les Max Linder et autres films burlesques de l’héroïque épopée du muet, au Cinéma des Familles, route de Port-Tudy, dans ces années cinquante, aucune garnement de nos âges n’aurait raté « Davy Crockett, roi des trappeurs » (1955) de Foster, « La Plume Blanche » (1955) de Webb, « Jean Lafitte, dernier des corsaires » (1950) de Landers et les hilarants « Visage pâle » (1948) et « Le fils de visage pâle » 51952) de l’impayable et irrésistible Bob Hope qui, lorsqu’il passa le colt à gauche en 2003 à l’âge de cent ans, fit couler une larme débordant d’empathie rémanente sur ma joue.

Ce cinéma-là nous donnait alors l’envie irrésistible de nous glisser dans la peau des héros pelliculés. Sur les ponts des dundees désarmés dans le vieux bassin et dont nous n’avions pas conscience que, entrés en agonie, leur mort programmée était aussi celle de la fabuleuse aventure de la folle passion de la voile pour le vent, nous étions un jour pirate, le lendemain mousquetaire ou indien, la semaine après gangster ou cow-boy, le mois suivant flic ou soldat. Nous livrions au fort du Gripp, alors abandonné et en piteux état, des batailles héroïques à coups d’arcs et de flèches, d’épées en bois, de pistolets et fusils bricolés de bric et de broc. Nous admirions Johnny Weissmuller, indomptable Tarzan, compagnon enamouré de la belle Jane sur lesquels nous fantasmions en imaginant leurs sauvages et torrides ébats sexuels en pleine jungle vierge, Henry Fonda et ses pistolets dégainés plus vite que ceux de Lucky Luke qui pourtant depuis 1947 tirait plus vite que con ombre, l’athlétique Victor Mature et sa chevelure flamboyante.

A propos, Victor Mature était l’un des acteurs principaux du péplum biblique La Tunique (1953) de Henry Koster, premier film tourné et projeté en cinémascope couleurs. Il y avait à gauche de l’entrée du Cinéma des Familles un imposant panneau qui recevait les grandes affiches des films. Celle de La Tunique avait été en partie déchirée et dans la partie basse ne subsistaient plus que la mention Film en ciné..scope coul…. Les lettres m,a, e,u,r avaient disparu dans les déchirures dont il était impossible de préciser si elles avaient été volontaires ou accidentelles. Alors que nous passions devant la façade du Ciné, notre bon copain Daniel Béven (qui nous a quitté voici un peu plus d’un an) laissa tomber : « Oh ! un film en « scopecoul ». Croyez-le ou pas, on le surnomma scopecoul, pseudonyme que nous avons tous gardé et utilisé quand nous parlions de lui. Lors de son décès, c’est un coup de fil d’un ami commun qui m’annonça : Scopecoul est mort. Mais son souvenir vivra toujours en moi. Comme l’art cinématographique !

(...) à suivre

Commentaires :

  • Lucien Gourronc est un conteur né. Je me régale toujours en le lisant et en l’écoutant. Lorsque j’ouvrirai le cinéma pour les vacances de la Toussaint, je me souviendrai de son histoire, celle d’un jeune homme qui prolongeait le film lors de discussions enflammées. À tous les petits "Toto" qui sont devenus des passionnés de cinéma grâce à celui de l’Île de Groix.

  • à part Lulu, (quand il est à Groix), combien de ses copains de l’époque fréquentent le cinéma ? (programme "Grand Public" de l’été compris).
    AM

  • Ciné des familles.
    Ciné des Boterf, Albert aux commandes, Hélène à la caisse et aux glaces à la vanille. Yann, souvent à la cabine, dès le plus jeune âge. Moi son pote qui n’était pas très utile à la bonne marche du bazar, au balai ! Je pouvais faire l’ouvreuse aussi comme on disait, mais qui se souciait d’être placé là plutôt qu’ailleurs.
    L’important, voir Michelle Mercier dans « Â Angélique, marquise des Anges » se trémousser pour Joffrey de Peyrac ! Quelque soit la place. Sauf pour « Â le Schpountz » !
    Un gentil de village, le spectateur le plus assidu qui avait sa place réservée chaque soir. Aux mêmes séquences du film, quand il devinait les fesses de la blonde Angélique, il hurlait dans le ciné :
     Bien Albert ce gros plan !
    Pensant naïvement que les plans se fabriquaient dans la cabine de projection…

    Des années plus tard, comprenez ma joie, (un peu de fierté aussi quand même) de venir présenter mon premier court- métrage « Â On les aura ! » en avant-première mondiale au Cinéma des familles (avec quelques korrigans sur la façade à cette époque) en complément de programme d’ « Â Un bruit qui court » film déjanté du talentueux Jean-Pierre Sentier…

    Ah, quelle histoire ! Fréquenter ce ciné depuis mes dix ans, être l’invité de sa cabine de projection pour voir comment ça marche, passer derrière l’écran et se faire un autre film à l’envers et déformé, chercher les bobines de films au bateau, coller les affiches dans tout Groix, se bercer du cliquetis du projecteur tout en rêvant un jour faire du cinéma !…
    Et manger des glaces d’Hélène, les meilleures glaces du monde, Miko pouvait se rhabiller !

    Le cinéma des familles, Mon cinéma Paradiso…

  • Merci Lucien. J’ai toujours eu un faible pour "la petite histoire", l’anecdote du quotidien avec ici, en prime, l’humour groisillon. Cette petite histoire, bien souvent, reste dans une tradition orale. C’est dire si son souvenir est fragile. Alors n’hésite pas à nous livrer d’autres morceaux de bravoure par écrit afin que nous puissions te relire.

    La mémoire des petites histoires de Groix est précieuse, alors transmettons, transmettez... à vos enfants, petits-enfants, à tous ceux qui voudront bien vous écouter. C’est important.

    Quant aux prouesses techniques du cinéma, elles ont durablement marqué la population puisqu’une de mes arrières-grandes tantes avait vu, au retour de sa messe du dimanche, la Sainte Famille "en technicolor" dans le vallon de Quehello !............................. Elizabeth Mahé

  • Je peux dire que question anecdotes et humour, toi et mon cousin Lulu faites une sacrée paire ! Je suis très fière de vous publier quand l’occasion s’en présente. C’est une des raisons qui font que je me maintiens fidèle au poste, malgré la fatigue (et tant que je peux payer mon hébergeur...)
    Trugarez :-)
    AM

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