"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Sébastien Barrier dans Télérama

Publié le 21 janvier 2015 à 15:59
Seb, ce clown qui pousse loin le bouchon

Chez lui, le vin facilite la digression. Avec humour et une franchise désarmante, Sébastien Barrier célèbre la “Dive Bouteille”, jusqu’à plus soif.

« Mais tu vas la fermer ta grande gueule ? » Il est minuit passé quand retentit cette rude invitation au silence. Il en faut pourtant plus pour faire taire Sébastien Barrier, lui qui soliloque depuis plus de quatre heures sur la scène du Monfort, sans montrer la moindre baisse de régime. En vrai, rien ne pouvait lui faire plus plaisir que d’être ainsi pris à parti. Car cette voix tonitruante en provenance du fond de la salle n’est pas celle d’un malotru. Elle appartient à son ami Thierry Puzelat, l’un des sept vignerons ligériens autour desquels Barrier a bâti son « spectacle ». Les guillemets sont de rigueur tant ce truc ne ressemble à rien de connu. Ni cours de dégustation, ni conférence sur les vins de Loire, ce work in progress, créé en mai 2013 à Calais, s’apparente plutôt à une causerie pour un seul acteur sous influence, à du théâtre ultrasubjectif, à un prêche musical lubrifié au vin de messe (digeste). A un combat éthylique. L’intéressé préfère modestement le terme de « prise de parole ». Electrique, la prise.
Une première murge sans soufre

Tout a commencé par une bonne grosse cuite. Comme souvent. Une biture carabinée en clôture de Vini Circus, le salon des vins nature du côté de Rennes, où Sébastien Barrier était invité à faire le clown, sa principale occupation, pour distraire public et vignerons entre deux levées de coude. L’homme, d’un naturel loquace et doté d’un joli gosier en pente, sympathise instantanément avec les producteurs. Et il se prend sa première murge sans soufre. Au réveil, point de gueule de bois mais une inhabituelle patate. Une épiphanie pour ce Lorientais rompu aux mauvaises migraines matinales. L’idée de tirer un spectacle de cette révélation prophylactique germe alors dans son esprit. Avec l’intention de faire partager au plus grand nombre son enthousiasme pour ces hommes et ces femmes qui ont choisi de faire du vin vivant, du vin sain, du vin dépourvu de produits chimiques, ce qu’on appelle aujourd’hui du vin « nature » et qui représente à peine 5 % de la production viticole française.

Bien que conscient de ces enjeux écologiques, Sébastien Barrier ne s’est pas transformé en « croisé du bio ». Il privilégie une approche humaine, généreuse, et, par-dessus tout, hédoniste. D’où le (beau) titre du spectacle : Savoir enfin qui nous buvons. Tout part de son amitié fulgurante pour ces plus ou moins jeunes paysans du Val-de-Loire dont il entreprend de raconter la vie. Et, par ricochet, la sienne, à un public qui prend place directement sur scène, attablé comme au bistrot avec à boire et à manger. Reste la question de la durée. « Aucun théâtre n’ose l’annoncer, fanfaronne l’intarissable conteur. Ils ont peur que personne ne vienne. Ils n’ont peut-être pas tellement tort. » De fait, vous ne trouverez aucune indication de durée dans les programmes des salles. Sur un site, il est écrit prudemment « 3h30 environ », pour ne pas effrayer le chaland. Fin octobre, au Monfort, notre représentation s’est achevée à plus de deux heures du matin, après six bonnes heures de monologue. La durée moyenne d’un spectacle que son auteur aime présenter comme « possiblement sans fin ». Mais jamais l’idée de partir avant les saluts ne nous a traversé l’esprit. Ce soir-là, une grosse moitié des spectateurs avaient tenu le coup jusqu’au bout, galvanisés par la logorrhée du taulier et légèrement enivrés par les sept délicieux vins dégustés (4 centilitres à chaque fois, pas de quoi rouler sous les tables).
La tournée des grands ducs

Pour garder ses « alcoolos » avec lui, Barrier le bègue (soigné) dispose de deux sérieux atouts : son humour teinté d’absurde, et son indéfectible franchise. Dans son introduction (qui dure quand même deux bonnes heures), ce disciple de Topor s’amuse de l’anormale longueur de son one-man-show éthylique : « Il n’est pas impossible non plus que je parte avant vous. » D’emblée, il confie son addiction à l’alcool, mais aussi au cannabis : « Ces muqueuses asséchées alors que je n’ai pas fumé de joint depuis quarante-huit heures, c’est le signe de l’émotion. » Il vante les mérites d’un alcoolisme « qui aide, libère, porte et soulage ». Tellement rare en ces temps d’hygiénisme d’Etat. « Je ne suis pas ministre de la Santé », se sent-il obligé de préciser pour calmer les ligues de vertu.

En tournée depuis près de deux ans dans des villages aux noms fleuris (Saint-Génis-Laval, Liffré, Saint-Avé...), pour rarement plus d’une trentaine de cobayes à chaque fois, ce quadra mince et hâbleur, « célibataire polygamique à visage découvert », est passé maître dans l’art du pas de côté. « J’adore la digression quand elle donne le vertige. » Son but n’est absolument pas de nous enseigner les bases de l’oenologie (qu’il maîtrise par ailleurs), mais bien de nous perdre dans les dédales de sa pensée en rhizome. Pour cela, il n’hésite pas à dégainer sa Fender et à slammer le stupéfiant Journal d’un morphinomane, créer des ponts avec les rites funéraires des Papous de Nouvelle-Guinée via l’ethnologue Stéphane Breton ou encore citer un poème de Georges Perros. Une seule chose est certaine : chaque représentation est unique puisque la précédente nourrit la suivante. Il n’existe aucun texte du « spectacle » mais un magnifique plan plié et usé que son auteur exhibe avant de le jeter par terre et sur lequel sont griffonnées, pétale par pétale, les centaines de digressions possibles. En essayant de le déchiffrer lors d’une pause, on n’a pas réussi à déterminer s’il était l’oeuvre d’un génie narcissique ou d’un généreux mégalomane, mais on avait la certitude que ce spectacle était un fleuve et qu’on avait pris du plaisir à s’y noyer.

J. Couston Télérama15/01/15.

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