"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

LE BON VIEUX TEMPS (suite et fin)

Publié le 19 novembre 2017 à 12:46

LES MOUSSES Elmar Ternes

Récits d’Henri T… né à Quehello en 1900 , de Joseph S… né à Créhal en 1912 et de Arthur G… né en 1897 à Locmaria, tous trois marins pêcheurs à la retraite.

Henri T… Les mousses étaient pris pour les derniers. Les patrons n’avaient pas à l’époque la façon de traiter un mousse comme on le traite maintenant. On sait quand même maintenant qu’il n’est qu’un enfant. Tandis qu’autrefois, même les parents, le père n’avait pas plus de respect pour son enfant que n’en avait un étranger, puisque c’était comme ça.

Ils étaient des gens qui étaient durs. Ils ne se souciaient pas si l’enfant avait de la peine ou s’il n’en avait pas. Tu te rappelles sans doute quand nous allions à la drague, lorsqu’il fallait passer la haussière sur la bitte. Souventefois tes mains n’étaient pas assez grandes pour empoigner l’épaisseur de l’haussière. Et il faisait un froid abominable. Eh bien, il n’y avait pas moyen de tenir ! Et on te criait « Tiens ferme ! »

Mais quand tu tenais qu’est-ce qui arrivait ? Et bien, souventes fois tu étais jeté dans le treuil devant ! Et encore menacé ! »Tiens ferme ! Tiens ferme ! » Mais un enfant ne pouvait travailler comme un homme.

Joseph S… Et encore quand tu allais te plaindre à ta mère on te disait »Si vous aviez fait votre travail vous ne l’auriez pas attrapé. Allez à la mer ! » Oui, qu’est-ce que tu faisais ? Tu ne pouvais rien faire ! Tu allais alors.

En arrivant à terre, quand nous rentrions de la pêche au thon on te disait « Allez à la maison et emportez votre poisson ! Et venez dormir au bateau ! » Tu te rappelles ?

Henri T… Bien sûr que je m ‘en rappelle ; Combien de fois j’ai dormi dans le bateau ! Et on disait comme ceci "Allez dormir à bord ! S‘il y a quelque chose qui manque vous serez punis ! Mais nous verrons toujours demain. »

Quand j’étais mousse j’ai vu aussi le commencement de la pêche au chalut. Et pour passer notre temps un peu à terre, parce que nous étions toujours sur le bateau, nous disions " Allons nous reposer un peu pour passer le temps ! » Et justement pendant ce temps le patron arrivait à bord ; Et quand nous arrivions, aïe, voilà le patron devant nous : "Où avez-vous été ? Ben ouest-ce que j’ai été ? Par là. Tu sais bien que le bord ne doit pas être quitté ! Et vous êtes le mousse qui doit toujours être là ; » Et il n’avait pas dit davantage. Mais le lendemain lorsque les deux heures du matin je pensais aller dormir me reposer un peu, on me disait « Où avez –vous été hier ? En promenade ? Eh bien, aujourd’hui vous allez prendre le quart ! »

Alors qu’est-ce que je ferai sur le pont moi ? Je ne savais pas moi, à cette époque, gouverner comme il faut. Mais pourtant il me fallait rester.

Arthur G

Quand j’avais commencé d’aller en mer je n’étais pas bien vieux et mon paletot n’était pas bien lourd non plus. J’avais onze ans. (en 1908 !)

J’étais allé à la pêche au chalut. Et je n’étais pas très grand, ah non . Et alors, pour les anciens ceux-ci traitaient les petits mousses sévèrement. Alors il n’y avait pas de pardon. Il nous fallait alors tenir ferme la haussière quand ils étaient en train de virer le chalut. On vous disait « Tenez ferme donc ! Qu’est-ce que vous faites là ? Tout à l’heure je vous giflerai et vous verrez ! Tenez donc, sacrés vauriens ! »

Eh bien ceux là…ils étaient comme des sauvages autrefois. Maintenant les petits enfants sont heureux envers ce temps là. Mais à cette époque ce n’était pas comme ça alors ! Alors on vous jetait du bois (des sabots !) à la tête !

Et quand on arrivait à terre, quand vous les voyiez arriver au port de La Rochelle, il vous fallait, après avoir fait tout votre travail, laver vos âniers à poissons, laver votre cale à poissons, laver votre pont, vider une quantité de poissons afin de préparer la « chaudronnée » pour le soir.

À La Rochelle : G 1100 »Jeanne-Liliane » et G 860 « Algésiras »

Quand ils rentraient de la criée, ils n’étaient pas toujours contents ; On vous appelait dans la bateau : "Vous êtes là ? » Si vous n’étiez pas là eh bien on vous disait " Où étiez-vous donc ? Vermine , vous avez encore rodé par là ! » Et vous attrapiez pour votre peine encore !

Il fallait aller le servir encore après ; Il fallait aller chercher leur tabac et leurs journaux et leur pain. Et ils n’étaient toujours pas contents ! On vous disait "Vous ne faites rien ! Qu’est-ce que vous foutez par là ? » Lorsque le pauvre gars allait boire une tasse de chocolat il était grand temps de tourner vite votre bout de filin de peur d’être vu par eux.

Et vider des poissons encore pour le soir afin de les mettre à frire quand ils rentraient au bateau. Ah, ah, une partie d’entre eux était à moitié « bus ». S’il n’y avait pas assez dans la gamelle on prenait votre ration si bien que le pauvre mousse était alors sans rien ! Et on disait, « C’est tout ce que vous avez fait à manger ? » quelques fois ils amenaient deux ou trois d’un autre bateau. Eh bien forcément ce n’était pas assez. Et il attrapait encore le pauvre mousse, pour sa petite peine.

