Per Sud Lorient, avis du Comité Scientifique indépendant
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Objectifs du comité scientifique
L’objectif essentiel était de permettre au conseil de communauté de se prononcer de manière circonstanciée, argumentée, sur chacune des questions importantes touchant à l’économie maritime de notre territoire, ainsi qu’à la préservation de l’environnement littoral. Les principes généraux de la mission consistent en l’analyse et l’appréciation par l’ensemble des membres des informations mises à leur disposition. Il revenait au comité d’experts scientifiques de remettre des avis et des préconisations aux élus de Cap l’Orient agglomération, lors de différents points d’étapes qui ont été organisés, dont la dernière en date du 24 avril. Cette réunion était la dernière puisqu’elle avait comme objet la présentation des conclusions à l’ensemble des membres du Bureau.
Les questions posées au comité d’experts scientifique étaient :
* Existe-t-il une relation entre le sable de la future zone d’extraction et le système dunaire de Gâvres-Quiberon ?
* Peut-on mesurer sur le long terme les impacts de la création d’une fosse d’extraction sur la stabilité du trait de côte ?
* Quelles peuvent être les conséquences écologiques sur la faune et flore du site et celles situées à proximité ?
* Qu’en est-il des incidences sur les poissons (zone de nourrisserie pour les juvéniles) et de ce fait sur l’activité économique de la pêche côtière ?
* Au vu des informations disponibles, le comité d’experts scientifique, pourra-t-il porter un regard critique sur l’ensemble des études réalisées ?
Il est important de signaler que les Groupes LAFARGE et ITALCIMENTI ont refusé catègoriquement de mettre à la disposition du Comité scientifique l’ensemble des études réalisées dans le cadre de la demande de PER, alors qu’ils s’étaient engagés à le faire lors de leur audition au Bureau du 13 avril 2007. Le Comité scientifique a de ce fait élaboré son avis sur la base des documents de communication des industriels, disponibles via un site internet spécifique (disparu depuis). Il a ainsi analysé les documents et porté une expertise au regard de leurs connaissances scientifiques propres. L’ensemble des membres du Comité scientifique a réalisé ce travail d’analyse et d’expertise bénévolement.
Avis du Comité scientifique
Sous la Présidence du Professeur Fernand Verger
Avis Général
Le Comité scientifique de Cap l’Orient émet un avis défavorable au projet d’extraction de sable sur le site proposé. Cette prise de position tient du principe de précaution au vu des travaux d’expertise réalisés en matière biologique et sédimentaire.
Expertise biologie marine
Les éléments dont nous disposons montrent une bonne approche dans la reconnaissance des organismes benthiques (organismes vivant sur le fond), réalisées par des personnes compétentes avec des techniques éprouvées. De même, les peuplements halieutiques ont été étudiés avec des techniques pertinentes, même si le plan d’échantillonnage est plus discutable.
* Benthos. Au regard des risques liés aux dépôts de particules fines sur les peuplements benthiques, il nous semble que l’emprise géographique de la zone étudiée est trop faible. Elle devrait être étendue au secteur balayé par une particule d’eau pendant le flot et le jusant.
* Ressources halieutiques. De même, une évaluation raisonnable du risque sur les poissons demande un échantillonnage à plusieurs saisons, notamment pour les œufs et les larves. Même s’il n’apparaît pas particulièrement critique au plan écologique, ce compartiment ressources demande une attention particulière en raison de ses implications sociales..
* Plancton. Le compartiment planctonique ne nous apparaît pas non plus comme un élément critique sur le plan écologique. Il demande juste une surveillance et le suivi de la qualité du phytoplancton.
