"Anita, de Groix"

"Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire"

HISTOIRE DE GROIX

Publié le 17 janvier 2016 à 12:04
HISTOIRE DE GROIX

1898 : Quand les Anglais voulurent occuper l’île !
Jean-claude Le Corre, Groix, Décembre 2015

L’histoire mouvementée de l’île montre que si elle fut attaquée et pillée de nombreuses fois pendant les guerres de Louis XIV et jusqu’à la Révolution, elle ne fut jamais occupée comme Port Louis par les Espagnols (1590-1595) ou Belle–Ile par les Anglais (1761-1763)
Groix avait même en 1703 réussi, par un subterfuge resté dans les mémoires, à dissuader l’ennemi héréditaire d’y débarquer.

Une seule fois dans cette longue histoire les Anglais ont envisagé très sérieusement l’occupation de l’île en cas de conflit avec la France. En effet en 1898 une guerre imminente est envisageable et seule la diplomatie et le pragmatisme des gouvernements permettra de l’éviter.

Il va falloir aller chercher la cause de cette tension au fin fond d’une Afrique en pleine expansion coloniale. Un incident diplomatique entre des troupes françaises et anglaises va se dérouler en septembre 1898 dans une petite ville à 800 km au sud de Karthoum au Soudan. France et Royaume unis risques alors d’entrer en guerre.
La France amputée d’une partie de son territoire depuis la défaite de 1870 et isolée diplomatiquement trouve un allié dans l’Empire russe de Nicolas II. Les flottes française et russe peuvent rivaliser avec l’Angleterre qui à elle seule avait jusqu’à lors la maitrise des mer et donc la liberté de son commerce maritime vital pour l’île.

Londres 1898
Ce problème va préoccuper la classe politique et les états-majors militaires de Londres

« La protection du commerce anglais pendant la guerre »
Un officier de marine le commandant Ballard écrit cette année là une étude remarquable qui fait grand bruit et est très bien accueillie par les décideurs britanniques.
En voici quelques extraits :

« Le sujet de cette étude est d’une importance capitale pour le pays. De la ruine du commerce britannique s’ensuivrait inévitablement à bref délai, la ruine de l’empire tout entier. L’Angleterre ne perdrait pas seulement sa puissance et sa richesse. Ses habitants manqueraient encore effectivement des choses les plus nécessaires à la vie par l’arrêt de l’importation des denrées alimentaires. C’est pourquoi on peut considérer logiquement les mesures prises en vue de la protection de notre commerce comme la plus essentielle des sauvegardes ; notre existence en tant que nation en dépend.

« L’éventualité d’une guerre contre la Double alliance de la France et de la Russie est la question militaire la plus grave que l’Angleterre soit appelée à envisager. »

Après avoir comparé les puissances navales qui seraient engagées (il comptabilise 318 navires de combat pour la flotte franco-russe) il en déduit que pour conserver la maitrise des communications et donc du ravitaillement il faut, non pas combattre les flottes ennemies dans des batailles navale aux résultats incertains mais empêcher l’ennemi de sortir de ses ports.
Il étudie donc tous les ports militaires de la Baltique à Vladivostok et les moyens nécessaires pour empêcher les navires ennemis d’en sortir ou au pire de les détruire rapidement s’ils arrivaient à « s’échapper ».

Brest et Lorient sont des bases fermées de la plus haute valeur ; mais à 30 milles de l’entrée de Brest se trouve l’île d’Ouessant qui a sur se différents côtés trois mouillages pour des destroyers et des torpilleurs ; de même exactement face à Lorient, à 4 milles de distance, se trouve l’île de Groix.
Notre premier soin devrait donc être de nous emparer de ces deux îles et d’y mettre une garnison ; puis d’établir un câble sous-marin de Groix à Ouessant (85 milles) et d’Ouessant à Plymouth (120 milles)… Une fois ces bases d’opération mises en défense, les flottilles de surveillance commenceraient leur service…