Voilà comment les choses se passaient à cette époque là. Maintenant ce n’est plus comme ça. Maintenant les mousses ne s’occupent plus ni de la cuisine, ni de rien parce qu’il y a des cuisiniers. Mais à cette époque là oui, il fallait aller chercher de l’eau et tout pour faire tout leur travail, autant dire, pour eux.

Quand nous étions à la pêche au thon ; après avoir lavé le bateau, chacun allait à la maison. Mais on disait au mousse « Vous irez dormir au bateau ce soir ! » Le pauvre mousse était envoyé dormir au bateau. Mais pourquoi le pauvre petit était-il envoyé dormir au bateau alors ? Onze, douze ans, le bateau au sec dans le vieux port. Eh bien,le pauvre mousse venait au bateau. Il lui fallait monter dans son bateau par les béquilles. Mais aussi bien il aurait pu tomber en bas dans la vase et se casser sa jambe. Eux ils ne s’en souciaient pas ! Ils étaient à la maison, dormant dans leurs lits. Ils avaient fini.

Le lendemain matin, ils venaient au bateau. On vous disait »Vous êtes allé dormir au bateau ? Eh bien oui, nous avons été dans le bateau. Qui a été ici ? Qu’est-ce qui a été fait ici ? Vous avez fait du tapage dans le bateau hier soir. Ici on a mangé du pain et tiré du vin ! Ici vous avez fait la noce dans le bateau ! ( Alors vous n’aviez pas le droit d’amener
quelqu’un d’autre au bateau avec vous ni de boire une gorgée de vin si vous faisiez à manger ! » )
Mais encore une fois ce n’est plus comme ça maintenant.

(JC Le Corre septembre 2017)

Le mousse

Mousse : il est donc marin ton père ?...
Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d’avec ma mère
Il a couché dans les brisants…

Maman lui garde au cimetière
Une tombe et rien dedans…
C’est moi son mari sur la terre ?
Pour gagner du pain aux enfants.

Deux petits ; Alors sur la plage
Rien n’est revenu du naufrage ?
Son garde pipe et son sabot…

La mère pleure, le dimanche
Pour repos. Moi : j’ai ma revanche
Quand je serais grand : matelot.

« Les amours jaunes » Tristan Corbière

Ces récits on été enregistrés en breton de Groix et transcrits littéralement par Elmar Ternes, grammairien allemand de la Faculté d’Heidelberg en 1986-87.

Je n’ai fait que quelques minimes modifications pour faciliter leur lecture .Quant aux mots et expressions typiquement rattachés au monde particulier des marins pêcheurs je laisse aux lecteurs le plaisir de les demander aux groisillons qui les connaissent encore.

Le poème qui clot ces trois récits est de Tristan Corbière , poète né à Morlaix en 1845 et décédé dans la même ville à l’âge de 30 ans . Il fait partie des cinq « Poètes maudits » auxquels Verlaine a consacré des brèves études en 1884.

Quant au « Bon vieux temps » chacun a le sien au fond de la mémoire et mille façons de le raconter. Bon voyage à tous dans votre passé réel ou imaginaire !

Jean-Claude Le Corre - septembre 2017

* Sur béquille dans le vieux port :G 675 « Saint Yves » ,G 515 « Ville de Bordeaux »,G 518 « Rose sans épine », G664 « Vauban », G 650 « Union républicaine »

Lire épisode 1 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....

Lire épisode 2 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....

Lire épisode 3 : http://ile-de-groix.info/blog/spip....

Portfolio :

Commentaires :

  • Passionnant et , pour les ames sensibles de notre époque, pas révoltant car, a cette époque, c’était les règles de vie a bord ; ensuite le petit mousse ,devenu matelot , avait le meme comportement .Compliments aux narrateurs. jvk

  • N’empêche que... ce bon vieux temps là , ça fait pas envie !

    Merci Mr le Corre, pour cette mise au point, et mise à mal du vieil adage "c’était mieux avant !
    Caroline

  • La réalité était parfois pire encore. Lors de son premier embarquement, mon grand-père maternel, Jérôme Tonnerre, avait neuf ans.Il n’avait évidemment pas l’âge légal mais il était orphelin de père et l’aÎné d’une fratrie de cinq. Des oncles ou des cousins le prenait à bord pour qu’il puisse ramener une paie à sa mère.
    Puis il a eu l’âge légal (13 ans me semble-t-il) et, contre l’avis de toute la famille, sa mère l’a fait embarquer à bord d’un thonier dont le patron avait une réputation épouvantable. Dès qu’il avait bu, cet homme, rendu fou par l’alcool, pourchassait le mousse avec un couteau avec l’idée de l’égorger. Mon grand-père ne devait son salut qu’à l’aide des autres hommes du bord qui tentaient de ralentir le fou furieux (sans se mettre eux-même en danger) et à son extrême vélocité pour grimper dans la mâture. Il y restait parfois longtemps, tenaillé par le froid et la peur.

    Comme il avait beaucoup d’humour, il nous racontait, à nous ses petits enfants, que cette rapidité à grimper au mât lui avait permis de gagner une médaille d’or lors d’une compétition de grimper à la corde en Belgique. Mais sa vie durant, et jusqu’à la fin, il fit des cauchemars terribles de cet embarquement terrifiant. De ce patron fou nous ne connaissons que le surnom car jamais mon grand-père ne nous donna son nom.................................. Elizabeth Mahé

  • D’autres réalités, inhérentes à cet ancien (?) milieu confiné masculin sont également pudiquement voilées...
    AM

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