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Démocratie Directe, Danger ?

mercredi 26 décembre 2007, par Admin

De Alex de Roquefeuil

Avec ma progéniture qui s’emballe pour le projet de démocratie directe à
Groix, me voilà bien obligé d’y prêter quelque attention, ne serait ce
que pour savoir si la jeunesse locale à découvert le système social
d’avenir dont rêvent tous les insatisfaits de la vie.

Le programme est développé dans un imprimé qui proclame que "les élus, c’est vous".

Il s’adresse à ceux qui "désirent décider de la politique de l’île de
Groix".

Jusque là, tout va pour le mieux, "ceux qui désirent" vont donc
pouvoir décider ; Combien sont ils, et qui sont ils ? On peut s’imaginer
que devant la crainte de voir ses opinions écrasées par d’autres, il va
falloir s’en occuper. Un aspect incitatif plutôt positif pour la
démocratie directe, si l’on considère que l’investissement citoyen est
un acte positif. Les questions de société seront débattues dans le
respect des minorités, celles-ci ayant droit de parole dans les débats.
La question du "combien" et "qui" pose néanmoins une interrogation ;
comment les "décideurs" minoritaires se protègeront ils des tentatives
d’OPA lancées par les majoritaires ?. Avec l’adoption du vote à
l’unanimité comme mode de décision, une voix minoritaire aura le pouvoir
de bloquer toute l’institution. Sans ce vote à l’unanimité, les
minorités n’auront pas plus de pouvoir que dans la démocratie que nous
connaissons actuellement.

Poursuivant ma lecture, je découvre deux citations. La première de St
Just, bourreau et victime du régime de la terreur (pendant la révolution
française pour ceux qui ne le sauraient pas), affirme que "l’art de
gouverner n’a produit que des monstres" . Cherchant le rapport de la
citation avec la "démocratie directe", j’en déduis que "/ceux qui
désirent décider/" considèrent que l’art de gouverner est une menace
pour leur système. Leur objectif serait il de "ne pas gouverner",
auquel cas ils s’exposent à laisser la politique de Groix aux mains de
ceux qui veulent gouverner ? Il eût été d’autre part honnête de situer
la citation de St Just dans l’horreur de son époque, afin qu’on
comprenne que, inspirée par les événements du moment, elle n’a pas sa
place dans notre époque.

La seconde citation affirme qu’il y a danger à laisser la politique et
l’économie à des spécialistes, "politiciens et professeurs de collège".
Datée de 1883, elle prouve qu’il y a longtemps qu’on se pose des
questions sur les possibilités d’amélioration du système démocratique.
La réalité nous prouve que ce système imparfait fonctionne, alors
qu’aucune tentative de démocratie directe n’a existé aussi longtemps et
sur une si vaste échelle. Les échecs des nombreuses tentatives de
communautés plus ou moins démocratique et la dérive de plusieurs d’entre elles vers des systèmes sectaires devraient inciter les candidats à la Démocratie Directe à la plus grande prudence. La citation me laisse donc une vague impression d’inutilité, d’autant plus que sa conclusion, qui nous explique que "seuls les individus doivent agir", semble ignorer le fait que les "politiciens et professeurs de collège" sont aussi des
individus.

Avançant dans le texte, nous voilà dans le vif du sujet ; la Démocratie
Directe va nous permettre d’améliorer la gestion de l’île. Nous allons
tous ensemble nous prendre en main et améliorer la vie de tous les
jours. Est ce obligatoire, y serons nous forcés par une règle
communautaire imposée ? Que vont faire les gens qui ne veulent pas
améliorer ce qu’ils considèrent comme satisfaisant, que vont faire ceux
qui ne veulent pas se prendre en main, et ceux qui sont systématiquement opposés à toute idée ne venant pas d’eux. Dans mon village, j’ai des voisins pendant les vacances, qui me sont particulièrement antipathiques, alors que nous avons des comportements semblables. Notre antipathie commune n’a pas de raison d’être mais elle perdure, aucun de nous n’ayant envie ou besoin de faire un effort pour que la situation soit différente. J’ai aussi d’autres voisins qui pratiquent des activités que je réprouve, mais qui sont de bons amis à l’occasion.
Avons nous envie de discuter ensemble pour améliorer un système qui,
somme toute, s’autorégule par les efforts tacites de chacun pour se
rendre supportable aux autres ?

Je lis ensuite que la Démocratie directe est expérimentée en France
depuis 1971. Voilà une information qui mérite qu’on s’y attarde. A
regarder de plus prés, voilà qui pourrait nous aider à penser sur le sujet.

Plus bas on m’explique que la Démocratie Directe, c’est "se parler",
pour se comprendre et mettre à plat les avis contradictoires, et aussi
s’écouter pour chercher un terrain d’entente, afin de ne plus subir "LA
PAROLE DU POUVOIR, mais se donner le pouvoir de la parole".