Quant au port de Lorient, en temps de guerre il ne servirait pas souvent, croyons nous, aux grands navires de guerre de l’ennemi, car le manque de profondeur dans la passe restreint l’entrée ou la sortie des bâtiments calant plus de 6 mètres aux périodes de mi flot à mi jusant. Les flottilles de surveillance avec leur base d’opérations à l’île de Groix seraient par suite moins exposées aux attaques de forces supérieures. Par ailleurs, cette base est beaucoup plus proche de l’ennemi qu’Ouessant et bien plus éloignée de tout secours. Ces circonstances nécessitent une forte garnison. Quelques canons placés sur les sommets de l’île nous mettraient à l’abri de l’attaque de troupes transportées par des petits bâtiments. S’il arrivait sur les lieux des navires armés de grosses pièces, notre occupation subirait peut-être une interruption momentanée mais nous finirions par empêcher l’ennemi de s’y maintenir. Lorient pouvant abriter des croiseurs de faible tirant d’eau, il nous faut encore demander une flottille de 10 destroyers, torpilleurs ou contre-torpilleurs également répartis entre les passes Nord et Sud. Pendant le jour ils mouilleraient sous le vent de Groix et la veille serait faite du sommet de l’île. Par le câble télégraphique temporaire dont nous avons parlé, on enverrait à Plymouth les renseignements sur les mouvements ennemis.

Dans son étude, l’auteur va jusqu’à préconiser de détruire les phares du Raz de Sein et d’occulter les autres, de couler des vieux navires (remplis de pierres !) dans le chenal d’accès à la Gironde… etc.

Le Royaume - Uni prépare une guerre. Pendant ce temps, que se passe-t-il en France et à sur l’île Groix qui serait la première concernée en cas de conflit.

La France de la Troisième République en 1898
Les gouvernements successifs de la Troisième république sont confrontés à de multiples problèmes et des crises successives traversent le pays depuis la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace-Moselle.
A un nationalisme revanchard exacerbé s’ajoute un anti parlementalisme de plus en plus vif dû aux multiples « affaires » qui touchent les gouvernements successifs (Boulangisme, Dreyfus…)
Sur le plan diplomatique, la France est isolée depuis la guerre. L’Allemagne de Bismark en construction craignant une réaction française crée avec l’Autriche-Hongrie et l’Italie la Triple-Alliance.
La France se tourne progressivement vers la Russie de Nicolas II et un accord de mobilisation commune sera secrètement signé en 1892 en cas d’agression de l’Allemagne vers la France et de l’Autriche–Hongrie vers la Russie.

Pendant toute cette période de la fin du 19ème siècle, la France continue son expansion coloniale notamment en Extrême Orient ( Tonkin, Annam, guerre franco-chinoise) et en Afrique où elle se trouve en concurrence avec le Royaume–Uni notamment en Egypte (dont elle laissera officiellement le protectorat aux anglais en 1892) .

Et c’est à cause de cette concurrence qu’une grave crise aujourd’hui oubliée faillit déclencher une guerre.
C’est à cause de cette concurrence que les anglais envisagèrent d’occuper Groix.

L’ILE DE GROIX EN 1898

Les réunions du Conseil Municipal

Le recensement de 1896 fait état de 5212 habitants .
Le maire est Charles Romieux a été élu le 17 mai 1896 avec Armand Jégo comme 1er adjoint et Martin Thomas comme 2ème adjoint.
Le conseil municipal va se réunir 5 fois en cette année 1898.

Les principaux sujets abordés concerneront :
- la suppression annoncée du médecin de marine affecté dans l’île depuis 1857. Le ministère profite de l’installation à Groix du premier médecin civil, le docteur Gaboriaud (gendre du 1er adjoint) pour rendre cette décision.
- la construction d’un réservoir de 8 m3 d’eau à la fontaine de Port Tudy et l’installation d’une conduite d’eau vers le port. Un emprunt est décidé pour cette installation après l’accord des propriétaires pour l’élargissement du chemin d’accès.
Cet emprunt va impliquer une augmentation des droits d’octroi, une des principales ressources budgétaires de la commune.
C’est ainsi qu’à compter du 1er janvier 1989 l’octroi sur les boissons dites « hygiéniques » c’est à dire le vin, le cidre, la bière sera de 0 fr 55, 0 fr 35 et 1 franc à l’hectolitre et celui des alcools fortement porté à 15 francs.
- l’école de pêche de Mr Guillard continue à faire polémique ainsi que les problèmes portuaires (Port Tudy et Locmaria) pour une île où les dundées sont de plus en plus nombreux. (45 unités construites en 1896-1897 !)
En fin d’année tous les phares de Groix seront mis en service.

A aucun moment le risque d’une guerre avec l’Angleterre n’est abordé. Tout au plus parle–t-on d’un renfort de 100 hommes à la petite garnison militaire permanente sur l’île.

« La Croix de Groix » de l’abbé Noel.

Depuis 1891, l’abbé Noel, en disponibilité sur l’île publie régulièrement un bulletin de 4 pages qu’il a intitulé « La Croix de Groix, lettres d’un groisillon à ses compatriotes »

Un « air de famille » entre la Croix de Groix et celle de Paris.