* Biodiversité. L’influence de l’exploitation sur la diversité biologique se manifestera au niveau de la zone. Les peuplements benthiques n’étant pas particulièrement originaux, les conséquences seront préjudiciables à ce niveau local mais elles ne seront pas dramatiques. Les principaux risques pour la biodiversité sont lié à une généralisation de ce type de démarche. Le projet d’exploitation entre dans une dynamique de substitution des sables terrestres par des granulats marins au niveau régional. Les zones où le sédiment présente les caractéristiques favorables, abritent des peuplement benthiques proches, et le changement d’échelle liée à une multiplication des sites d’exploitation pourra avoir des conséquences écologiques notables qu’il convient de bien évaluer.
Expertise de la géomorphologie et de la dynamique sédimentaire
* Du point de vue de la géomorphologie et de la dynamique hydro-sédimentaire, les éléments de compréhension sont insuffisants ou absents.
* Les études disponibles jusqu’à présent nient systématiquement les risques correspondant aux exploitations envisagées.
* Les travaux concernant la dynamique littorale n’ont aucune valeur. Les conclusions associées ne sont pas recevables et manquent de rigueur scientifique.
* Les arguments successivement avancés pour tenter de démontre que l’on a un prisme littoral actif et un prisme profond figé ne résistent pas à l’examen des faits.
* Les éléments défavorables sont systématiquement écartés et les conclusions toujours orientées dans le même sens.
Il y a dans ces études instrumentées un parti pris évident, qui ne peut que renforcer la suspicion des habitants des communes voisines sur l’impact à long terme de la création d’une exploitation de sables marins devant l’un des rares sites de Bretagne encore préservé de l’urbanisation littorale.
Profondeur limite d’action des vagues sur les fonds
A la lecture des documents des industriels, les grandes houles n’auraient aucune influence sur le fond marin au-dessous de l’isobathe 30 m. Pourtant les sédiments grossiers observés sont caractérisés par la présence de mégarides (empreintes des vagues et de la houle sur les fonds sableux), localement envahies par des sédiments plus fins affectés eux-mêmes par des petites rides. Selon les industriels, ces mégarides seraient des formes figées depuis plus de 6 000 ans. Ceci surprend car les graviers et les galets décrits devraient alors être encroûtés par les organismes marins, ce qui n’est pas le cas. Les modélisations des industriels, notamment en terme d’impact sur le long terme pour le littoral, ne tiennent pas compte des observations réalisées in situ par des études antérieures, qui montrent qu’au delà de 30 m, le remaniement des fonds et des transports sédimentaires est encore possible. Les connaissances y compris de ce secteur marin montrent que les houles de fortes tempêtes ont une influence jusqu’à 50 m.
Relations entre fonds sédimentaires du large et du littoral
Divers courants agissent dans la zone littorale, certains sont responsables des transports sédimentaires d’une importance majeure dans la dynamique des littoraux. Ces courants sont responsables des apports de sédiments vers les côtes, de la construction de différentes accumulation littorales, telles que les dunes, et de leur engraissement. A l’inverse, ils sont également responsables de l’évacuation de sédiments vers le large et peuvent avoir des effets érosifs majeurs sur les littoraux et l’avant-côte, particulièrement pendant les tempêtes accompagnées de surcotes. ils sont capables de transporter des quantités considérables de sédiments. Sur le secteur de Gâvres-Quiberon, en condition de tempête, les sédiments entraînés par ces courants sont certainement canalisés dans des eaux intermédiaires après remise en suspension sur le rivage et les petits fonds puis ils circulent sur les fonds entre les roches de la barrière rocheuse et dans la vallée fossile de la rivière d’Etel. Leur trajet se poursuit donc au-delà de cette barrière qui ne constitue en aucun cas une limite à la migration des sables vers le large. Les sédiments peuvent, lors de conditions de violente tempête, être entraînés jusque sur le plateau continental. C’est très certainement ce qui est suggéré par les résultats de la modélisation par forte tempête de SSW, mais qui est considéré comme négligeable par les industriels. Ainsi, il y a bien une relation entre les secteurs dunaires qui se prolongent sous la mer et la zone du projet d’extraction. Les stocks de sable de cette zone marine et côtière sont interdépendants.
