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La Bretagne rompt avec le désert numérique français

lundi 21 octobre 2002

Si l’Ouest dispose d’un accès privilégié aux nouvelles technologies grâce au plan "cybercommunes", de nombreux Français resteront longtemps privés d’Internet rapide et de téléphonie mobile.

PACÉ (Ille-et-vilaine) de notre envoyée spéciale

Jeudi en fin d’après-midi. Les enfants du primaire viennent de sortir de l’école, la bibliothèque municipale de Pacé, juste en face, bruisse de monde. C’est l’heure des emprunts et des retours de livres pour les parents de ce gros bourg d’Ille-et-Vilaine (près de 8 000 habitants), à quelques kilomètres de Rennes. A l’étage, le point "cybercommune", une petite dizaine d’ordinateurs dans un espace vaste et lumineux, est plein lui aussi. Quelques adultes surfent sur Internet, d’autres tapent leur curriculum vitae ou consultent un des cédéroms disponibles. Et, pourtant, "c’est une petite après-midi pour le centre, les enfants sont venus le mercredi", précise Annabelle, l’une des deux animatrices.

Trois ans après sa création, et ses débuts "dans un placard", cet accès à Internet grand public est manifestement entré dans les habitudes. Quelques centaines d’habitants y réservent régulièrement leur tour une semaine à l’avance pour des sessions d’une heure. Ce qui leur coûte 7 euros par an, le prix d’une heure de connexion dans un cybercafé parisien.

Comme près de 800 autres communes bretonnes - sur 1 260 -, Pacé profite du plan cybercommunes mis en place par la région dans ses quatre départements afin de "démocratiser l’accès aux nouvelles technologies". L’objectif est qu’à terme aucun Breton n’habite à plus de 20 kilomètres d’un accès à Internet. Le dispositif, l’un des premiers de cette ampleur dans le monde rural, fête ses quatre ans avec un bilan globalement positif.

Nombre de cybercommunes sont débordées par l’affluence. Pour Françoise Gatel, maire de Châteaugiron, bourg de l’est de Rennes également doté d’une dynamique cybercommune, l’offre d’accès public aux nouvelles technologies "est devenue un vrai service public que nous rendons à nos administrés". "Ces derniers, ajoute-t-elle, n’imagineraient pas qu’on les en prive aujourd’hui. Ce serait comme fermer la bibliothèque."

PLÉBISCITÉES PAR LES JEUNES

Pourtant, pour chaque commune candidate, la région s’engage simplement à rembourser à hauteur de 12 000 euros l’achat de matériel informatique. Elle prend aussi en charge 10 % du salaire de l’animateur - un emploi-jeune -, dont elle assure par ailleurs la formation. En tout, moins de 5 millions d’euros ont à ce jour été dépensés par la région. Six fois moins que les sommes investies par la collectivité dans Mégalis, un réseau à très haut débit reliant une centaine d’établissements publics.

Certains ont d’abord cru que les cybercommunes ne seraient qu’une étape transitoire. Pourtant, le flux des néophytes reste important. Les cybercommunes sont aussi devenues un prolongement naturel de la bibliothèque pour les recherches documentaires et un endroit usuel pour travailler ou s’amuser. Les petits y jouent sur Adibouland.com ou Youpiland. com le mercredi après-midi. Beaucoup de femmes "y découvrent la bureautique et Internet sans leur mari sur le dos", analyse Annabelle, à Pacé. Même équipés, les habitants se déplacent, car "à la maison, ils doivent partager un PC pour trois", assurent les animateurs. Ou ils viennent tout simplement "pour ne pas être tout seuls derrière leur écran".

Les cybercommunes sont si plébiscitées par les jeunes qu’il est souvent interdit d’y jouer en réseau, par peur de voir le centre "squatté" par les adolescents. Le centre cybercommune de Vern-sur-Seiche a même décidé de limiter les forums de discussion en ligne : "La décision a été prise en conseil municipal, des parents s’étant émus du drame d’Holly et Jessica cet été [les deux petites Anglaises auraient "chat" sur l’ordinateur familial avant de disparaître]", raconte Charlotte, l’animatrice.

Cependant, dans sa louable volonté de désenclavage numérique des campagnes, la région a en partie échoué. Les communes les plus rurales, dans le centre de la Bretagne, restent moins bien loties. Regroupées en communautés de communes, elles sont obligées de partager un emploi-jeune qui fait la navette entre les différentes cybercentres, n’y assurant du coup que quelques heures de présence par semaine. Sans compter qu’il s’occupe aussi souvent, dans les mairies, de la maintenance informatique, voire des sites Web... Le dispositif cybercommunes n’a pas non plus su résoudre l’équation de la "fracture numérique", qui exclut encore 80 % du territoire (toutes les zones rurales) de l’ADSL, technologie d’Internet à haut débit (à partir de 128 kbits/s), nécessaire pour surfer sur les sites avec des images animées. Les alentours de Rennes et de Brest en bénéficient déjà. Les monts d’Arée et le centre de la Bretagne, hors de la zone de déploiement rentable pour France Télécom, doivent se contenter au mieux d’une ligne Numéris (64 ou 128 kbits/ s). Ces communes pourraient n’être raccordées que dans plusieurs années. Du fait de la conjoncture dans le secteur des télécommunications, "les raccordements ADSL ont ralenti cette année. En 2003, seules quelques dizaines d’agglomérations seront raccordées chaque trimestre", constate Stéphane Lelux, président du cabinet d’études Tactis, spécialiste du secteur. Seule solution pour Porhoët, Huelgoat et les autres : le satellite. Quelques expériences sont prévues, qui doivent s’appuyer sur le réseau régional Megalis. Mais les antennes d’émission et de réception restent hors de prix pour un petit budget municipal.

Cécile Ducourtieux

(Le Monde interactif)

Demain, quels animateurs ?

Avec la fin des emplois-jeunes décidée par le gouvernement Raffarin - il n’y aura plus aucun recrutement en 2003 -, les cybercommunes de Bretagne ont du souci à se faire. En effet, tous leurs animateurs ont été embauchés sous ce statut, et ne pourront donc pas être remplacés, à moins que les communes trouvent les ressources budgétaires pour créer des postes de fonctionnaires territoriaux. Dans les gros bourgs, où l’animateur a su faire apprécier son dynamisme, la transition devrait pouvoir se faire sans trop de difficultés, mais "les villages devront se regrouper en communautés de communes pour se payer un poste supplémentaire", remarque Françoise Gatel, maire de Châteaugiron, près de Rennes. Les animateurs qui achèvent leur contrat au début 2003 craignent déjà "qu’après eux les PC ne prennent la poussière". L’initiative nationale des Espaces publics numériques (698 en août 2002), pilotée par la Mission interministérielle d’accès public à l’internet (MAPI), est confrontée au même problème.

 copyright Le Monde du 22.10.02