C’est dans son quotidien national préféré, « La Croix » qu’il puise toutes les informations nationales et internationales dont il parle parfois à ses lecteurs.
C’est ainsi qu’on trouve :

« Les espions anglais rôdent par là. Attention ! » (Lettre du 6 novembre 1898)
« Nous sommes menacés d’une guerre avec l’Angleterre. Prions Dieu de nous épargner ce malheur. » (lettre du 23 novembre)

Sans autre explication

Une île entièrement consacrée à la pêche.

L’île toute entière est tournée vers la pêche au thon l’été et le chalut l’hiver. L’abbé Noel vitupère contre les chalutiers à vapeur de plus en plus nombreux et surtout leurs nouveaux filets, les fameux chaluts à panneaux, les « ottertrawl ». Ces nouvelles techniques vont petit à petit faire disparaitre une des sources de revenu des marins de Groix, la pêche d’hiver à la drague et en un demi siècle condamner définitivement la pêche à la voile.
Il conclut ses attaques par cette phrase :
« Mieux vaut une bonne routine avec laquelle on peut vivre plutôt qu’un progrès qui fait mourir de faim ».

Autres sujets traités cette année :
- la construction de la jetée de Locmaria qui faute de financement local suffisant est provisoirement abandonnée. (Elle sera finalement construite en 1903.)
- souhaitons à la France d’être débarrassée bien vite de la vilaine affaire Dreyfus, de n’avoir pas à soutenir une guerre qui paraît plus proche de jours en jours ; d’être enfin libéré du joug des francs-maçons qui la conduisent aux abîmes.
- un incendie spectaculaire dans une épicerie du Méné oblige les habitant à faire la chaine avec des seaux pour prendre de l’eau à Port Melite. (les puits sont à sec !)
- hiver très doux, grande sècheresse, assez bonne récolte. Abondance de poisson mais ventes mauvaises.
- on aplanit le vieux cimetière qui entoure l’église, terrain de jeu des enfants…

C’est seulement dans une lettre du 26 février 1899 que le nom de Fachoda sortira de l’anonymat insulaire (Vannes vient de baptiser une rue en son honneur !)

Le canon lance-amarre confié et mis en œuvre par les douaniers entre en fonction en 1898.

La guerre n’a pas eu lieu et l’occupation éventuelle de Groix est vite oubliée… par ceux qui en ont entendu parler !
La discrétion de l’abbé Noel à ce sujet est sans doute due à la farouche opposition de son quotidien de référence avec le gouvernement de l’époque.
La vie sur l’île continue à être dominée par tous les problèmes inhérents à la pêche : les ports, les chalutiers à vapeur, l’école de pêche, etc…

Pendant ce temps en Afrique

Fachoda et la Mission Marchand.
Fachoda, petite ville du Soudan à 800 km au sud de la capitale Karthoum fut aussi connue en France en ces années 1898 -1899 que le fut Sarajevo en 1913. Sauf qu’ici la guerre fut évitée.
Depuis qu’elle occupe l’Egypte en 1882, l’Angleterre rêve de constituer à son profit un axe Nord-Sud Le Caire-Le Cap. Pour cette raison il lui faut sécuriser l’Egypte en soumettant les contrées du Haut–Nil. En mars 1896, le général Kitchener reçoit la mission de conquérir le Soudan.
De son côté, la France veux relier ses possessions de Dakar à Djibouti suivant un axe Ouest-Est.
En 1896 elle décide d’envoyer une mission d’exploration baptisée Congo-Nil. Il s’agit en se portant les premiers sur le haut Nil de contester l’hégémonie britannique sur le fleuve et de constituer un nouveau protectorat français au Soudan.

Avec 8 gradés, une compagnie de 120 tirailleurs sénégalais et plusieurs milliers de porteurs l’expédition commandée par le capitaine Marchand doit, en fait, traverser l’Afrique d’Ouest en Est ce qui n’a encore jamais été réalisé.
Partis de l’estuaire du fleuve Congo le 24 juillet 1896, après un raid épique de 5500 km en 2 ans, Marchand parvient à Fachoda le 10 juillet 1898 et hisse en haut d’un mât le drapeau français.
Le 18 mars 1898, une armée anglo-égyptienne de 20 000 hommes conduite par Lord Kitchener remonte le Nil. Après avoir vaincu les Soudanais le 2 septembre au terme d’une campagne particulièrement brutale et meurtrière, Kitchener arrive à Fachoda le 18 septembre, deux mois après les Français.
Il réclame leur évacuation, Marchand refuse. De part et d’autre de la Manche les nationalismes se déchaînent. La France est alors en pleine affaire Dreyfus dont une des thématiques est la trahison nationale et l’opinion publique appelle à en découdre avec l’ennemi héréditaire.
Mais le rapport de force est vraiment trop inégal. En novembre, soucieux d’éviter un conflit avec l’Angleterre, le gouvernement français donne l’ordre à Marchand de se retirer.
Un accord signé en 1899 entre les deux pays confirmera le renoncement de la France à toute ambition sur la vallée du Nil.
Marchand poursuivit sa longue marche vers Djibouti où il arriva le 16 mai 1899 près de 3 ans après son départ du Congo !
Son retour en France fut triomphal. Le colonel Marchand était devenu un héros national.

