"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Cinéf’îles présente :

Publié le 6 mai 2012 à 16:17
"Terra ferma"
de Emanuele Crialese - (2012)
Vendredi 11 à 21h :

Terraferma s’inspire de cette terrible tragédie très moderne, cette gigantesque et périlleuse fuite loin de la misère.
Emanuele Crialese évoque à la fois l’immigration illégale, la crise économique et le tourisme lucratif mais envahissant une petite île sicilienne.

Portfolio :

Commentaires :

  • Le monde coupé en deux.

    À 42 kilomètres au Nord-Est de Lampedusa -l’Île de Respiro (2002), le film qui a rendu célèbre en France le cinéma d’Emanuele Crialese- s’étend, si l’on peut dire, une Île rouge et volcanique, de quelques kilomètres carrés et de quatre cent vingt habitants, avec onze kilomètres de côtes et de longues plages de sable noir : Linosa. Dans le film Terraferma, auquel elle sert de décor, elle n’apparaÎt toute entière que dans un plan aérien, alors que la jeune mère aux traits altiers, accueillie sur ses côtes par un vieux pêcheur, s’efforce de consoler son fils. Ce dernier refuse sa petite sÅ“ur de quelques jours à peine, parce qu’elle n’est pas le fruit de l’amour. De cette Île minuscule et survolée comme en rêve, nous voici alors portés, en imagination, vers les terres que tous deux ont fui après un long voyage, loin, très loin vers le sud, dans une Corne de l’Afrique autrefois italienne, où règnent toujours, étrange reflet des choses, la même beauté austère et un pareil dénuement. Sauf que là -bas, loin des confins du monde occidental, la vie est devenue cauchemar.

    Emanuele Crialese est un conteur. Pour dire l’histoire de ce qui n’est plus la grande émigration de son précédent film, Golden Door (2007), où l’Italie partait à la conquête d’une vie meilleure, mais un exode biblique à travers le désert de Libye -une ancienne colonie italienne elle aussi- il n’a pas choisi le documentaire. Il ne s’est pas posé, loin s’en faut, en héritier du néoréalisme. On ne saura rien ou presque du voyage de Sara, de ces camps qu’en 2009, Khadafi a installé sur la côte pour contenir les migrants -curieux écho par ailleurs des camps que les fascistes avaient ouverts, eux, il y a près d’un siècle, pour y parquer les Libyens. Rien non plus, ou si peu, de ces bateaux qui portent chaque été leurs cargaisons de vies humaines, ignorées des navires militaires censés veiller à la démocratisation rapide du sud méditerranéen. Ce qu’on découvre en revanche, et que les journaux ne nous montrent pas, et que la presse a boudé pour une part importante de l’autre côté des Alpes, c’est l’universalité de la tragédie -ou de l’épopée, selon que l’on y réussit ou pas- vécue par des milliers d’hommes et de femmes en quête d’un monde sans dictature, sans guerre, sans famine et sans épidémie. Sara incarne cette figure de l’ailleurs, forcément noble pour tout imaginaire encore pur, naïf pourrait-on dire : à la Renaissance on le sait, les Aztèques accueillirent les Espagnols comme des Dieux et les tsiganes furent reçus dans les cours d’Occident en émissaires royaux d’une Inde présumée fabuleuse. Les autres personnages nous viennent d’un monde d’images gréco-latines -qui en Italie sont toujours familières. Le jeune homme redonne ici son personnage de satyre ou de faune, quand le grand-père pourrait bien être un double de Neptune et la mère l’incarnation même de la femme, un prolongement d’Anna Magnani -ou de Valeria Golino, l’inoubliable Méduse de Respiro : le cinéma, on le sait, invente ses propres mythes.

    Pour ce faire, il faut, dans un monde d’images, s’en saisir pour les pousser jusqu’à l’archétype, autrement dit jusqu’à ce sens dont elle sont le plus souvent médiatiquement vidées. Sur ce point le travail d’Emanuele Crialese n’est pas sans rappeler les visions d’un Stanley Kubrick. Comme ce dernier, il peut donner l’impression d’un langage immédiatement perceptible, jusqu’à la transparence, et il faut du temps pour ressentir à quel point son Å“uvre creuse en nous et se fixe, ne nous quitte plus. C’est le sceau d’un grand réalisateur. Ici, par exemple, quelques cadres -l’arrivée des touristes depuis la « bouche » d’un ferry-boat- le rôle donné à la jeune Martina Codecasa, quelques données du scénario, sont directement inspirés de Sul Mare (2010) de Massimo d’Alatri. Pour autant, Emanuele Crialese donne à chacune de ses suggestions une valeur nouvelle, une force qui jusque là semblait n’exister qu’à l’état de potentiel.

    Le générique de fin fait entendre -les musiques de ses films sont toujours très soignées- une magistrale reprise de Noir désir par Sophie Hunger. Ces vers en particulier : “Ce qui peut frapper à ta porte. Infinités de destins / on en prend un / qu’est-ce qu’on en retient un dis / le vent l’emportera.†Le geste fatal qui, en 2003, a signé celui de Bertrand Cantat pour toujours, semblait un camouflet cynique à un trop de lucidité tout entier livré dans ces mots. Il est difficile aujourd’hui d’y repenser sans malaise. Avec ce film, Emanuele Crialese leur a, parmi tant d’autres choses, redonné leur émotion première. Dans ce monde qui est deux mondes, l’un qui peut se déplacer et l’autre qui n’en a pas le droit, il a rendu leur statut de héros à ceux qui, de part et d’autre, transgressent la loi des hommes, comme Ulysse était chanté naguère d’avoir osé défier les Dieux.

    Avant même que le monde ne se sépare en deux, les nomades ont presque toujours perdu. C’est un paradoxe de l’Histoire, car de Rome aux États-Unis d’Amérique, nombre de pays ou d’Empires vivent leurs origines au travers des voyages. Et c’est d’eux seuls que nous tenons nos rêves.

    O. Favier mediapart 13/03/12

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