"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

Histoire de l’araignée de mer (suite et fin)

Publié le 19 juillet 2018 à 14:33

Guillaume Rondelet (1507-1566)

A la même époque, un autre zoologiste Français, Guillaume Rondelet publia lui aussi une histoire complète des poissons.
Ce professeur, puis recteur de la Faculté de médecine de Montpellier, s’appuya comme Belon sur les textes du grec Aristote et du latin Pline.
Dans sa description de l’araignée (qu’il nomme Cacre ou cancre) on découvre entre autre une explication du phénomène étrange de la croissance de ce crustacé... ses mues :

"…or sa sagesse est qu’au printemps se dépouillant de sa coque comme un serpent, sa peau se sentant affaiblie et désarmée il se tien caché dans des failles jusqu’à qu’il ait recouvré une coque dure"

L’explication qu’il en donne est surprenante :
"… aussi quand le temps est venu de faire sa coque il court ça et là comme enragé cherchant force vivres pour en se remplissant le corps plus que de coutume faire éclater sa coque"

Son imagination (ou sa croyance absolue dans les textes anciens) va encore plus loin quand il écrit :
"Ce cancre a été loué des Anciens comme aimant la musique et y prendre plaisir. Sa sagesse aussi est louée pour cette raison il était pendu au col de la Diane Ephésienne en signe de sagesse et de conseil"
En fait, la statue de la Diane Éphésienne porte bien un crabe sur son collier mais ce collier représente tous les signes du Zodiac dont celui du Cancer symbolisé par… un crabe.

Mais avant de raconter l’araignée d’aujourd’hui il faut préciser que ces auteurs du XVIème siècle n’avaient comme sources et localisation des recherches que les poissons et animaux marins de Méditerranée, et notre araignée atlantique bretonne est sensiblement différente et ne fut baptisée qu’en 1922 Maja brachydactyla, au lieu de la Maja squinado de Grèce ou d’Adriatique.

Histoire moderne illustrée de l’araignée de mer

Même si on vit depuis longtemps (ou toujours) en bord de mer, si nous mangeons des araignées dés le printemps tous les ans, nous avons tous notre idée sur cet animal étrange que ce soit sur son mode de vie, sa reproduction, sa longévité ses migrations etc...
Les informations que nous possédons de nos jours sont loin d’être définitives et de nombreuses interrogations continuent à agiter le milieu scientifique à son sujet.

Contentons-nous donc d’essayer de répondre aux questions que m’a posé mon petit-fils de 14 ans à la curiosité très affûtée.

Où vit-elle ?
Elle ne vit pas toute l’année sur nos côtes. Elle arrive au printemps (avril mai) essentiellement pour muer et se reproduire. A l’automne elle repart vers le large.
On la rencontre sur des fonds rocheux et sableux entre la surface et 50 m de fond (Elle a été observée jusqu’à 150m).

Que mange-t-elle ?
L’araignée est omnivore, c’est à dire que comme nous elle mange un peu de tout : algues et oursins, étoiles de mer et différents petits mollusque, et (surtout) les poissons morts, la fameuse boette des casiers.
On peut aussi se demander quels sont leurs prédateurs : essentiellement les poulpes et les homards, ainsi que certains poisons carnassiers (congres) pour les jeunes en période de mue donc sans défense pendant quelques semaines.

Comment grandissent-t-elles ?

Comme tous les crustacés l’araignée croit par mues successives. C’est à dire qu’elle change entièrement de carapace pattes comprises, mais contrairement aux homards ses mues ne vont avoir lieu qu’au début de sa vie.

Araignée pendant sa mue laissant derrière elle son ancienne carapace

L’araignée est dite "juvénile" pendant ses deux premières années.
C’est pendant ce temps qu’elle va changer de carapace 12 à 13 fois jusqu’à obtenir sa taille adulte définitive.
A chaque mue la taille s’accroit de 5 à 25 % voir 40%. La taille definitive n’est donc pas liée à sa longévité qui ne dépasse pas 5 à 8 ans.
Pendant ces deux années elle va se retrouver sans défense le temps qu’une nouvelle coquille se forme. Pour se protéger elle se fabrique un camouflage en prenant des petits organismes (morceaux d’algues, petites anémones…) et en les accrochant sur des soies qui parsèment sa carapace et ses pattes.
C’est pourquoi elle est parfois difficile à voir sous l’eau.
On la nomme souvent à ce stade "moussette" qui n’est donc pas une espèce d’araignée mais seulement une araignée de moins de 2 ans.
A partir de cet âge leur taille ne changera plus pendant toute leur vie adulte qui dure de 5 à 8 ans. Il n’y a plus de camouflage même si quelques animaux viennent se fixer sur leur coquille (balanes …).

Les femelles, mesurant entre 85 et 200 mm et pesant de 200g à 1500gr, sont plus petites que les mâles qui peuvent atteindre jusqu’à 3000g.

Comment reconnaître un mâle d’une femelle ?

Comment se reproduit-t- elle ?
Ce sont les femelles qui portent sur leur ventre selon leur taille 50 000 à 500 000 œufs qu’elles vont garder dans leur abdomen pendant environ trois mois avant l’éclosion qui a lieu de fin juin à octobre. Les œufs devenus des larves se nourrissent de plancton et seuls quelques uns vont commencer leurs mues successives avant de devenir adulte mâle ou femelle à leur tour. On peut reconnaître ces larves prêtes à être expulsée à la couleur plus sombre des œufs qui deviennent marrons et sur lesquels apparaît un petit point noir représentant sa tête.
Les œufs fécondés vont devenir des larves reconnaissable à leur couleur et au point noir de leur tête.

Comment les cuit-on et comment les mange-t-on, sont des questions qui dépassent largement le cadre de cette petite histoire et chaque famille ou presque a ses "secrets" en ces domaines.
Ce qui est certain c’est qu’il y a un âge limite en dessous duquel le secours d’un adulte compétant est indispensable pour en faire apprécier la chair par les enfants. Et même par les plus grands !
L’araignée se mérite.

Pour terminer cette petite histoire sur un sourire voici la dernière page du livre de Rondelet.

Du petit hérisson (nom donné aux oursins)

"La cinquième espèce est le petit hérisson, selon Aristote, ayant des piquants longs et durs qui vit dans des trous profonds. Il est utilisé en médecine pour ceux qui pissent que goutte à goutte encore qu’ils aient grand ennui à pisser. Tel est celui que nous avons ici dessiné, attaché contre un rocher avec des aiguillons plus longs et plus durs que son corps le nécessite."

L ‘Echinus paruus est introuvable dans les nomenclatures que j’ai consulté. Après Aristote, les romains ont utilisé les graines de courge, plus faciles à trouver pour soigner la même affection due au grand âge.
Quant au vocabulaire utilisé, il faut se souvenir que nous sommes à l’époque du français écrit et parlé de Rabelais !

Autour de l’île, les araignées vont petit à petit commencer leurs mues et quitter nos rivages. On attend avec impatience que les maquereaux refassent enfin leur apparition après des années de disette. A suivre !

Jean-Claude Le Corre, Yves Raude, juillet 2018

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