Et après :

George Alexander Ballard (1862-1948) - L’auteur de cette étude .
Officier de la Royal Navy, il occupa diverses fonctions pendant sa longue carrière de 1884 à 1921 date à laquelle il quitta le service actif avec le grade d’Amiral. Il participa à plusieurs des guerres coloniales de l’Empire et fut entre autre le commandant de l’île de Malte pendant la Grande guerre.

Marchand, nommé colonel en 1902 commande le 4ème régiment d’infanterie de marine (dans lequel servirent des groisillons !)
Il donne sa démission en mars 1904 et entame, sans succès, une carrière politique.
Il reprend du service dés le début de la guerre qu’il termine au grade de général de division. Il est mort à Paris en 1934.

Lord Kitchener (1850-1916)
Un des plus populaires des chefs militaires de l’Empire Britannique.
Il est resté dans l’histoire comme un de concepteurs de la guerre moderne avec l’emploi massif des mitrailleuses qui firent des ravages dans les rangs pendant la Grande Guerre.
Ministre de la guerre en 1914 il mourut en mer en juin 1916 lors du naufrage du cuirassé HMS Hampshire coulé par une mine au large des iles Orcades.

Le maire de Groix Charles Romieux démissionne en 1899 et Emile Stéphant lui succède.

L’abbé Noel meurt en 1907.
Sa lecture du quotidien national « La Groix » à la fin du 19ème siècle éclaire certains articles de la « Croix de Groix » qui peuvent paraître souvent excessifs (affaire Dreyfus, francs-maçons, laïcité...) Mais il faut les remettre dans le contexte de l’époque d’opposition farouche de l’Eglise contre les gouvernements successifs d’une Troisième république naissante.
Bien que « redoutable de certitude », il laisse à la postérité par sa « Croix de Groix » une chronique très vivante de l’île dans la période de son histoire qui fut peut-être son « âge d’or »

Quant à la « Mission Marchand », en dehors de toute polémique sur le colonialisme ou même Fachoda, elle reste une aventure humaine extraordinaire qui ne mérite pas de tomber dans un total oubli.

Un mur de pierre sculpté de près de 10 mètres de long se dresse Porte Dorée à Paris en hommage à la « mission Congo-Nil »


(photo Dominique Hasselman)

Sources principales :
- Quotidien « La Croix » - (années 1898-1899) - BNF. Gallica numérique
- « La Croix de Groix » - lettres de 1898-1899
- « La Revue maritime » - Tome 143 - (pp. 90 à 148) -1899 . BNF Gallica numérique.
- Blog de la LDH Toulon a/s la « Mission Marchand » - Fachoda - (1896-1899)

Jean-claude Le Corre, Groix, Décembre 2015

Commentaires :

  • que c’était il passé en 1703 ?

  • C’est une réponse qui mériterait un développement mais en résumé :
    En 1703 une importante flotte anglaise avec plusieurs milliers d’hommes de troupe se préparait à envahir Groix.
    Le recteur de l’époque,l’abbé Uzel eut l’idée de déguiser les femmes de l’Île en cavaliers qui, vus par les longues vues peu performantes de l’époque firent croire aux anglais que l’Île était occupée par des Dragons français Ce subterfuge réussi et les chaloupes de débarquement retournèrent à leurs vaisseaux.Cette aventure fut connue jusqu’à la cour de Louis XIV. D’après le journal de l’époque "le Mercure" il parait même que le "roi avait ri" en entendant cette histoire .Et l’’abbé Uzel reçut quant à lui en 1704 le brevet de la pension de 500 livres pris sur l’évêché d’Agen !!!
    L’histoire plus détaillée vous sera racontée bientôt.
    Jean-claude Le Corre

  • merci pour cette savoureuse anecdote !

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