Là, je dis HALTE ! Les promoteurs de la Démocratie Directe à Groix
utiliseraient donc un verbiage digne des plus roublard des politiciens ?
Une langue de bois teintée d’iode marine inspirée par les embruns du
large du café de la plage ? De qui se moque t’on ?

Je continue ma lecture, passant sur le "gouvernement du peuple", qui a
des relents de dictature du peuple, sur "la Liberté qui est la
contrainte librement acceptée", niveau philo à l’école primaire, et sur
la "participation "qui n’est pas la "décision". Je bute sur la
problématique d’Hitler. L’auteur du texte ne glisse t’il pas ici vers la
plus pure malhonnêteté intellectuelle ?

Que Hitler ait été élu démocratiquement, c’est effectivement une preuve
de la fragilité du système démocratique confronté à des individus
décidés à prendre le pouvoir. Quelle garantie avons nous que la
démocratie directe nous protège de ce genre de menaces ? Au contraire, un système basé sur la discussion et la règle de l’unanimité forme un
terrain idéal pour les hâbleurs, les grandes gueules, les causeurs. A
moyen terme, le meilleur d’entre eux convainc les autres, et nous nous
retrouvons avec un système démocratique fondé sur la dialectique. Faut
il vraiment relire les philosophes Grecs pour se rappeler la puissance
d’un discours bien construit ?

L’élection démocratique d’un tyran n’est pas la preuve qu’il faut
changer de système, mais elle alerte clairement les démocraties
"représentatives" qu’une minorité peut tout à fait manipuler l’opinion
pour obtenir un vote majoritaire. Le rempart contre ce genre de risque
n’est pas dans un type de démocratie, mais dans la nécessité d’un effort
quotidien de remise en cause des informations mises à notre disposition
dans les médias.

Nous arrivons à la fin du texte, qui nous invite à établir une "charte
de fonctionnement d’un conseil ouvert", l’organe de décision pivot de la
Démocratie Participative à Groix. Je n’y participerai pas, parce que je
crois que la proposition d’un tel système est dangereuse.

Dangereuse parce qu’elle fait croire à une minorité incapable de
rassembler un panel de population représentatif qu’elle détient une
sorte de vérité.

Dangereuse parce que réductrice. En utilisant des arguments populistes
(référence à Hitler), des assertions décalées (référence révolution
française et industrielle), des formules pompeuses ou simplettes ("/se
parler c’est si simple que ça en devient suspect/"), la référence à LIP,
formidable élan coopératif qui a fait des émules toutefois marginales,
les promoteurs de la Démocratie Directe à Groix affichent surtout leur
inculture et un certain mauvais goût pour l’info médiatique. La
Démocratie Directe, et la démocratie tout court, méritent un débat
autrement plus sophistiqué. Hélas, ce débat risquerait fort d’être
phagocyté par les "spécialistes" décriés dans le texte.

Dangereuse parce que le fond du discours est basé sur une méfiance
instinctive du pouvoir. Si l’on peut comprendre cette méfiance, il faut
s’interroger sur ses causes. Le pouvoir serait il donc mauvais ou
nuisible ? Le "pouvoir au peuple" est-il meilleur ou pire que le "pouvoir
de l’argent", que celui d’une quelconque religion, ou de tel ou tel
tyran. Cela dépend du point de vue de l’observateur. Nous retrouverons
ces "observateurs", autrement dit ces "individus" dans le fonctionnement
de la Démocratie Directe. Ainsi, la quête du pouvoir ne sera pas
éliminée par la Démocratie Directe.

Mieux vaut savoir définir ce qu’est le pouvoir et à qui le confier pour
des raisons pragmatiques d’organisation sociétale, que d’en refuser le
principe au risque de le voir accaparé par le plus avide d’entre nous
(il existe, ce citoyen là, ils sont mêmes nombreux parmi nous)

Dangereuse parce que croire que l’opinion de son voisin pèse autant que la votre, c’est croire en une générosité naturelle de l’être humain dont chaque journée que nous vivons prouve qu’elle n’est pas une vérité
acquise. L’opinion est un outil du pouvoir en place, le résultat du
"politiquement correct " encadré par les médias. L’opinion, c’est le
"bon sens", pour où contre les courants dominants, mais formatés par
eux. Rien à voir avec une Liberté définie comme "une contrainte
librement acceptée".

Allez, soyons sérieux, la Démocratie Directe à Groix n’a rien de
dangereux, ce serait tomber dans ses excès de langage de le dire. Vu par un humain de base qui bosse avec ses mains pour gagner sa vie, et avec sa tête pour tenter de ne pas la perdre, la Démocratie Directe à Groix c’est surtout un truc de rêveurs qui préfèrent se référer à leurs
intuitions plutôt qu’à leur raison. A ce stade, je ne les soupçonne même
pas d’hypocrisie, mais je les imagine un peu naïfs quand même.

