"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Quatre marins de Groix au bagne d’Alger. (2)

Publié le 11 février 2018 à 10:14

Le Naufrage

Le 15 mai 1830, alors qu’à Toulon les troupes expéditionnaires avaient commencé à embarquer depuis quatre jours déjà, un drame allait se dérouler sur les rivages d’Alger.

Ce jour là, le brick Le Sylène de retour des îles Baléares faisait route à la recherche du navire amiral de l’escadre. Il était porteur d’importantes dépêches pour son commandant (a priori l’annonce de l’imminence de l’expédition). Le temps était détestable bien qu’on fût au printemps. Coups de vent violents, brumes épaisses se succédaient, rendant la navigation pénible. Depuis le matin justement, un brouillard très dense couvrait la mer et tout repérage devenait aléatoire. Et lorsque vers le milieu de la journée un grand coup de vent violent déchira le rideau de brume, l’équipage du brick eut la surprise de se retrouver devant Alger, si proche qu’on pouvait distinguer les moindres détails de la ville et des forts qui la défendaient.

Le lieutenant de vaisseau Bruat qui commandait Le Sylène, fit rapidement le point, profitant de la vue d’un amer bien connu de tous les navigateurs dans la région, le Fort de l’Empereur, puis il s’éloigna filant vers l’est à la recherche du navire amiral.
Plusieurs versions de ce qui se passa ensuite ont été rapportées avec parfois de sensibles différences entre elles en fonction des auteurs du contexte et du recul par rapport à l’évènement. (Voir bibliographie)

J’ai décidé d’utiliser, avec quelques remarques et sous-titres, le compte rendu officiel envoyé par le commandant d’Assigny au Ministre de la Marine et écrit au bagne d’Alger le 23 mai 1830

"Monseigneur,
J’ai l’honneur de rendre compte à V. Exc. De la perte des brigs l’Aventure et le Sylène, événement funeste, dans lequel le sort sembla s’acharner sur nous : naufrage dans la nuit par un temps affreux, sur une terre ennemie, peuplée d’hommes féroces que craignent même les Tucs, qui ne traversent qu’en tremblant leurs sauvages villages.
Depuis mon retour de Tunis, j’étais naviguant de conserve avec la frégate la Bellone. Dans la nuit du 14 au 15 mai, à deux heures du matin, le vent soufflant avec assez de force, le bâtiment fatiguait beaucoup de la grosse mer, je fis réduire la voilure. Pendant cette opération, la Bellone, qui se trouvait à une assez grande distance, disparut tout à coup.
Le jour arrivant, je pensai que la frégate avait viré de bord. La brise avait varié quand on aperçut, sous le vent, un bâtiment sortant de la brume épaisse. C’était un brick anglais de commerce. Un instant après, un autre bâtiment se distingua devant nous : le reconnaissant pour bâtiment de guerre, je fis mettre mon numéro. Ce brick, qui était le Sylène, me signala qu’il venait de Mahon, d’où il était parti le 11 mai et il était porteur de messages pour M. Massieu (commandant en chef sur le Bellone, la flotte du blocus) . La veille, dans la soirée, ayant contourné Alger, il y avait aperçu une frégate anglaise au mouillage. Après avoir signalé que je croyais M. Massieu dans le S.E. , il était midi passé , nous continuâmes à sa recherche, le Sylène nous suivant au vent à peu de distance.
A cinq heures trente minutes, ayant fait 23 milles la brise étant un peu tombée, nous nous rapprochâmes l’un de l’autre. Lui ayant demandé son point, il me dit qu’il avait eu à midi, d’après un bon relèvement de la veille au soir, 37°9’ de latitude et 0°154 de longitude E. J’avais eu également à midi, par un relèvement de la veille, 37°13’ de latitude et 16’ d longitude O. Nous nous communiquâmes ces longitudes au porte-voix, et nous nous crûmes d’accord par les terminaisons E. et O. qui se confondirent. Rassuré par les probabilités que notre position était bonne, je hélai au Sylène que mon intention était de gouverner vers l’Est. J’avais l’intention de joindre la longitude d’Alger, le Bellone se tenant habituellement sous ce méridien."

Nota : Les deux bricks ayant le même objectif, l’Aventure prit la tête, son commandant étant l’officier le plus ancien. Le Sylène marchait dans son sillage imitant consciencieusement ses manœuvres. La mer s’était creusée de plus en plus et le vent montait d’heures en heures. Dans la soirée, le capitaine Bruat éprouva quelques inquiétudes quant à la route suivie.
« Si ça continue ainsi, je vais signaler à d’Assigny que la route est dangereuse » (D’après le récit d’un officier rescapé du naufrage)

Que ne l’eut-il fait alors la perte des deux bâtiments eut été évitée ainsi que la terrible aventure qui les attendait.