Les évolutions du littoral
Une étude complète de l’évolution du trait de côte de Lorient à Quiberon, commanditée par les industriel, est basée, d’une part sur les photographies aériennes disponibles depuis 1952 et, d’autre par, sur des relevés de terrain. Au total, selon cette étude, le littoral entre Gâvres et Penthièvre aurait gagné, en 50 ans, près d’un million de mètres carrés, ce qui signifie, qu’en moyenne le trait de côte se serait avancé d’une quarantaine de mètres sur la période. On ne peut que s’étonner de tels résultats, la méthodologie utilisée dans cette étude, ne paraît aucunement adaptée à l’évaluation des évolutions du littoral de Gâvres à Penthièvre.
Par ailleurs, on observe un démaigrissement de la plage de Gâvres. Il est confirmé par l’analyse de photographies aériennes de l’IGN et du Service Historique de la Marine de Lorient, de 1932 à 2005, qui met en évidence un abaissement progressif du niveau du sable et l’apparition d’un platier rocheux sur le bas estran et les petits fonds. Le démaigrissement des petits fonds et l’augmentation générale des profondeurs, permet aux houles d’atteindre la côte en conservant une grande partie de leur énergie. Les houles étant moins amorties, leur agressivité est amplifiée sur le haut de plage. Si pour une raison ou une autre, le démaigrissement gagnait vers le haut de l’estran, dans quelques années la plage de Gâvres pourrait évoluer en grève caillouteuse et argileuse. Si cette extraction entraîne de ce fait une fragilité supplémentaire du cordon dunaire de Gâvres-Quiberon, c’est le secteur de la presqu’île de Gâvres qui en subirait les plus importantes conséquences, compte tenu de la topographie sous marine, et des orientations sud des houles de tempête.
Selon un document du Secrétariat Général de la Mer (2006), l’évolution de la politique et des techniques de gestion de l’érosion côtière en France conduira presque certainement à développer les méthodes de gestion douces. Ce développement entraînera des besoins croissants en granulats pour le rechargement des plages. Ce type de gestion dynamique des sédiments littoraux pourrait à l’avenir être envisagé pour réduire la vulnérabilité des secteurs particulièrement fragiles du littoral de Gâvres à Quiberon.
Le principe de précaution voudrait que ces réserves proches de sable soient conservées afin de pallier les érosions, que risque de provoquer l’élévation probable du niveau de la mer.
Conclusion générale
Au vu de l’ensemble de ces réflexions, le Comité scientifique, qui ne s’oppose pas sur le principe d’extraction de granulats en mer, propose que soient étudiées les possibilités d’exploiter des gisements situés plus au large et à une plus grande profondeur.
Membres du Comité Scientifique
Géomorphologie et dynamique du littoral :
* Paul Fattal, Professeur Géographe / Géomorphologue, Institut de Géographie et d’Aménagement Université de Nantes.
* Bernard Hallégouet, Maître de Conférence Géographe, Géologue du littoral, Faculté des lettres et sciences sociales, Université de Bretagne Occidentale Brest.
_ * Alain Henaff, Maître de Conférence, Géographe, Géomorphologue, Institut Universitaire Européen de la Mer, Université de Bretagne Occidentale Brest.
Biologie marine :
* Jacques Clavier, Professeur, Biologiste, écologie littorale, Institut Universitaire Européen de la Mer, Université de Bretagne Occidentale Brest, Responsable / expert de programmes européens et nationaux de recherche en écologie du littoral.
* Jacques Grall, Maître de Conférence Biologie des invertébrés marins, Institut Universitaire Européen de la Mer, Université de Bretagne Occidentale Brest.
* Christophe Destombe, Professeur Biologiste, spécialiste des algues, Station Biologique de Roscof.
* Claude Beaupoil, Ingénieur de Recherche Ichtyologue Muséum National d’histoire Naturelle / Collège de France, Concarneau.