La démocratie demande du travail, est c’est le plus grand mérite de ce
projet de Démocratie Directe que de pousser des individus à remettre en
cause le système dans lequel nous vivons.

Puisse t’il amener ses participants à une vision élargie des causes de
dysfonctionnement de la Démocratie. Cela ne se fera qu’a deux
conditions ; la première, c’est que des individus qui ne croient pas à la
Démocratie Directe en tant que système politique global acceptent
d’apporter leur contribution à ce débat. La seconde, c’est que les
promoteurs de la Démocratie Directe à Groix acceptent la contradiction
et adaptent leur projet à des dimensions viables et locales.

Si cela aboutissait à la naissance d’une composante politique locale, la
démocratie y marquerait un point, le pouvoir local l’occasion d’affûter
ses capacités de patience.

Commentaires

  • Oui, belle analyse "politique" du phénomène ...

    Ceci dit, il faut revenir à l’origine de ce phénomène ... c’est à dire l’envie d’un leader de bouleverser, et quoi ?

    Ceci tient plus dans une explication freudienne du désir de tuer le père ( les anciens) que dans une quelconque volonté de faire !

    Je n’ai retenu qu’une phrase qui m’avait marqué il y a déjà quelques temps, en gros c’était
    " quand il n’y aura plus de vieux, enfin on sera libre "

  • Dur Alex ; said l’ex....

    Belle analyse, limpide comme une montée au vent par un bel un après-midi de Clayenne !!!

    Que les " directs démocrates" en prennent de la diatribe et du discours sans ombrage.

    Tous aux urnes !!!

    Le loup voyeur a risées.

    • ""désir de tuer le père""

      .On ne serait pas plutôt dans le schéma de l"Idéalisation" propre aux jeunes adolescents ?

      .On se frotte aux institutions existantes faute de s’être frottés à temps à une autre autorité ?

      .C’est pas trop grave grave, vers 18 ans, y en aura bien de fait !!

      Philippe Nantes

    • Ce qui est sûr, c’est que si parmiles jeunes, les plus responsables avaient été écoutés par les élus, certains d’entre eux ne seraient pas tentés par des discours qui font penser à des ronds de fumée sioux.

      s’il sortait au moins une proposition concrète de leurs coupage de cheveux en quatre, on n’aurait pas perdu notre temps à chercher l’aiguille de la botte de paille.

      Gh

    • ""des ronds de fumée sioux.
      l’aiguille de la botte de paille.""
      des Sioux au Chiapas ? aussi improbable que trouver une aiguille dans une meule de foin...

  • Interressant Alex, mais je ne partage pas ta vision désespérante de la "démocratie" actuelle présentée comme indépassable ... Alors comme chante l’autre il faudrait se résigner à ne pouvoir choisir qu’entre la jungle ou le zoo... ? On pourrait juste tenter d’améliorer la démocratie au sein d’un système basé de toutes façons sur l’exploitation et l’absence de réelle démocratie ?

    Et bien je trouve cette idée encore bien plus dangereuse parce que bien plus courante dans nos esprits. Elle est le reflet de la pensée dominante qui veut nous convaincre que l’une des formes de nos sociétés capitalistes, à savoir la pseudo "démocratie" telle qu’elle existe (en vérité ni plus ni moins une dictature du Capital dans un pays "développé"), serait le système le "moins mauvais". Mais le moins mauvais pour qui ? Pour tous les autres peuples qui en crèvent de notre développement consumériste (on leur a demandé leur avis démocratiquement pour piller leurs richesses ? pour les coloniser ? pour installer des juntes militaires en cheville avec Total and co ?), Pour les prolos dont l’espérance de vie ne sera certainement pas celle de Sarkozy et de son ami Bolloré ? Pour tous les précaires, les mis(es) de côtés, les non-rentables, les étrangers pris dans des rafles, pour tous ceux qui n’ont pas les moyens de s’empifrer au Fouquet’s avec une poupée Barbie ?

    Tu écris : "La réalité nous prouve que ce système imparfait fonctionne", ben oui il fonctionne mais pour qui fonctionne t’-il ? Les plus riches ne se sont jamais autant enrichi sur le dos des travailleurs que depuis ces dernières années, et logiquement dans le même temps, il y a une précarisation et un appauvrissement général de la population. Les médias sont tenus, et quand on veut avoir les coudées franches pour restreindre encore plus la liberté des plus pauvres (et les faire travailler plus pour pas un rond) on prend soin ne pas mettre en place l’outil pas encore "maîtrisable" à 100% qu’est un référendum...

    Alors c’est quoi cette démocratie qui serait la "moins mauvaise" puisque ce n’est pas une démocratie !?? Oui je trouve ça dangereux de trouver que cette démocratie "fonctionne" quand elle ne peut fonctionner que sur le sang et la sueur des peuples.

    Il est urgent d’avoir de l’imagination.

    Fañch