"Nous courions depuis deux heures sous nos huniers, le Sylène nous suivant malheureusement à peu de distance. Il était environ huit heures quand nous ressentîmes une légère secousse. Je montai de suite sur le pont. Un grain de brume épais couvrait l’horizon. Je fis mettre aussitôt la barre à tribord, l’orientant au plus près mais il était déjà trop tard.
Nous venions de franchir la bordure d’un banc de sable et une première vague nous nous laissa complètement sur le sable en se retirant. Les vagues suivantes nous portèrent de plus en plus vers le rivage. La mâture menaçant de tomber et de blesser du monde, je fis couper les haubans et les deux mâts tombèrent en même temps.
Nous étions si près du rivage qu’ils faisaient un pont avec celui-ci .Nous n’apercevions pas encore la terre si ce n’est par la blancheur de l’écume qui venait s’y déposer. Je défendis cependant aux hommes de s’y rendre , espérant toujours que le bâtiment se tiendrait dans une position horizontale, sa quille et ses flancs s’appuyant de plus en plus sur le sable. Mais cette espérance fut vaine. Il s’inclina peu à peu présentant son pont à toute la fureur de la mer. Ne pouvant plus tenir dans cette position, je fis établir un va-et-vient et transporter à terre tout mon monde. J’y descendis moi-même et nous nous rendîmes de suite au secours du Sylène qui avait éprouvé presqu’en même temps un sort aussi déplorable que le nôtre. Notre malheur avait été si instantané, que nous n’avions même point eu le temps de signaler à ce bâtiment notre dangereuse position, ce qui l’empêcha de manœuvrer pour se sauver.
Le Sylène avait perdu de vue dans le grain l’Aventure et poursuivait le même cap lorsqu’on prévint le capitaine qu’on apercevait les brisants de très près. M.Bruat étant monté sur le pont, essaya de mettre le bâtiment face au vent. Cette manœuvre ayant été très lente, le bâtiment recula beaucoup et soudain une vague plus puissante l’échoua entièrement. Le capitaine fit couper de suite son grand mât, conservant quelques temps encore celui de misaine pour se rapprocher de terre et ordonna également à son équipage de rester à bord. Le brick ayant penché vers la terre ne fut évacué qu’à la pointe du jour. Avant l’évacuation, un seul homme fut enlevé par la mer. Le plus grand ordre régna pendant cette opération difficile. Les malades furent mis à terre les premiers, l’équipage ensuite.
Enfin M.Bruat vint se réunir à moi afin d’aviser ensemble à ce qu’il y avait à faire de convenable dans cette funeste position. Ayant réuni les officiers des deux bricks, nous leur présentâmes les deux moyens de salut qui s’offraient naturellement à nous. Le premier de nous armer et de nous tenir près des bricks jusqu’à ce que le temps pût permettre aux bâtiments de guerre de venir nous sauver. Le second, de ne faire aucune résistance et d’être conduits par les Bédouins jusqu’à Alger. Nous nous décidâmes pour le dernier avis, nos poudres étant mouillées et le ciel et la mer étant loin de nous faire espérer de pouvoir apercevoir nos bâtiments de tout le jour."

Nota : « Matelots et officiers de l’Aventure s’étaient retrouvés sur le rivage sains et saufs mais plongés dans une obscurité totale au milieu d’une tempête soufflant avec rage. Surpris dans leurs hamacs, la plupart des hommes n’avaient eu que le temps de se jeter à l’eau, dévêtus et déchaussés. Ils s’étaient ralliés sur la plage autour le leurs officiers, grelottant de froid dans leur chemise, démunis d’armes ainsi que de provisions. Les marins du Sylène étaient, eux, un peu mieux lotis. L’échouage du bâtiment leur avait laissé le temps de se vêtir en partie tout au moins. Leur position n’avait néanmoins rien d’enviable..." (Relation faite par l’Aspirant Bonnard élève-officier à bord du Sylène)

Les deux bricks avaient fait naufrage à environ 60 km d’Alger dans un secteur entièrement aux mains des Kabyles.
C’est une des principales tribus des Berbères, premiers habitants de l’Afrique du Nord qui résistèrent à toutes les invasions de l’histoire (Egypte, Carthage, Rome mais aussi Espagnols ou Vandales.)
Les Turcs se contentaient de contrôler un petit territoire autour de leurs ports (Alger, Oran, La Calle…). Le pays restait aux mains des kabyles.

Les équipages des deux navires savaient que leur seule chance de survie était de se constituer prisonniers aux mains des turcs à Alger. En effet, les kabyles massacraient systématiquement les naufragés qui arrivaient sur leurs cotes et « vendaient « aux turcs leurs têtes selon un tarif pré établi. Cela évitait à la Régence de devoir contrôler tout un rivage difficile d’accès et propice à une attaque ennemie.

Village kabyle. (La civilisation des arabes 1883)

A suivre « Aux mains des kabyles »

Merci à J.C. Le Corre et y. Raude

Pour lire le premier épisode :
- http://ile-de-groix.info/blog/spip....

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